Nouveau mot de l’année 2021 : Ultracrépidarianisme, n’ouvrez pas le dictionnaire !

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Par Kamel Azzouz

Ultracrépidarianisme, ce mot ne vous dit peut-être rien. Il ne s’agit pas d’un exercice de diction mais du mot de l’année 2021 que 5161 internautes ont choisi dans le cadre d’un partenariat entre le Journal Le Soir, la RTBF et le centre de recherche VALIBEL de l’UC Louvain. Inconnu des dictionnaires de référence tel le Robert, et le Larousse, ce mot désigne l’action de donner son avis sur des sujets pour lesquels on n’a pas de compétence.

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"Cordonnier, ne va pas plus haut que la sandale"

Force est de constater que le terme "ultracrépidarianisme" a le vent en poupe depuis 2020 grâce à la pandémie qui lui aura donné un nouveau souffle. Ce vocable ayant voyagé à travers les temps, les lieux, les langues et les réseaux sociaux a pour étymologie non pas une racine mais une expression latine de l’auteur romain Pline l’Ancien : "Sutor, ne supra crepidam".

Michel Francard, Professeur émérite de linguistique de l’UC Louvain, nous livre le récit rapporté par l’écrivain historien romain : "Cette anecdote concerne un peintre grec prénommé Appelle. Il avait pour habitude d’exposer ses peintures et de recevoir les commentaires des passants. Un jour, un cordonnier voit une peinture dans laquelle il y avait un personnage avec une sandale. Le cordonnier donne son avis car, d’après lui, la sandale n’était pas tout à fait réussie. Le lendemain, le cordonnier repasse. Il voit que l’artiste a tenu compte de sa remarque en corrigeant la sandale. Le cordonnier fait d’autres remarques à propos de la jambe. Le peintre lui réplique alors "Sutor, ne supra crepidam". Ce qui signifie : "Cordonnier, ne va pas plus haut que la sandale". Donc, on ne va pas au-delà du domaine dans lequel on est compétent. C’est de ce récit que provient l’origine du mot".

Dans l’air du temps des réseaux sociaux

Ultracrépidarianisme est un emprunt à l’anglais, d’ultracrepidarian, apparu en 1819. Il est créé par l’écrivain essayiste William Hazlitt lors d’une correspondance avec le critique littéraire William Gifford qui s’était permis trop de libertés. C’est en 2014 que le terme ultracrépidarianisme est apparu pour la première fois en français, mais il ne connaît pas réellement de succès. En revanche, ce néologisme est plus que jamais dans l’air du temps depuis la crise sanitaire.

Michel Francard, nous livre que c’est un mot qui touche un aspect de la pandémie : "On est dans une crise où il y a pas mal d’inconnues, pas mal de questions qui restent en suspens. Donc, les experts sont non seulement sollicités, mais ils émettent des avis qui ne sont pas toujours convergents. Pour le grand public, ça a pour conséquence notamment que cette parole des experts est donc susceptible d’être critiquée, susceptible d’être remise en cause".

"Ce mot correspond très justement à l’air du temps. Concernant les réseaux sociaux, c’est à double titre. D’une part parce que pas mal de gens y donnent des avis à propos de tout et de rien. Et les compétences ne sont évidemment multiples. Par ailleurs, pour en revenir au mot lui-même les réseaux sociaux ont joué un rôle important dans la diffusion. On pourrait penser que l’ultracrépidarianisme n’est pas un mot très fréquent. En réalité, il l’est dans certaines niches, notamment dans les réseaux sociaux".

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Et le lauréat est…

Le jury, composé de deux journalistes du Journal Le Soir, de deux journalistes de la RTBF ainsi que deux membres du centre de recherche Valibel (UCLouvain), a choisi dix mots parmi plus d’un millier proposé par les internautes participant au vote. Ces mots ne doivent en aucun cas être entrés dans un dictionnaire de référence, comme le Robert et le Larousse. Si " ultracrépidarianisme " a été plébiscité par les votants, les termes " iel " et " nutriscore " complètent dans cet ordre le podium. Il s’agit de la septième année consécutive du " mot de l’année ".

Historique des lauréats précédents :

  • Le verbe spoiler en 2015
  • Brexit en 2016
  • Fake news en 2017
  • Malaisant en 2019
  • Chill en 2019
  • Déconfinement en 2020

Michel Francard nous rappelle l’esprit de cet évènement, au-delà de son aspect ludique : "L’important est de souligner qu’en français, il est toujours possible de créer du point de vue du vocabulaire et du point de vue du lexical. C’est un signe de la vitalité des langues. L’opération, en elle-même suscite, l’intérêt auprès du public parce qu’il s’agit de leur langue. Elle continue d’évoluer et donc d’être vivante".

Si certains mots sont utilisés au quotidien sans apparaître dans les dictionnaires, il est plus que probable que le terme "ultracrépidarianisme" en deviendra une entrée.

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