Avec Deewee, vous êtes revenus à une musique résolument alternative. A quel moment avez-vous décidé de créer ce label pour de nouveaux artistes ? L’idée était là depuis longtemps ?
David Dewaele : C’était une idée de Steph je pense. En tout cas il me l’a " vendue " dès qu’on a achevé le projet du building et du studio. L’idée d’avoir un label n’était pas neuve, on nous l’avait déjà proposée, mais c’est vraiment Steph qui a remis ça sur la table. C’est sûr que quelque chose nous manquait de plus en plus : le côté humain. La musique a perdu beaucoup de cet aspect, il n’y a souvent plus aucun contact personnel. C’est devenu la norme de faire de la musique avec quelqu’un que tu ne connais pas vraiment : tu le fais par WeTransfer ou par e-mail et, en fin de compte, les gens se rencontrent pour la première fois quand on tourne la vidéo. Cette façon de faire ne nous attire vraiment pas. Du coup, quand Steph a émis l’idée de tout faire dans notre building, ça nous a donné l’opportunité de produire des groupes dans notre studio sans devoir en louer ailleurs. On a plein de projets mais pas assez de temps pour tous les réaliser et comme on ne veut pas faire de ce studio un truc commercial, l’idée d’un label était parfaite.
Vous auriez très bien pu travailler avec des artistes connus comme vos potes de LCD Soundsystem par exemple mais vous avez préféré produire des artistes émergents. C’est une vraie démarche…
Stephen Dewaele : Je ne pense pas que c’était conscient. Pas plus qu’on avait planifié de construire ce building, de tout cataloguer, de faire un bouquin… Mais de plus en plus souvent on nous posait des questions sur les nouveaux groupes, si on pouvait remixer tel morceau, si on était intéressés de produire tel artiste... Ou même des labels qui nous demandaient notre avis sur des groupes qu’ils allaient signer ! Ce n’était pas récent d’ailleurs, ça nous arrivait même avant 2Many Dj’s ! En fait, nous n’étions pas heureux d’être juste un indie rock band. On a commencé 2 Many Dj’s parce que on s’ennuyait en tournée et on a découvert qu’on pouvait faire des mix ou des edits d’artistes qu’on aimait bien, les jouer en club et les poster sur internet. C’étaient les débuts du web. Un jour, après un set, on est allé chez Rough Trade à Londres et quelqu’un est entré dans le magasin et a dit " hier j’ai entendu un mix de Kraftwerk et Eleanor Rigby des Beatles ". C’était un truc qu’on avait fait et on s’est dit qu’on ne devait plus attendre des mois avant de le rendre disponible. Ça nous a donné confiance et nous a donné l’envie de créer notre propre label. Et il y avait aussi des gens qu’on connaissait depuis longtemps et avec qui on avait envie de faire de la musique mais qui avaient besoin d’être un peu guidés.
David : Et puis, aussi, l’idée de développer des projets de A à Z était un vrai challenge...
Deewee c’est un label, un studio, une esthétique. C’est aussi un son, une famille, presque. On imagine un croisement entre Warp pour le coté avant-garde et Motown ou Stax pour le coté familial et l’unité sonore. Il y a un peu de ça ?
David : On a pris un peu tous les labels qu’on aimait. Dans le cas de Motown, ce n’était pas uniquement le son en effet : les mêmes musiciens jouaient avec tous les artistes du label et en plus leur idée était d’avoir une petite famille. Et c’est vraiment le cas chez nous aussi. Et, comme tu dis, Warp, symbolise le fait d’avoir l’esprit ouvert. Mais on n’a pas voulu faire un truc rétro, même si on travaille avec pas mal de " vieilles machines ".
Stephen : C’est aussi un peu Factory, un label qu’on aime bien parce qu’il n’était pas à Londres mais à Manchester. L’identité visuelle de Peter Saville était intéressante et totalement différente de ce qui se passait à Londres où dans le reste du monde. Toutes ces références à ces labels sont vraiment hyper cool mais au fond, on a surtout essayé de donner du sens à notre building, à notre label... C’est l’idée de tout cataloguer, de tout numéroter, de faire attention à tous les détails, de nous pousser à faire des choses inédites pour nous, comme sortir un bouquin. On s’oblige à innover pour ne pas revenir dans le " vieux système ".
Et puis il y a le design inventif, les pochettes hyper soignées... Déjà il y a 25 ans, avec Soulwax, vous créiez de fausses pochettes de 45t dans les leaflets de vos albums... Et là, on est dans la pièce de votre building où vous rangez votre collection de 55 000 vinyles... Pour vous, une belle pochette de disque c’est super important ?
David : Oui, c’est clair que vu que notre papa était DJ, on a grandi avec des disques. Le psy amateur pourra en conclure que c’est pour ça que nous avons créé un espace comme celui-ci (rires). L’importance des pochettes, c’est quelque chose qui nous vient de l’enfance, on a ça en nous depuis notre naissance même. Mais on est aussi très conscient du fait que le côté visuel est encore plus important maintenant qu’il y a 10, 15 ou 20 ans. Et n’avoir que la musique, sans le côté visuel, nous semble moins intéressant. Ça fait définitivement partie du monde dans lequel on évolue : pour être pertinent, il faut un bon visuel.