Humeur musicale

On s’en fiche que les Belges ne gagnent pas le Concours Reine Elisabeth

© Lia Navarette

Le Concours Reine Elisabeth, consacré cette année au chant, a commencé ce dimanche 21 mai, les premiers rossignols sont sortis du nid pour tenter de briller sur la scène de Flagey à Bruxelles. Quatre candidates belges sont en lice durant cette première épreuve. Dans son humeur musicale, Pierre Solot réfléchit à cette question que certains se posent sans doute : Pourquoi aucun belge n’a-t-il jamais remporté le Concours Reine Elisabeth ?

A cette question, s’ajoute une question subliminale : doit-on en tirer des leçons sur notre manière d’enseigner la musique en Belgique ?

Des seconds prix mais pas encore de premier prix

Tout d’abord, rappelons que, par le passé, le Premier Prix a échappé plusieurs fois de peu à des candidats belges. En 2005, le violoniste Yossif Ivanov se classait deuxième. Quatre ans plus tard, c’est Lorenzo Gatto qui posait son archet sur cette même deuxième place et en 2014, Jodie Devos enchante la Belgique avec une autre deuxième place.

Qui sait, cette année, nous pouvons en rêver, quatre candidates belges, quatre chanteuses belges ont été présélectionnées pour participer à la première épreuve. Ce qui est plutôt joyeux puisque l’année dernière, une seule candidate violoncelliste belge était en lice, Stéphanie Huang, qui a d’ailleurs brillé jusqu’en finale, et l’année précédente, il n’y avait aucun pianiste pour défendre les couleurs de la Belgique.

Peu importe la nationalité de la future ou du futur premier prix au Concours, la fête à la musique classique que représentent ces quelques jours dans l’année peut s’amuser des pays qui s’y affrontent mais peut-être pas… ou peut-être plus… en faire un enjeu.

Dans l’histoire du Concours, on sait que des rivalités nationales s’y sont jouées, entre les Etats-Unis et l’Union soviétique, principalement. La gloire qui rejaillissait sur le premier lauréat était une victoire culturelle pour la nation qui l’avait formé.

Parce que c’est vrai, remporter le Concours Reine Elisabeth demande une série de circonstances qui, rassemblées, peuvent former un vainqueur.

On a beaucoup parlé de la Corée ces dernières années qui produisait des wagons entiers de musiciens phénoménaux, sensibles, cultivés, techniquement inexpugnables, et c’est avant tout un facteur culturel qui les a menés à ce niveau. Lorsqu’une société entière, depuis l’école jusqu’au giron familial pense à chaque seconde au chemin performatif d’un enfant, avec les sacrifices que cela suppose, l’élite se construit et les lauriers finissent par pleuvoir.

Il s’agit d’un système d’éducation qui donne très tôt les clés de la spécialisation, en sport comme en musique.

C’est avant tout une question de trame sociétale, de schéma d’éducation qui envisage la performance, à défaut parfois de l’égalité.

Ce système où, très tôt, on choisit un enfant avec des aptitudes particulières et on met en place autour de lui un système éducationnel personnalisé, c’est grosso modo l’inverse de ce qui se joue en Belgique.

L'enseignement de la musique en Belgique, une ouverture culturelle pour tout le monde

En Belgique, l’enseignement de la musique repose largement sur les académies de musique. On leur demande tout : de proposer une ouverture culturelle pour tout le monde, les petits, les grands, les tout-petits, les très vieux ; on leur demande de pallier le saupoudrage ridicule de cours de musique dans l’enseignement général (même s’il semble que les années à venir pourraient voir se développer plus de culture à l’école… Wait and see), et puis on demande aussi aux académies de former les futurs musiciens professionnels de demain.

Soyons clairs, il y a peu de musiciens qui émergent de nos académies pour poursuivre des études au Conservatoire supérieur, les Conservatoire supérieurs en Belgique sont remplis d’étudiants étrangers, et peu de musiciens sortis des Conservatoires belges font réellement de grandes carrières.

Et tout ceci n’est peut-être pas si grave. Parce qu’une société qui privilégie un enseignement musical accessible à tous, parce que gratuit, et donné par des professeurs formidablement diplômés, dans les académies un peu partout en Belgique, brassant des catégories de population très différentes qui ont l’occasion de s’y rencontrer, cette société propose là une vision puissante de la formation des citoyens de demain. Et si les Conservatoires forment désormais des musiciens complets, informés, outillés pédagogiquement et curieux de ce qui dépasse leurs instruments, voilà d’autres citoyens qui pourraient enrichir diablement la société de demain. Et face à un tel projet, on s’en fiche qu’ils ne gagnent pas le Concours Reine Elisabeth !

Humeur Musicale

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