Belgique

OGM à tout prix, cours dépassés : les étudiants bioingénieurs dénoncent le décalage entre leurs études et les enjeux écologiques

© Tous droits réservés

Par Sophie Mergen

Un vent de fronde souffle sur les bancs de l'université. "OGM à tout prix", "gros retard", "cours dépassés" : des étudiants bioingénieurs se rebellent, dénonçant une formation en décalage complet avec les enjeux climatiques actuels. 

"Plusieurs étudiants sont véritablement en crise existentielle" lance Molly, étudiante en agronomie à l'Université Libre de Bruxelles. "Beaucoup se disent : 'qu'est-ce que je vais faire demain avec les outils qu'on m'a donnés?'"

"Il y a encore des cours de biotechnologie où on se demande quel message les profs veulent faire passer"

A l'ULB, une centaine d'étudiants bioingénieurs se sont rassemblés autour d'une conférence-débat remettant en question leur formation. "Beaucoup d'experts disent que la solution qu'on doit adopter, c'est l'agroécologie. Or quand on regarde les programmes de cours, on est loin de tout ça. Dans certaines facs, on ne mentionne même pas l'agroécologie!" dénonce Fabre, étudiant en agronomie. "Et encore, à l'ULB, je me considère comme l'un des mieux lotis par rapport à d'autres institutions" ajoute-t-il. 

Il y a un gros retard

Mais quel est le problème exactement? "Certains cours sont trop pro-OGM ! (...) Il y a un gros retard. Il y a un manque de terrain, et un manque cruel de sciences sociales. Des ingénieurs qui ne pensent que technique, ce n'est plus du tout compatible avec les défis actuels" explique Fabre. 

Face à ce décalage, certains jeunes bioingénieurs ont décidé de bifurquer. De changer de voie, diplômés ou pas. 

© Tous droits réservés

"Ce retard est le miroir du retard de la société"

C'est au beau milieu des champs, les mains plongées dans la terre, sous la chaleur étouffante d'une serre, que nous rencontrons Amélia Baybay. Armée de son diplôme de bioingénieure, elle aurait pu suivre la voie toute tracée et travailler dans l'industrie agroalimentaire. Mais elle a fait un choix radicalement différent. Celui de renoncer au poste à responsabilités et au salaire juteux, pour se lancer en tant que maraîchère.

Avec sa collègue Marine Lewuillon, elle aussi bioingénieure, elle a créé un projet d'alimentation durable basé sur l'autocueillette. "Cette année, on prévoit de nourrir 170 personnes. Et à terme, 230" se réjouit Amélia. 

© Tous droits réservés

Derrière ce choix de vie, une remise en question du parcours qui semblait s'imposer à elle en sortant de l'université. 

"Dans mon cursus, en bachelier, on a très peu parlé du bio. Les OGM étaient cités en exemple car ils permettaient des bons rendements. Ce sont tous des moments où je me mettais en 'off' du cours" raconte Amélia. "A refaire, je ne sais pas si je referais la même formation. (...) Il y a un gros retard. Mais c'est le miroir du retard de la société". 

A refaire, je ne sais pas si je referais la même formation

 Ce choix n'est cependant pas simple sur tous les plans. "Pour l'instant, on se rémunère 1200 euros net alors qu'en tant que bioingénieure je devrais être à 2500. Cela me déprime!" sourit-elle"Mais je n'ai pas de regrets" assure-t-elle. 

Quand étudiants (et professeurs) se rebellent

Dans plusieurs universités, des élèves remettent en question leur cursus. "Beaucoup d'étudiants se demandent vraiment si ce qu'on nous enseigne est ok" témoigne Molly.

Une contestation qui fait écho à celle des étudiants français de la prestigieuse école AgroParisTech. Lors de leur cérémonie de remise de diplômes, en mai 2022, huit étudiants avaient lancé un "appel à déserter".

Loading...

"Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir faire mine d'être fières et méritantes d'obtenir ce diplôme à l'issue d'une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours" avait alors déclaré l'une des étudiantes. La vidéo de leur coup de gueule avoisine le million de vues sur Youtube. 

En Belgique, la contestation n'a pas encore pris de telles proportions. Mais elle prend forme au détour des couloirs ou lors de soirées-débats. 

Il faudrait éliminer certains cours

Certains professeurs comprennent, et participent même à cette contestation. C'est le cas de Marjolein Visser, professeure à l'Université Libre de Bruxelles. Elle a été l'une des pionnières de l'agroécologie à l'Université. "Quand j'entends l'avis des étudiants, je pense qu'on l'on peut dire que certains cours sont dépassés et qu'il est grand temps soit de les éliminer, soit de les réformer de l'intérieur". 

© Tous droits réservés

Pour cette professeure, il y a du pain sur la planche. "Il y a beaucoup de choses à faire, mais je vois bien à quel point c'est difficile de changer les choses".

Personne ne regarde ce qu'un professeur donne comme cours

En voici l'explication, selon elle : "Le problème, c'est que le changement au niveau du contenu d'un cours ne vient qu'au départ d'un prof et au recrutement d'un nouveau prof. A ce moment-là, on peut espérer que cela change. Mais à part ça, c'est très difficile d'influencer le contenu".

© Tous droits réservés

De nouvelles initiatives pour "verdir" les études 

Soucieux de donner aux étudiants un espace de recherche plus en phase avec les enjeux actuels, des bioingénieurs ont décidé de se mobiliser pour changer les choses. Ils ont mis en place le premier laboratoire à ciel ouvert 100% bio en Wallonie, créant par la même occasion le BRIOAA (Institut belge de recherche sur l'agriculture biologique et l'agroécologie). 

Au cœur d'Upigny, les champs s'étendent sur soixante hectares de terrain. "Si on prend un morceau de terre en surface, on voit qu’elle se défait très facilement, ce qui montre que c'est une terre bien équilibrée" explique Nicolas Luburic, cofondateur du BRIOAA et coordinateur de la spécialisation "bio" à la Haute Ecole de la Province de Namur. 

Il est temps que l'enseignement s'adapte

"C'est un terrain de jeu génial pour les étudiants, on leur montre un maximum de choses pratiques. Ils ont l'occasion de venir voir comment cela se passe en agriculture bio". 

© Tous droits réservés

Pour Nicolas Luburic, l'enjeu est crucial. "Il est vraiment temps que l’enseignement s’adapte à la réalité du terrain et aux demandes des étudiants". 

Il faut former aujourd'hui les étudiants pour que demain, ils puissent faire avancer l'agriculture

"On est à un moment clé au niveau du changement climatique… L'agriculture doit s’adapter. Il faut aussi s'adapter au manque de pétrole qu'on aura demain, à l'alimentation qu'il faut modifier. Il faut donc qu'on forme aujourd'hui les étudiants pour que demain, ils puissent faire avancer l'agriculture afin qu'elle puisse répondre aux besoins des populations". 

Certaines réformes naissent donc ça et là. Mais les disparités restent importantes entre régions, et entre institutions. Parfois même d'un cours à l'autre, d'un professeur à l'autre. 

L'enjeu est de taille. La pression des jeunes aussi. 

Le reportage du Journal Télévisé 

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous