Jam

On a passé l’après-midi chez Soulwax pour parler de Deewee. Et on a pris une claque !

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Par Bernard Dobbeleer

Et si les frères Dewaele inventaient le futur de la musique électronique avec leur label Deewee ?  A l’occasion de la sortie de "Foundations", une première compile qui dépote, les deux têtes pensantes de Soulwax ont invité Jam dans leur incroyable building et studio gantois pour juger sur pièces. On ne va pas se mentir, quand on a reçu leur invitation, on était comme des dingues.

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Avec Soulwax comme avec leur autre incarnation 2ManyDJs, David et Stephen Dewaele ont plié le game des années 2000 et 2010 en se jouant constamment des codes indie rock et électro. Après avoir aligné une série de faux groupes de genres aussi improbables qu’hétérogènes pour la B.O. du film "Belgica" de Felix Van Groeningen en 2016 et après avoir en plus signé LE remix de 2019 avec Work It pour Marie Davidson, ils ont décidé de se réinventer une nouvelle fois avec leur label. Deewee est un écrin malin et bluffant où se constitue un nouvel underground électronique autour de Soulwax, de leur studio, de leur son et d’une esthétique époustouflante. C’est ici que Charlotte Adigéry, James Righton, Asa Moto, Emmanuelle, Bolis Pupul, Movulango et plein d’autres jeunes artistes ont créé, produit et enregistré les titres qui se retrouvent sur "Foundations".


►►► À lire aussi : L'interview croisée de Charlotte Adigéry et Bolis Pupul pour la sortie de la première compilation du label DEEWEE


 

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Avec Deewee, vous êtes revenus à une musique résolument alternative. A quel moment avez-vous décidé de créer ce label pour de nouveaux artistes ? L’idée était là depuis longtemps ?

David Dewaele : C’était une idée de Steph je pense. En tout cas il me l’a " vendue " dès qu’on a achevé le projet du building et du studio. L’idée d’avoir un label n’était pas neuve, on nous l’avait déjà proposée, mais c’est vraiment Steph qui a remis ça sur la table. C’est sûr que quelque chose nous manquait de plus en plus : le côté humain. La musique a perdu beaucoup de cet aspect, il n’y a souvent plus aucun contact personnel. C’est devenu la norme de faire de la musique avec quelqu’un que tu ne connais pas vraiment : tu le fais par WeTransfer ou par e-mail et, en fin de compte, les gens se rencontrent pour la première fois quand on tourne la vidéo. Cette façon de faire ne nous attire vraiment pas. Du coup, quand Steph a émis l’idée de tout faire dans notre building, ça nous a donné l’opportunité de produire des groupes dans notre studio sans devoir en louer ailleurs. On a plein de projets mais pas assez de temps pour tous les réaliser et comme on ne veut pas faire de ce studio un truc commercial, l’idée d’un label était parfaite.

Vous auriez très bien pu travailler avec des artistes connus comme vos potes de LCD Soundsystem par exemple mais vous avez préféré produire des artistes émergents. C’est une vraie démarche…

Stephen Dewaele : Je ne pense pas que c’était conscient. Pas plus qu’on avait planifié de construire ce building, de tout cataloguer, de faire un bouquin… Mais de plus en plus souvent on nous posait des questions sur les nouveaux groupes, si on pouvait remixer tel morceau, si on était intéressés de produire tel artiste... Ou même des labels qui nous demandaient notre avis sur des groupes qu’ils allaient signer ! Ce n’était pas récent d’ailleurs, ça nous arrivait même avant 2Many Dj’s ! En fait, nous n’étions pas heureux d’être juste un indie rock band. On a commencé 2 Many Dj’s parce que on s’ennuyait en tournée et on a découvert qu’on pouvait faire des mix ou des edits d’artistes qu’on aimait bien, les jouer en club et les poster sur internet. C’étaient les débuts du web. Un jour, après un set, on est allé chez Rough Trade à Londres et quelqu’un est entré dans le magasin et a dit " hier j’ai entendu un mix de Kraftwerk et Eleanor Rigby des Beatles ". C’était un truc qu’on avait fait et on s’est dit qu’on ne devait plus attendre des mois avant de le rendre disponible. Ça nous a donné confiance et nous a donné l’envie de créer notre propre label. Et il y avait aussi des gens qu’on connaissait depuis longtemps et avec qui on avait envie de faire de la musique mais qui avaient besoin d’être un peu guidés.

