L’horloge tourne. Olivier Vandecasteele aligne les jours en prison, dans sa geôle iranienne. Cela va bientôt faire un an, le 24 février, que ce travailleur humanitaire est enfermé en Iran et sa santé se dégrade. Prochaine échéance : le 15 février.
À cette date, la Cour constitutionnelle se penchera sur le recours en annulation contre la loi du 11 mars 2022 autorisant notamment l'échange de prisonniers entre la Belgique et l'Iran. Cette loi d'assentiment au traité de transfèrement de personnes condamnées a déjà été suspendue par la Cour, le 8 décembre 2022.
À quoi peut-on s’attendre ? Quel sera l’impact de cette décision sur le sort d’Olivier Vandecasteele?
Pour rappel, le sort d’Olivier Vandecasteele semble lié à celui de l’Iranien Assadollah Assadi, condamné en Belgique à une peine de 20 ans de prison pour un projet d’attentat terroriste contre l’opposition iranienne, près de Paris. Les autorités iraniennes se serviraient du Belge pour tenter de faire libérer A. Assadi. Le traité de transfèrement permettrait un échange de prisonniers entre les deux pays.
Des opposants iraniens, qui étaient parties civiles au procès d’A. Assadi, ont cependant introduit un recours en suspension et en annulation contre ce traité, devant la Cour constitutionnelle.
La suspension étonne
La 8 décembre dernier, cette dernière a donc suspendu le traité. Théoriquement, cela n’implique pas que la Cour décide ensuite d’annuler le dit traité. La suspension se décide relativement rapidement, la Cour peut ensuite prendre le temps d’analyser le dossier plus en profondeur, d’entendre les arguments des différentes parties et de nouveaux éléments peuvent par ailleurs survenir.
C’est le cas, dans ce dossier, puisqu’on a appris la condamnation, en Iran, d’Olivier Vandecasteele à une peine d'emprisonnement de 28 ans (portée depuis à 40 ans et 74 coups de fouets) quelques jours après la suspension du traité.
Cela dit, de manière générale, quand la Cour constitutionnelle suspend, elle finit presque toujours par annuler. Mais les cas sont trop rares pour pouvoir en tirer des conclusions. Et c’est bien ce qui étonne un certain nombre de juristes.
Céline Romainville, professeure en droit constitutionnel à l’UCLouvain (et signataire, avec une soixantaine de juristes, d’une lettre ouverte exigeant la libération d’Olivier Vandecasteele), se dit surprise par cette décision de suspension : "La Cour constitutionnelle n’a pas une grande habitude de la suspension."
La Cour a été plus généreuse dans son interprétation que ce qu’elle a pu être dans d’autres cas, et je ne m’explique pas pourquoi.
"Dans ce cas-ci, poursuit-elle, elle a estimé qu’il y avait un risque de préjudice grave difficilement réparable pour les plaignants. La Cour a été plus généreuse dans son interprétation que ce qu’elle a pu être dans d’autres cas, et je ne m’explique pas pourquoi."
"Très hypothétique"
Le constitutionnaliste Christian Behrendt (ULiège) se dit, lui aussi, interloqué : "Les requérants défendent le fait que, si la loi - et donc le traité - entre en vigueur, alors A. Assadi sera transféré en Iran, et que, comme il a été condamné pour des faits de terrorisme, il risque de commettre un nouvel attentat dont eux seraient de potentielles victimes. C’est très particulier comme raisonnement, c’est quand même très hypothétique ! Or, la Cour les a suivis!”
Ceci nous amène à un autre point que Céline Romainville considère étonnant, dans la décision de la Cour constitutionnelle. "La Cour n’est censée examiner que la loi d’assentiment au traité, explique la constitutionnaliste. Or, elle n’analyse pas tellement le traité lui-même mais le traité en ce qu’il s'appliquerait au dossier Assadi. Elle anticipe la manière dont le traité sera appliqué. Or, dans plein d’autres cas, la Cour se réfugie justement derrière l’argument que ce n’est pas la loi en elle-même qui pose problème pour ne pas la suspendre."
"Et la Cour ne prend par ailleurs pas vraiment en compte les conséquences concrètes de l’application du traité pour Mr. Vandecasteele."
Portes de sortie
Les deux constitutionnalistes notent que la Cour avait plusieurs portes de sortie possibles, pour éviter de se prononcer sur le fond dans une affaire où, vu la complexité de la situation, "elle n’a pas toutes les cartes en main, pas accès à toutes les informations dont disposent l’exécutif, la diplomatie ", précise Céline Romainville.
Qu’est-ce qui a motivé la décision de la Cour ? Impossible de le savoir : le délibéré est secret. Tout comme il est difficile d’anticiper la décision qui sera la sienne quant à l’annulation de la loi.
Tout est encore possible.
"Tout est encore possible. Plusieurs arguments peuvent la pousser à ne pas annuler, dont l’obligation de l’Etat belge de garantir le droit à la vie d’Olivier Vandecasteele", estime Céline Romainville. Christian Behrendt est plus sceptique, au vu de la jurisprudence déjà évoquée (dans la plupart des cas, quand la Cour suspend, elle annule ensuite) : "Ce serait une manière [pour la Cour constitutionnelle] de se dédire très largement."
Diplomatie silencieuse
Dans ce genre de dossiers, d'autres États font le choix de la diplomatie silencieuse, sans contrôle, en dehors de l’État de droit. Le gouvernement belge a, lui, voulu rester dans les clous, il a opté pour un cadre légal pour résoudre cette affaire.
"En tant que juriste attachée à l’État de droit, affirme Céline Romainville, je ne dirais pas que la pure opacité de la diplomatie silencieuse est la panacée, mais je pense que l’on doit accepter que, dans ce type de cas particulièrement complexe avec une grande dose de secrets, le contrôle judiciaire ne soit pas aussi plein que dans d’autres cas, qu’il soit modulé."
Christian Behrendt pose la question : "Une majorité parlementaire s’est prononcée en faveur du traité, était-ce à la Cour de refaire le débat ?". Elle l’a pourtant bien relancé, l’issue devrait être connue dans les jours qui suivront l’audience du 15 février.
Si le traité est annulé, il n'y aura pas de cadre légal pour un potentiel échange de prisonniers. Le gouvernement, et les diplomates, devront chercher d'autres solutions.