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Odezenne : 1200 mètres d’amour, en vers et contre tout

© Odezenne_Edouar_Nardon_Clement_Pascal

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Par Aline Glaudot

1200 mètres en tout. C’est le titre du troisième album des frères d’armes d’Odezenne sorti ce vendredi et qui clôturent en 15 chapitres les moments de hautes turbulences observés ces deux dernières années. Quinze morceaux comme autant de photographies sur lesquelles ils cristallisent, avec justesse et poésie, la maladie, la disparition d’êtres chers, le deuil et la naissance.

On a discuté un matin de lendemain de veille avec Alix et Jacques de la vie, de la musique comme refuge, du temps qui passe et puis d’amour aussi, en vers et contre tout.

© cover album 1200 mètres en tout

Salut Alix, salut Jacques. En rentrant de votre tournée, début 2020, vous racontez n’avoir pas du tout imaginé vous retrouver pour composer si rapidement… et puis on imagine ce qui s’est passé, alors à quel moment vous êtes-vous rendus compte que vous faisiez un album ?

Alix : A la fin de l’été 2020 quand on avait déjà sorti deux titres Hardcore et Caprice, beaucoup de chansons sont tombées comme des fruits qu’on n’avait pas prévu de cueillir si vite. Et puis il y avait une certaine cohérence à tout ça, on s’est dit que c’était plus que juste des chansons. On s’est dit que ce qu’on était en train de vivre était suffisamment spécial et riche en émotion et que c’était dommage de ne pas le fixer sur un disque comme une page de notre histoire. On a toujours fonctionné comme ça. C’étaient de sacrés pages.

Cet album fût inévitablement un refuge pour le groupe par rapport à la réalité extérieure, à ce qui se passait autour de vous, vous êtes d’accord avec ça ?

Alix : Complètement, j’ai compris que j’avais beaucoup de chance d’avoir Odezenne. C'est un projet suffisamment large pour pouvoir accueillir des trucs perso et les transformer en des gestes beaux et un peu plus universels que simplement garder de la douleur où de la joie pour soi. Avec Jacques et Mattia qui me connaissent depuis super longtemps, on est comme une famille recomposée. Je pense que c'est ce qui fait que j’ai eu moins de difficultés à vivre les évènements de ces deux ans, en l’occurrence : la mort de mon père, la maladie de ma sœur, la mort de ma sœur, la future naissance d’un bébé.

C’est difficile de trouver les bons mots, j’ai du mal à parler de tout ça parce que je trouve que c’est impudique mais en même temps on a fait le choix de le mettre dans le disque et je ne peux pas ne pas m'expliquer.

Jacques : Oui, pour moi aussi et puis ce n’est pas comme si je ne connaissais pas très bien sa sœur et son papa. Mais il y a d’autres choses aussi. C’est album c’est tout une photographie, en même temps belle, joyeuse et triste.

Alix : Il y a un truc en tout cas de digestion des émotions, c’est une vraie soupape recrachée à trois. C’est très égoïste finalement car je suis en train de dire que moi ça m’a fait beaucoup de bien.

Je suis content aujourd’hui quand on dit que le disque est plutôt lumineux alors qu’on a vécu l’une des périodes les plus sombres de notre histoire et que malgré tout on a fait un disque. Je crois à la grande force de notre groupe, d’arriver à voir la lumière.

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"Au Baccara", vous l’avez dit dans beaucoup de vos interviews, évoquait le thème du jeu et formait du coup un album un peu plus jouette, espiègle. Ici, vous abordez des thèmes beaucoup plus complexes, introspectifs, plus personnels comme l’espoir, le deuil et puis l’amour toujours pour affronter certains évènements de la vie…

Alix : Oui, l’amour. L’amour sous des nouvelles formes parce que dans le deuil aussi il y a la révélation de l’amour. Quand tu perds un parent, c’est une forme d’amour très particulière, et face au deuil on redécouvre l’amour avec ceux qui restent. La maladie, le combat dans la maladie, ce sont aussi des choses qui se révèlent, des choses que tu n’avais pas prévues de dire et un enfant qui arrive c’est encore une nouvelle forme d’amour. L’amour est vraiment hyper présent dans ce disque sous plein de formes.