David : Et puis, aussi, l’idée de développer des projets de A à Z était un vrai challenge...

Deewee c’est un label, un studio, une esthétique. C’est aussi un son, une famille, presque. On imagine un croisement entre Warp pour le coté avant-garde et Motown ou Stax pour le coté familial et l’unité sonore. Il y a un peu de ça ?

David :  On a pris un peu tous les labels qu’on aimait. Dans le cas de Motown, ce n’était pas uniquement le son en effet : les mêmes musiciens jouaient avec tous les artistes du label et en plus leur idée était d’avoir une petite famille. Et c’est vraiment le cas chez nous aussi. Et, comme tu dis, Warp, symbolise le fait d’avoir l’esprit ouvert. Mais on n’a pas voulu faire un truc rétro, même si on travaille avec pas mal de " vieilles machines ".

Stephen : C’est aussi un peu Factory, un label qu’on aime bien parce qu’il n’était pas à Londres mais à Manchester. L’identité visuelle de Peter Saville était intéressante et totalement différente de ce qui se passait à Londres où dans le reste du monde. Toutes ces références à ces labels sont vraiment hyper cool mais au fond, on a surtout essayé de donner du sens à notre building, à notre label... C’est l’idée de tout cataloguer, de tout numéroter, de faire attention à tous les détails, de nous pousser à faire des choses inédites pour nous, comme sortir un bouquin. On s’oblige à innover pour ne pas revenir dans le " vieux système ".

Et puis il y a le design inventif, les pochettes hyper soignées... Déjà il y a 25 ans, avec Soulwax, vous créiez de fausses pochettes de 45t dans les leaflets de vos albums...  Et là, on est dans la pièce de votre building où vous rangez votre collection de 55 000 vinyles... Pour vous, une belle pochette de disque c’est super important ?

David : Oui, c’est clair que vu que notre papa était DJ, on a grandi avec des disques. Le psy amateur pourra en conclure que c’est pour ça que nous avons créé un espace comme celui-ci (rires). L’importance des pochettes, c’est quelque chose qui nous vient de l’enfance, on a ça en nous depuis notre naissance même. Mais on est aussi très conscient du fait que le côté visuel est encore plus important maintenant qu’il y a 10, 15 ou 20 ans. Et n’avoir que la musique, sans le côté visuel, nous semble moins intéressant. Ça fait définitivement partie du monde dans lequel on évolue : pour être pertinent, il faut un bon visuel.

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« On a toujours ce fantasme que quelque chose de très underground devienne, par hasard, la norme »

Deewee est aussi un média global. Dans l’épisode 1 de votre Deewee TV, on découvre vos artistes et vous vous interviewez vous-même... Plus besoin de journalistes quoi !

Stephen : Il y a tant de choses qu’on n’a pas encore fait ! Deewee, ce n’est pas seulement les disques, c’est aussi les bouquins, les instrus mais aussi plein d’autres choses. David et moi on a toujours été intéressés par la culture pop, surtout quand elle transgresse les codes du mainstream et pas que dans la musique mais aussi au cinéma, à la télé, dans la mode... Il y a toujours ce fantasme que quelque chose de très underground devienne, par hasard, la norme. C’est quelque chose qui nous passionne. Quand on a fait Deewee TV, on n’avait pas dans l’idée de devenir un média global mais plutôt de faire des choses nouvelles comme réaliser notre propre interview. La télévision a toujours été une référence pour nous et a toujours été une grande influence. Dave et moi, quand on était petits, on a grandi avec la télévision hollandaise, belge, française…Ça fait beaucoup d’influences différentes et de cultures différentes. C’était un peu le web avant le web ...

