Littérature

Ordesa, le deuil impossible de Manuel Vilas

Manuel Vilas

© Lisbeth Salas

Par Africa Gordillo

Il y a des livres qui vous prennent aux tripes dès les premières lignes et puis ne vous lâchent plus. Ordesa est de ceux-là. Pas de début, de milieu et de fin. Plutôt une succession de textes, un puzzle qui une fois assemblé donne la mesure de l’amour que Manuel Vilas porte à ses parents. 

Ordesa, c’est une région de Huesca dans le Nord de l’Espagne. C'est aussi un livre sur l'impossibilité du deuil. Manuel Vilas tente de faire le deuil de ses parents. Mais ça veut dire quoi faire le deuil ? Pourquoi faut-il se résoudre ? Et il nous livre ses souvenirs, sa douleur de manière tantôt poétique tantôt crue.  

On a affaire à un écrivain tourmenté, d'une très grande sensibilité qui raconte ses parents morts et pas décédés (il n'aime pas ce terme). Ses parents avec lesquels il n'a pas su communiquer quand ils étaient vivants. Et après leur mort, il prend la mesure de l'amour qu'il leur porte. Ce livre est une déclaration d’amour…que les parents de Manuel Vilas ne sont plus là pour entendre. Et pourtant, écrit-il, sans famille, on est un chien solitaire.

Mon coeur ressemble à un arbre noir couvert d'oiseaux jaunes qui piaillent et me perforent la chair dans une sorte de martyre.

Chez Vilas, le jaune (amarillo en espagnol) est un état visuel de l'âme. Le jaune parle du passé, de la désintégration de la famille, de la chute de l'Espagne et de l’espace moral qui mène à pauvreté. La pauvreté, il connaît. Sa famille aussi. Et les institutions espagnoles ou l’école en prennent pour leur grade, elles qui selon Vilas ont laissé tomber tant d’Espagnols. 
Manuel Vilas convoque la pauvreté comme il convoque ses parents morts, de manière crue, simple, sans artifice, sincère.

La sincérité, c’est ce que Manuel Vilas nous offre de plus précieux. Sa sincérité et sa détresse. Des mots touchants pas seulement parce qu’ils évoquent le deuil des parents, la pauvreté, le franquisme déclinant ou l'Espagne mais parce qu'en nous racontant son père et sa mère, il nous parle de nos parents.  De mes parents. De vos parents. Et aussi de notre relation à nos enfants ou plus globalement au temps qui passe.

Comme écrit Vilas, Il y a longtemps que personne ne m'a demandé des nouvelles de ma mère. Je n'entends plus son nom dit à voix haute. Je n'entends plus sa voix. Je ne me rappelle plus sa voix. Si je la réentendais, je me mettrais peut-être à croire à la beauté du monde.

Une beauté du monde qu’il se remémore. Et pour que nous la cernions bien, il affuble ses proches de noms de grands compositeurs. Voilà une belle trouvaille dans ce récit. Son père est Jean-Sébastien Bach ; sa mère, Wagner ; son oncle Monteverdi. Ses fils, Brahms et Vivaldi. Et en quelques noms choisis, on devine le caractère de chacun.

Bach et Wagner jouent une musique que Manuel Vilas continue à entendre par-delà la mort. Et s'il y avait une phrase à retenir dans Ordesa, ce serait celle-ci : "N'attends pas demain, car le lendemain appartient aux morts".

Manuel Vilas, Ordesa, aux éditions du Sous-Sol
et 
disponible en bibliothèque.

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