Maintenir le dialogue
C’est aussi la question que pose le film de Sofia Coppola. Dedans, Laura compose, habituée aux façons de faire du paternel, qui mène une vie mondaine à mille lieues de son quotidien à elle. Elle se laisse porter par ces intermèdes loin de la charge mentale familiale, boit le cocktail qu’il lui commande, rigole quand on la prend pour sa copine au restaurant.
Elle se laisse même embarquer dans le jeu d’espions improbable que Felix a orchestré, persuadé que, comme tous les hommes, le mari de Laura a quelque chose à cacher. Nous aussi, souvent, on laisse couler : on se tait aux repas de famille, ou on change de sujet pour éviter la dispute avec le collègue même si on lève les yeux au ciel intérieurement.
Mais à force de suivre les théories fumeuses de son père, à un moment Laura va trop loin – jusqu’au Mexique, plus exactement. C’est là, entre le clapotis des vagues et une filature ratée, qu’elle comprend qu’elle a oublié de s’écouter elle-même. Si elle est et sera toujours la fille de son père, elle est une personne à part entière. Avec des valeurs, des priorités et une mentalité forgée par, mais aussi contre lui.
Derrière la figure goguenarde de Bill Murray, parfait en papa gâteau racé, on devine le regard de Coppola sur son propre Francis Ford de père. Un homme du monde, lui aussi, une figure tutélaire, dont le nom de famille a sans doute autant pesé qu’aidé Sofia quand elle a commencé à faire du cinéma
Si nos ‘boomers’ peuvent prétendre à un recul et une expérience conférées par leur longévité, il auraient tort de penser que les jeunes générations n’ont rien à leur inculquer. Et c’est justement parce qu’on tient à eux, qu’on a envie de croire qu’ils peuvent nous écouter.
Alors oui, parfois, c’est sur le coup de l’émotion, parfois ça pète d’un coup, comme ça, entre le clapotis des vagues et une filature ratée, parce qu’il y a parfois besoin de dire "non papa, c’est pas la nature masculine, tu peux contrôler tes comportements, oui maman je vais sortir habillée comme ça, non Jean-Christophe c’était pas mieux avant, c’était juste mieux pour toi".
Mais même avec des tensions, l’idée est de maintenir la conversation. Maintenir la possibilité du dialogue, de l’échange, de la bienveillance. Des deux côtés. Et garder nos ‘OK boomer’ pour Jean-Machin sur Twitter. Ça ne veut pas dire que nos ‘boomers’ de cœur se rallieront à toutes nos idées – ça on sait. Mais à force, qui sait, sur un malentendu, ils seront bien obligés de reconnaître que leurs enfants peuvent – doivent, leur échapper. "Tu vis ta propre aventure", admet Felix, debout devant sa voiture avec chauffeur dans laquelle Laura ne montera pas cette fois. Elle a un roman à terminer.