David : Avec Deewee TV, l’idée n’est pas non plus d’éviter les journalistes. On a voulu pour une fois, ouvrir la porte de notre univers, montrer ce qui se passe ici mais à notre manière, en pouvant contrôler ce qu’on montre.

C’est super cool d’accueillir Jam alors... Merci ! Avec Deewee, on sent que Soulwax se réinvente une nouvelle fois. C’est quelque chose de fondamental dans votre carrière. Vous en avez conscience ou est-ce quelque chose de totalement naturel ?

David : C’est assez naturel mais on cherche toujours à faire des choses que l’on aimerait voir ou écouter. On a besoin que les choses changent à chaque fois.

Stephen : On n’arrive pas à refaire deux fois la même chose. Tout notre parcours est basé sur l’idée qu’on s’ennuyait, qu’on n’était pas heureux de n’être qu’un groupe indie-rock, ou de n’être qu’un duo de DJ’s. On a besoin de tout le reste...

Est-ce qu’on peut considérer que le fait d’avoir composé la B.O. du film "Belgica", a été le point de départ de Deewee ?

David : On a commencé le label avant mais c’est vrai que c’est le premier grand projet qu’on a fait après avoir construit le building. Et c’est vrai qu’on a rencontré Charlotte Adigéry grâce à cette BO, comme Boris et Oli.

Stephen : Quand Félix Van Groeningen a eu l’idée du scénario, il voulait absolument nous inclure dans son projet pour l’aspect musical. C’est vrai qu’après "Belgica" on s’est rendu compte de tout ce qu’on pouvait faire dans ce building, dans notre studio comme travailler rapidement par exemple. On n’a eu que deux-trois mois pour tout faire et on y est arrivés. Après "Belgica" on a "rodé" notre building. On a accueilli un groupe hardcore avec Igor Cavalera de Sepultura. On a aussi monté un groupe de Rockabilly avec le mec de Guana Batz. On adore aller dans différents styles. Après cette période de rodage on était totalement prêts pour réaliser nos projets. C’était une bonne façon d’inaugurer le bâtiment.

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Vous êtes aussi de vrais geeks. Vous avec sorti le single de Laima en double vinyle et il faut les jouer simultanément pour avoir le son complet... Il y a des années, quand c’était la mode des morceaux cachés sur les CDs, vous avez été parmi les premiers à le placer avant la plage 1 ! Quelqu’un ne l’a remarqué que par hasard. Bref, vous avez toujours voulu utiliser tout ce qui était possible...

David : En fait, c’est un mec qui faisait du mastering qui nous avait dit qu’on pouvait cacher un morceau avant le premier track sur un CD. Mais c’est vrai que nous essayons de faire les trucs que personne n’a encore réalisé. Par exemple, avec l’arrivée du streaming, plutôt que faire une simple compilation de 2Many DJ’s, on a préféré attendre 10 ans faire les 24H de Radio Soulwax. Notre objectif est vraiment de faire ce qui nous intéresse.

Stephen : Dave et moi, nous aimons réfléchir à la manière de déconstruire les innovations musicales comme le format CD ou encore Spotify. Ça a toujours été dans notre ADN, notre esthétique.

« Ce qui nous rend le plus fiers c’est de devenir fans des artistes avec qui nous travaillons »

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Parlons des artistes de Deewee. Comment sélectionnez-vous les artistes du label ? Et comment est venue l’idée de cette compilation ?

Stephen : Au départ, ce qui importait était de faire de la musique ici avec tous ces artistes. Mais dès que la musique est produite, dans nos têtes, c’est comme si elle était déjà sortie sur vinyle. On est déjà sur un autre projet. Pour la compile, c’est Because, le label français qui nous distribue, qui a voulu nous aider à avoir plus de visibilité et de bosser de façon un peu plus professionnelle. Et cette compilation était vraiment une bonne idée pour ça. À la base nous n’aimons pas regarder en arrière et on a été d’accord pour faire la compile mais à condition de mettre trois nouveaux morceaux de Movulango, James Righton et Charlotte Adigéry dessus. Cela dit, c’était très compliqué de choisir les morceaux... C’est Dave qui s’est occupé de faire la sélection.