Jacques : Moi c’est la première fois où je parle quasiment que d’amour. Dans tous les morceaux j’en parle. Ce que je ne faisais pas avant. En grandissant on finit par être plus honnête avec soi-même. Ce n’était pas de la pudeur c’était parce que je ne trouvais pas ça beau et qu’aujourd’hui je trouve que ça l'est.

Il faut avoir vécu des choses dures pour pouvoir en parler ?

Alix : Pour se rendre compte que c’est un super véhicule en tout cas.

Jacques : Il faut vivre des choses pour se rendre compte que c’est précieux, oui.

Le thème du jeu, du second degré aussi sont toujours bien présents malgré tout, vous êtes d’accord ?

Alix : Oui carrément, d’ailleurs dans Deux traits et Regarde si c’est loin on en a mis beaucoup. Ce sont des morceaux qu’on a composés dans le jeu. Des morceaux qu’on a faits en une prise et certains étaient cools ! Bitch, c’est aussi un morceau comme ça : totalement lâché prise, où tu te prends moins la tête.

Odezenne regarde dans le rétroviseur peut-on lire dans le communiqué de l’album. On dit bien souvent de vos chansons qu’elles expriment une certaine nostalgie, une certaine mélancolie… Vous êtes d’accord avec ça ?

Alix : La mélancolie ça va, c’est la tristesse avec laquelle je suis moins d’accord. Dans la mélancolie il y a un truc de belle tristesse. Je pense que Mattia (producteur et troisième membre du groupe) aussi est vachement responsable de cette teinte un peu mélancolique vu qu’il est lui même un être assez mélancolique. C’est lui qui est à l’origine de cette couleur, cette sensibilité.

C’est quoi votre remède à la mélancolie et au vague à l’âme ?

Alix : Bizarrement on n'est pas des êtres mélancoliques, on se marre tout le temps. Je ne sais pas pourquoi on écrit beaucoup de chansons comme ça parce que dans la vie de tous les jours, je ne suis pas du genre à regarder par la fenêtre les feuilles qui tombent…

Jacques : Après, je ne pense pas qu’il faille de remède, il faut le vivre sinon tu fais l’autruche et tu perds ton temps. C’est joli la mélancolie.

Alors qu’au départ vous vous disiez frileux, progressivement on voit que vous multipliez les collabs : Moussa sur l’album Au Baccara, sur un morceau de Mansfield TYA, à qui vous rendez l’appareil dans Danse de mauvais goût, vous apparaissez également sur l’album Rone & Friends. Comment choisissez-vous vos partenaires ?

Alix : Ce sont des amis, des gens qu’on rencontre. Ce sont des gens qu’on aime bien, qui nous touchent, dont on apprécie la façon de faire de la musique. Julia (Mansfield TYA) elle a une super voix, elle écrit vachement bien et malheureusement on s’est rencontré sur un thème triste, elle avait perdu sa copine et moi mon père. Là on a fait quelques morceaux avec Muddy Monk qui sortiront un jour et pareil, ça s’est fait par hasard parce qu’on s’apprécie beaucoup. Mais c’est vrai qu’au début on ne s’autorisait pas à faire des morceaux avec d’autres gens parce qu’on ne s’était pas encore vraiment trouvé dans notre son. Maintenant qu’on pige ce qu’on a envie de faire ensemble, c’est sympa de mettre un nouvel ingrédient, rechercher le truc et recracher.

Jacques : Quand tu passes du temps avec des gens et que ça se passe bien, que le temps est bon, tu fais de la musique avec. On ne parle pas de musique ensemble, on parle de la vie comme avec des amis.

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On dit de votre musique qu’elle est toujours en constante évolution… Comment vous la qualifieriez sur cet album ?

Alix : En fait, d’album en album on se cherche, on continue à chercher, à se trouver. On se connaît de mieux en mieux et vu qu’on veut tous se faire plaisir en faisant des morceaux, on se fait des belles passes !

Jacques : Moi je trouve qu’il est mieux, qu’il est plus nous. On essaye d’être moins "soi" et plus "nous". On fait ce qu’on peut en essayant de faire du bien à l’autre.

