Belgique

Olivier Vandecasteele : le gouvernement a-t-il bafoué l’Etat de droit ?

© Instagram : @Vladvdk / RTBF

Par Daphné Van Ossel

Olivier Vandecasteele dans les bras de ses proches, et tout un pays qui vibre de soulagement. Voilà pour l’avant-scène. En coulisses, comment la situation s’est-elle débloquée sur le plan légal ? Au centre de toutes les attentions pendant des semaines, le traité de transfèrement n’a finalement pas été utilisé. Comment le gouvernement a-t-il procédé et est-il resté dans la légalité ?

La libération d’Olivier Vandecasteele n’a pu se faire qu’en échange d’Assadollah Assadi, condamné en Belgique à une peine de 20 ans de prison pour un projet d’attentat terroriste contre l’opposition iranienne, près de Paris. Ce dernier est sorti de sa prison belge et a rejoint l’Iran, où il a été accueilli en héros.

Le gouvernement avait d’abord choisi pour cet échange une voie légale : celle balisée par la légilsation de 1990 en matière de transfèrement. Cela a impliqué la négociation et la signature d’un traité de transfèrement entre la Belgique et l’Iran, adopté au Parlement en juillet dernier, qui permet à un détenu de purger le reliquat de sa peine à l’étranger. Mais c’est finalement sur la seule base de l’article 167 de la Constitution que l arrêté royal qui a permis l’échange, signé ce mercredi 24 mai, a été adopté.

 

Cette disposition donne le pouvoir gouvernement fédéral de prendre des décisions seul en matière de relations diplomatiques

Que dit cet article ? Il précise que la conduite des relations internationales relève du pouvoir exécutif. "Cette disposition donne le pouvoir au roi, entendez au gouvernement fédéral, de prendre des décisions seul en matière de relations internationales et diplomatiques, explique Céline Romainville, professeure en droit constitutionnel à l’UCLouvain, qui suit ce dossier de près. "Il peut par exemple négocier avec d’autres Etats, diriger les relations diplomatiques ou poser des actes en vue du rapatriement d’un ressortissant qui serait dans une mauvaise situation à l’étranger."

Sur la question spécifique des transfèrements de personnes condamnées, il existe par contre une loi (de 1990) qui stipule que toute décision de transfèrement en Belgique doit passer par un traité qui doit faire l’objet d’un assentiment par la Chambre des représentants. "Cette loi vient donc restreindre la marge de manœuvre du pouvoir exécutif reconnue à l’article 167 : si on suit cette loi et qu’on considère que ce que l’exécutif a pris comme décision par rapport à Monsieur Assadi est bien un transfèrement alors il fallait un traité et une loi. C’était d’ailleurs l’analyse du gouvernement jusqu’il y a quelques semaines.

Mais il n’y a finalement pas eu de mise en œuvre du traité. "Je pense que le gouvernement a voulu sortir du cadre du transfèrement en requalifiant la situation en disant que ce n’est plus un transfèrement mais un accord international pur et dur." La ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib, insiste d’ailleurs dans ses interviews pour dire qu’il s’agit d’un accord et non d’un échange, serait-ce lié ?

Affaire Vandecasteele : INVITÉ Hadja lahbib

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"Menace grave pour la sûreté nationale"

Dans son arrêté, le gouvernement invoque "une menace grave, imminente et continue pour la sûreté nationale de la Belgique à laquelle une réponse urgente doit être apportée". Cela pourrait-il aussi justifier le fait de ne pas appliquer la loi de 1990 ?

"J’imagine que l’argument de la menace sert en effet à justifier le fait que l’on fonctionne en dehors de cette loi de 1990. Cependant, il n’y a pas de régime juridique de l’urgence dans la Constitution, ni de régime des situations exceptionnelles. Et il n y en a pas davantage dans la loi de 1990."

Pourquoi avoir contourné ce traité de transfèrement sur lequel le gouvernement comptait pourtant s’appuyer dans un premier temps ? Pour rappel, le traité avait été attaqué devant la Cour constitutionnelle par des opposants iraniens (qui étaient parties civiles au procès d’Assadolah Assadi) qui demandaient son annulation. Dans l’arrêt qu’elle a rendu, la Cour constitutionnelle validait le traité, mais exigeait que, si le gouvernement prenait une décision de transfèrement, il devait en informer les victimes, pour qu’elles puissent introduire un recours.

"Sans doute que cet élément-là, qui implique que la procédure aurait pu prendre du temps, a incité le pouvoir exécutif à se passer du suivi des procédures en matière de transfèrement". C’est effectivement ce qui revient dans certains propos donnés en off au niveau du gouvernement fédéral.

Autre point soulevé par la constitutionnaliste, dont on ne sait pas si il a effectivement joué : le traité de transfèrement implique que le détenu exécute le reliquat de sa peine dans le pays où il se rend. "Cela aurait voulu dire que Assadi aurait dû exécuter sa peine en Iran, ce qui n’était pas assuré, mais cela revenait aussi à s’engager à faire exécuter le reliquat de la peine de Monsieur Vandecasteele, or évidemment on la contestait."

Pourquoi maintenant ?

Mais pourquoi le gouvernement a-t-il décidé seulement maintenant de changer de stratégie ?

"Je ne me l’explique pas non plus. Ils ont voulu très longtemps 'rester dans les clous', et puis ils sortent de la voie qu’ils ont eux-mêmes tracée. On peut se demander pourquoi ils n’ont pas utilisé cette option dès le début. J’imagine qu’il y a des éléments, de sécurité intérieure et extérieure, de dégradation de l’état de santé d’Olivier Vandecasteele, qui ont dû jouer. "

On en revient donc à une décision "pure et dure" de l’exécutif. Pour certains, comme pour le chef de groupe N-VA au Parlement fédéral, Peter De Roover, "on a bafoué l’Etat de droit". Pour Céline Romainville, il faudra attendre d’en savoir plus pour trancher. Elle précise par ailleurs : "Dans la plupart des Etats, ça se passe comme ça et ça ne commence pas autrement, on n’essaie pas de faire entrer ce genre de décision dans l’Etat de droit." Il faut mettre au crédit de la Belgique d’avoir essayé. Longtemps.

L'arrêté royal signé ce 24 mai 2023 :

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