David : L’idée était de faire comme pour un DJ set. Tu commences lentement pour finir avec des titres beaucoup plus rapides. La compile commence à 100 BPM et le tempo ne fait qu’augmenter.

Stephen : Il faut aussi préciser qu’il y a des morceaux sur la compile comme Italove d’Emmanuelle qui valent pas mal d’argent sur Discogs. Beaucoup de gens nous demandaient de le represser mais nous sommes des puristes des vinyles et un repress allait un peu à l’encontre de notre façon de penser. C’était un bon compromis de replacer des titres qui valent beaucoup d’argent online sur une compile. Nous avons essayé de trouver un bon équilibre entre les morceaux que le public voulait voir repressés et ceux que Dave et moi nous aimons.

Comment travaillez-vous avec les artistes du label ? C’est vous qui allez vers eux ou l’inverse ? Quel est le fil conducteur du son Deewee ?

David : Bonne question... Dave et moi nous sommes multitâches. C’est-à-dire que nous avons toujours 4 ou 5 projets en même temps. C’est difficile mais cela fonctionne. Cela varie aussi en fonction des artistes. Certains viennent nous faire écouter leurs dernières productions et pour d’autres nous leur disons "Ce ne serait pas le moment de produire quelque chose ?" Ce qui est génial, c’est que grâce à toutes ces collaborations, nos esprits restent frais. Soit, on pousse les artistes à faire quelque chose qu’ils n’avaient pas encore fait. Soit ce sont eux qui nous font découvrir des nouvelles choses.

Stephen : Nous voulons vraiment que notre studio soit un espace où les musiciens peuvent expérimenter. Faire des trucs qui sortent de la norme. En 5 ans, la manière dont les jeunes artistes sortent leur musique a beaucoup évolué. C’est en tout cas très différent de quand on a commencé. Avant, tu pouvais te rater en concert, tu pouvais faire des erreurs, le monde était ouvert à cela. Maintenant, si tu es un musicien de 18 ans et que tu veux essayer quelque chose de nouveau, tu ne vas jamais le faire sur scène. Tu sais qu’il y aura quelqu’un dans la salle avec un téléphone pour te filmer et ça peut se retourner contre toi. Notre studio est devenu une safe place pour que les artistes puissent expérimenter.

 

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Dans une interview Deewee TV, vous posez la question aux artistes : " What is your favorite mistake ? " Vous pensez que les erreurs sont importantes ?

Stephen : Le Business de la musique n’aime pas les erreurs car elles ne peuvent être contrôlées. Pourtant les choses les plus précieuses dans la musique viennent toujours des erreurs. Elles sont hyper importantes. Pour que ça fonctionne, il faut évoluer dans une culture où tu peux faire des erreurs, où elles peuvent exister. Mais j’ai l’impression que de plus en plus la culture dominante se ferme à cela.

Est-ce que vos artistes peuvent venir de n’importe quel endroit de la planète ? Est-ce que ça ne complique pas l’ambition de proposer un son homogène ?

Dave : Oui ils peuvent venir de n’importe où mais la chose la plus importante c’est que nous les considérons d’abord comme des amis.

Stephen : C’est ce que nous disait un fan lors d’une interview pour Rough Trade la semaine dernière. "I wanna play music for Deewee, let’s become friends !" (Rires) Dans un sens il a raison, la moitié des artistes Deewee sont des gens qu’on connaissait déjà. A l’inverse, il y a des gens comme Emmanuelle, qui ne faisait pas de musique. Mais Dave et moi étions conscients qu’elle voulait essayer. Un autre exemple : Moses. On a travaillé énormément avec lui car il pouvait venir au studio tous les jours. C’est le projet sur lequel nous avons le plus travaillé, nous avons pris le temps de lui permettre de découvrir son propre son. En musique, il faut toujours essayer de trouver ce qui te démarque et ça prend beaucoup de temps. Avec Deewee, ce qui nous rend le plus fiers c’est de devenir fans des artistes avec qui nous travaillons !

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