"October", l’album mal aimé de U2 !

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Par Frédéric Vandecasserie

Chez U2, deux choses ont parfois pu exaspérer jusque dans les rangs des fans pourtant prêts à pardonner beaucoup à la bande à Bono : la foi aussi gigantesque que parfois dérangeante du chanteur du groupe et sa passion pour l’exploration de tous les genres musicaux, même les plus inattendus. Et dans October, il y a les deux !

A travers October, qui célèbre ses 40 ans cette année et qui s’est le moins bien vendu de tous les disques du groupe irlandais, on retrouve le mélange des genres que Bono a toujours adoré. Parfois déroutant…

Bono a toujours aimé tout mélanger ! C'est quand même le chanteur du groupe qui signera un imparable album de rock pour stades – The Joshua Tree, suivi d’un disque où il s’associe parfois avec B.B. King – Rattle and Hum, le tout avant un album génial mais totalement expérimental où il prendra tout le monde à contre-pied : Achtung Baby.

Dans October (flop relatif puisqu'il s'en est quand même écoulé 2,4 millions d’exemplaires, contre 2,8 millions pour son prédécesseur Boy), Bono et ses acolytes font déjà un peu de tout, et là carrément au sein du même disque. Cohabitent donc pêle-mêle un slow inattendu (la plage titulaire), une tentative d’influences reggae ("Fire"), du rock plus dur ("I Threw a Brick Through a Window") et l’un ou l’autre titre qui sentent un peu le remplissage ("Tomorrow" et sa cornemuse). Le tout chapeauté par deux titres qui révèlent un Bono au-delà du mystique ("Gloria" et "With a Shout – Jerusalem").

Rajoutez à tout ceci une production parfois brouillonne signée Steve Lillywhite et vous comprendrez pourquoi ce disque a dérouté à sa sortie. En fait, il sonnait plus comme une compilation que comme un tout cohérent.

Mais il faut préciser que le groupe a des circonstances - on dira - atténuantes : au moment d’entrer en studio, trois de ses quatre membres se demandent si leur catholicisme est compatible avec leur statut de rock stars en devenir tandis que le quatrième larron (Adam Clayton) craint de se faire virer car il ne serait pas… assez catholique.

De plus, dans le backstage d’un concert à Portland, Bono se fait dérober sa mallette contenant, entre autres, tous les textes qu’il comptait chanter sur October.

Poisse à tous les étages !

Elle sera retrouvée en 2004. Ce que Bono qualifiera d’acte de grâce. On ne se refait pas…

Vers le royaume du paradis…

Vers le royaume du paradis…

Et cette tension générale se ressent bien entendu jusque dans les paroles de "Gloria", en partie en latin parce que Bono ne savait plus quoi chanter d’autre, et en partie en anglais mais sous forme d’expiation d’un groupe qui ne sait plus quelle attitude adopter face à sa nouvelle vie (I try to sing this song…). Dans une interview accordée à la BBC en 2018, le producteur du disque Steve Lillywhite résumera l’enregistrement du disque comme "Quelque chose de complètement chaotique et fou en studio et, évidemment, la perte des textes que Bono voulait initialement chanter sur ce disque a contribué à l’atmosphère parfois irrespirable".

En 2005, dans les colonnes du magazine Rolling Stone, Bono, lui, reviendra sur ce disque en ces termes : "Cet album était une tentative de nous frayer un chemin en chantant vers le royaume du paradis. Les paroles : pas mal. La musique : bizarrement, toujours aussi fascinante. Les influences : principalement Joy Division et Invisible Girls. Un bel exemple du fait qu’on peut écrire une chanson sans avoir la moindre idée de ce dont elle parle. La chanson "Tomorrow", elle, est un compte rendu détaillé des funérailles de ma mère, mais je n’en savais rien quand je l’ai écrite".

Quant à la pochette du disque, elle n’est pas aussi puissante que celle du prédécesseur Boy, avec son jeune enfant qui a fait le tour du monde. Ici, la photo a été prise dans les docks de Dublin, pas loin des studios de Windmill Lane où le disque a été enregistré. On y voit les quatre membres du groupe affublés de coiffures embarrassantes sur fond portuaire. Une image que le batteur du groupe Larry Mulen JR qualifiera de "ni particulièrement subtile ni intelligente" dans l’autobiographie U2 by U2 parue en 2006.

U2 dans ses oeuvres…
U2 dans ses oeuvres… © Paul Natkin/Getty Images
La scène comme exutoire

La scène comme exutoire

Au final, ce qui remettra le groupe sur les rails et les fans en ordre de bataille, c’est la scène ! Cela avait déjà été le cas à Bruxelles un an plus tôt.

La tournée October débute à l’automne 1981 et passera deux fois par la Belgique (à Deinze et Herenthout) avant de revenir l’été suivant chez nous au double festival de Torhout/Werchter les 3 et 4 juillet 1982. Cette première venue du quatuor irlandais sur les plaines du festival scellera une très longue histoire d’amour entre U2 et le public du festival. "C’est là que nous avons senti que nous tenions un groupe sur le point d’exploser dans le monde entier. Il n’était plus question de les lâcher", se souviendra Herman Schueremans, l’organisateur du volet de Werchter qui s’exprimait dans l’excellent podcast 50 Tinten Gras sur l’histoire des festivals belges l’an dernier.

De fait, à l’affiche avec, entre autres, Allez Allez, les Talking Heads ou Jackson Browne, le combo donne un concert dont les vaches flandriennes se souviennent encore. Le genre de prestation qui leur fait donner directement du beurre. En dix titres et une petite heure de concert, U2 privilégie les titres les plus rock de son répertoire. "I Will Follow", "11 O’Clock", "The Electric Co." et "Gloria" sont de la partie. Mais pas "October", jugée "trop mou du genou pour un festival" par Bono.

Outre ce répertoire rock en acier trempé, Bono laisse libre cours à ses instincts de bête de scène, escalade les tours de baffles, se jette à la rencontre du public au grand dam du service de sécurité et ne s’interdit pas de haranguer la foule du haut de ses 22 ans !

Et maintenant?

Et maintenant?

Alors, 40 ans plus tard, October a-t-il bien vieilli ? Oui ! Du moins à condition de le prendre pour ce qu’il est : un disque un peu décousu, à la production qui sonnait déjà vieillotte à l’époque. N’en reste pas moins qu’il contient un paquet de bonnes chansons. Pour preuve, U2 jouait encore "Gloria" sur scène lors de certains concerts donnés en 2019 ! Par contre, et c’est révélateur : parmi toutes les rééditions des disques du groupe, la nouvelle version d’"October" sur vinyle coloré limité, pourtant, est la seule encore disponible dans le commerce et pas épuisée. Bono y verra sans doute… un signe.

 

Ray Cokes a croisé Bono en 1980 et nous en parle ici...

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