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#NotAllMen #OnNePeutPlusRienDire : mais pourquoi donc certains hommes n’encaissent-ils pas le féminisme ?

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Par Une chronique d'Hassina Semah, pour Les Grenades

À l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, des centaines de milliers de féministes et leurs allié·e·s ont manifesté de par le monde. Et pourtant, moins de deux semaines après cette date symbolique, le focus est à nouveau mis sur les hommes et les difficultés que ces derniers ressentent face à la mobilisation des femmes pour leurs droits. Retour sur une tradition masculine du backlash.

#MeToo versus #NotAllMen* ou la réaction autocentrée des hommes

En 2019, nul.le ne peut ignorer la vague féministe qui a déferlé sur la planète. Depuis quelques années, dans le sillage de l’affaire Weinstein, la parole des femmes s’est, en effet, libérée. Violences sexuelles, harcèlement sexiste en rue et ailleurs, violences entre partenaires : des milliers de femmes confessent les violences multiples et/ou quotidiennes exercées par des hommes à leur encontre. Le caractère massif et structurel de ces témoignages, la récurrence des mêmes dynamiques de violence dans ces histoires ainsi que la condition irrémédiablement féminine des victimes confirment ce que l’ONU ne cesse de rappeler : les violences faites aux femmes sont une véritable pandémie. Paradoxalement, ces témoignages dramatiques ou les chiffres alarmants relatifs aux violences – structurellement – subies par les femmes suscitent une réaction masculine épidermique et autocentrée : les hommes s’indignent moins de ces violences dénoncées que de la remise en question dont ils font l’objet en tant que groupe social dominant. Nombre d’entre eux s’appliquent, en effet, à systématiquement se justifier individuellement ("je ne suis pas comme ça") ou collectivement ("Not all men*") quand d’autres disqualifient ouvertement les mouvements féministes. Décryptons, ensemble, ces sursauts patriarcaux.

 

En quoi l’argument "Not all men*" sert-il le patriarcat ?

Indépendamment des "bonnes" intentions que les partisans du "Not all men*" pourraient éventuellement avoir, le recours à l’argument "Not all men*" pose problème car il participe d’une double disqualification de la parole des femmes :

  • Premièrement, il décrédibilise le propos des femmes en projetant, par l’absurde, un effet de généralisation : parler des violences faites aux femmes ou de la conduite en état d’ébriété ne sous-entend, évidemment pas, que 100% des hommes ou des personnes qui prennent la route se soient rendu·e·s coupables d’un délit. Suggérer le contraire revient à pointer, d’emblée et de manière fallacieuse, un manque de rigueur intellectuelle dans le chef des femmes.
  • Deuxièmement, il dévie l’attention sociale portée à un sujet de société grave – la persistance d’un patriarcat mortifère – au profit du groupe dominant et du statu quo des rapports de domination : ainsi, au lieu de continuer à s’indigner des oppressions structurelles que vivent les femmes, on s’indignera plutôt de l’inconfort des hommes qui perdent des privilèges masculins (dans les rapports de séduction hétérosexuels, dans l’expression d’un pouvoir via le sexisme ordinaire,…) suite aux revendications des femmes.

Par ailleurs, cette posture a pour effet de dédouaner les hommes face à leur responsabilité individuelle et collective : se déclarer en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes sans engager des actes concrets visant à perdre ses privilèges masculins ne suffit pas pour évacuer les rapports de pouvoir asymétriques entre les genres et tend, au contraire, à les invisibiliser.