Vous grandissez et vous évoluez vous aussi, c’est bien de grandir ?

Jacques : Oui, j’ai quarante ans et je suis super content, pas de nostalgie, ça fait depuis que j’ai 6 ans que je veux avoir quarante ans. Un homme accompli ? Je ne sais pas, je suis encore un enfant.

Odezenne c’est aussi une attention toute particulière à vos clips… Quel rapport vous entretenez avec le visuel de vos morceaux ?

Alix : Ça dépend des projets, quelquefois c’est une recherche purement esthétique, on va accompagner la chanson, trouver les bonnes images et quelquefois c’est parce qu’on a des choses à dire. Par exemple Caprice, c’était un projet pour aider ma sœur, pour lui donner un objectif, pour lui donner de la force. Danse de mauvais goût pareil, c’est un hommage à mon père : j’ai mis sa date de naissance et de mort sur la voiture, ce sont des petits trucs que personne ne sait. C’est ça aussi grandir, c’est utiliser tous les médiums possibles pour dire les choses, pour pas les laisser pourrir en soi. Puis des fois, c’est pour compléter : Mamour et le dessin animé qu’en a fait Vladimir (le réalisateur) c’était pour compléter le geste, comprendre pourquoi le vocodeur. Il n’y a pas vraiment de règle.

Jacques : On se laisse toujours porter en vrai. Il n’y a pas de feuille de route, on y va à l’instinct. On n’a pas de plan de carrière, sinon j’aurais fait autre chose. J’aurais fait de l’argent.

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Un mot sur Universeul studio : vous venez d’ouvrir votre nouveau lieu de résidence artistique, on imagine que vous avez également envie de vous lancer dans la production d’autres artistes ?

Alix : Oui c’est l’idée, ce studio va nous servir d’abord à nous pour faire nos prochains disques, nous servir à accueillir nos potes pour faire du son avec eux et signer des gens sur notre label. C’est toujours quelque chose qu’on avait en tête sauf qu’Odezenne prend beaucoup de temps. Ca a pris 10 ans à ce qu’on s’autorise à développer notre groupe, maintenant que tout se passe bien avec Odezenne on peut penser à tout ça. On est des fans de musique et il y a beaucoup de groupes qui méritent qu’on s’y attarde. On a vraiment hâte de faire les tontons !

Et puis on reçoit pas mal de messages de jeunes groupes qui sont inspirés par notre parcours, ça fait plaisir d’inspirer des gamins et on a envie de transmettre un peu. Il y a une part de trucs dans la musique qu’on maîtrise et on a envie de filer les clés.

Jacques : Plus j’y pense et plus je trouve ça excitant, j’ai vraiment hâte de prendre soin de quelqu’un. C’est important d’aider. On a une fausse idée de l’aide dans notre milieu, on pense qu’on rend service des fois et c’est faux. Nous, on veut vraiment, si on a choisi un groupe, essayer d’en prendre soin comme on prend soin du nôtre.

Elle est foisonnante la scène bordelaise ?

Alix : Oui mais on a pas envie de signer que des gens du coin. Aujourd’hui il n’y a plus de frontière. Ça sera surtout un coup de cœur, mais oui il y a belle scène à Bordeaux, il y a beaucoup de caves et donc beaucoup de groupes qui s’entraînent.

Jacques : Il n’y a pas que de la musique, ça bouge vachement bien à Bordeaux, dans tous les médiums : peinture, cinéma… Notre contrainte, c’est trouver un groupe qui chante en français. C’est important pour nous, on aime le rapport à la langue. La langue française est pleine d’obstacles mais elle est magnifique ! Quand on a commencé, on avait pas mal de potes dans des groupes qui chantaient tous en anglais :"ça ne sonne pas le français", ils disaient… Mais dire ça c’est cracher à la gueule de Gainsbourg, des Rita Mitsouko ! Aujourd’hui, la plupart des groupes en France chantent en Français, et on aime ça.

Odezenne sera au concert chez nous pour 3 dates :

10.02 @ AB - 05.03 @ Reflektor - 06.03 @ Reflektor

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