 

La crise de la masculinité, cet écran de fumée patriarcal

Un micro-trottoir réalisé en 2018 auprès d’hommes britanniques – et mis en scène de manière humoristique sous la forme d’un "Bullshit Bingo**" – nous montre comment les hommes font appel à la rhétorique de la crise de la masculinité quand ils évoquent l’impact des mouvements féministes. Ainsi, les hommes auraient "désormais peur de parler aux femmes", "ne pourraient plus complimenter les femmes", "seraient les vraies victimes", subiraient "une chasse à la sorcière" et "des attaques" notamment dans les médias mainstream. S’il est indubitable que les hommes puissent ressentir un inconfort suite à la perte de certains de leurs privilèges sociaux, peut-on vraiment parler d’une crise de la masculinité ? Une anthropologue française a analysé la masculinité à diverses époques et dans diverses sociétés et a fait une découverte pour le moins surprenante : "Si ses symptômes ne sont pas seulement récurrents, mais permanents, alors l’hypothèse peut être avancée du caractère 'normal' de la crise [de la masculinité] dans l’appréhension et la construction du masculin. Ainsi, la crise de la masculinité ne serait pas une perturbation de son état initial mais son mode premier d’existence. […] La rhétorique de la crise de la masculinité [apparaît] comme le moyen de promouvoir un retour à l’ordre des genres" (Gourarier, 2017, p. 27).

 

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Les femmes et le patriarcat, entre luttes et backlash

L’histoire nous a montré que les femmes ont toujours lutté pour leurs droits. L’histoire nous a également montré que les femmes ont toujours été socialement "punies" pour ces luttes. Ainsi, toutes les avancées en faveur des femmes ont été suivies d’un retour de bâton ou backlash (Faludi, 1991). Cela s’explique par une tendance des systèmes, y compris sociaux, à revenir à un état d’homéostasie ou, en d’autres termes, au niveau d’équilibre antérieur au changement. Dans le cas particulier des rapports sociaux, on observe que "lorsqu’un groupe d’actrices et d’acteurs désavantagés par le statu quo se mobilise pour transformer la situation, il remet nécessairement en question une structure de pouvoir solidement enracinée. La résistance au changement menée par les personnes qui sont au pouvoir constitue un backlash, soit la réaction d’un groupe conscient d’être en train de perdre le pouvoir [… et qui veut] reconquérir le pouvoir perdu ou menacé […par] des formes subtiles de pouvoir coercitif " (Mansbridge & Shames, 2012, p.153).

 

Comment les hommes peuvent-ils être de bons alliés des femmes ?

Fort heureusement, les femmes comptent bel et bien de vrais alliés parmi les hommes. Ces derniers adoptent une juste posture aux côtés des femmes dans la lutte contre les inégalités de genre. Concrètement, ces hommes :

  • Se remettent régulièrement en question ;
  • Déconstruisent activement leurs privilèges obtenus en raison de leur condition d’homme ;
  • S’informent sur les enjeux liés au patriarcat et ses conséquences sur les femmes et les hommes ;
  • Ne glorifient pas une masculinité hégémonique fondée sur des rapports de domination et de violence à l’endroit des femmes et/ou des hommes qui ne correspondent pas ce modèle normatif de masculinité ;
  • N’usent pas d’argumentaires fallacieux de type "Not all men*" ou "On ne peut plus rien dire" ;
  • Ne parlent pas à la place des femmes mais soutiennent le fait que ces dernières parlent en leur nom propre ;
  • Ne mettent pas en avant leur ego quand on parle de sujets féministes ou plus généralement liés aux femmes ;
  • N’attendent pas de gratifications ou de félicitations pour être des êtres humains décents ;
  • Confrontent systématiquement les hommes qui ont des attitudes sexistes et interviennent si une femme subit une remarque ou une agression sexiste ;
  • Sont conscients de faire partie du problème en tant que membre d’un groupe social dominant mais mettent à contribution leurs privilèges pour lutter contre les inégalités entre les genres.

 

Pour aller plus loin…

Sur les masculinités :

Sur les hommes alliés :

 

* Pas tous les hommes

** Le bingo des conneries

 

Hassina Semah est sociologue et psychologue clinicienne, spécialisée dans les violences conjugales et interculturelles. Elle est également membre des collectifs féministes "Resisters" et "Collecti.e.f 8 maars".

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par Ater-Egales (Fédération Wallonie-Bruxelles) qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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