Belgique

Non, un employeur ne peut pas imposer le télétravail pour réduire sa facture énergétique

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C’est dans une interview au Tijd, ce week-end, que Thomas Leysen, le patron d’Umicore a annoncé que son entreprise allait demander à ses employés de télétravailler un jour par semaine, le vendredi. "Comme cela, nous pourrons avoir trois jours sans chauffage", a précisé Thomas Leysen. Chez Umicore on ne chaufferait donc pas le vendredi, le samedi et le dimanche.

Avec cette idée, le patron espère donc réduire la facture énergétique de son entreprise. Il explique aussi que réduire la demande en gaz ou électricité contribuera à faire baisser les prix.

Cependant, dans l’état actuel de la législation belge qui encadre le télétravail, l’entreprise n’a pas de marge de manœuvre pour généraliser le télétravail à son personnel.

Le télétravail peut-il être imposé ? Non !

"La réponse est non !", avertit Me Noël Lambert, avocat associé au cabinet Sotra, spécialisé en droit du travail. En Belgique, le télétravail est encadré par une convention collective de travail, la convention collective de travail N°85 qui a été adoptée au sein du Conseil National du Travail et qui s’applique à tous les employeurs du secteur privé.

"La convention collective N°85 concernant le télétravail prévoit bien que le télétravail est volontaire, à la fois pour le travailleur et l’employeur", explique Me Noël Lambert. "Aucune des deux parties ne peut imposer à l’autre son intention ou sa volonté de faire du télétravail", poursuit Me Lambert.

"Si l’employeur tente d’imposer le télétravail, il commet une faute dans le cadre contractuel", explique Me Lambert. Dans ce cas, "le travailleur peut mettre en demeure l’employeur de rétablir les conditions du contrat de travail et de lui permettre de travailler dans les locaux de l’employeur", précise Me Noël Lambert. Le travailleur pourra, si nécessaire, se retourner vers les juridictions du travail pour ordonner l’exécution du contrat de travail et demander au tribunal de l’imposer.

 

Et le télétravail obligatoire en période "Corona"?

Effectivement, lors de la crise sanitaire du Coronavirus, le télétravail a été rendu obligatoire à plusieurs reprises dans les entreprises et secteurs où cela était possible.

Ce n’était pas une décision des entreprises, mais une obligation légale imposée par le gouvernement fédéral.

Une loi ou un arrêté, hiérarchiquement supérieur à la convention collective de travail N°85, pourrait être un moyen à utiliser pour rendre possible une obligation du télétravail dans les entreprises.

Un jour de télétravail pourrait-il être négocié au sein de l’entreprise ? Non plus !

Pourrait-on imaginer qu’au sein de l’entreprise, la direction et les représentants du personnel s’entendent pour déterminer un jour hebdomadaire au cours duquel les employés resteraient à la maison pour télétravailler ?

Là aussi, la marge de manœuvre au sein de l’entreprise est très réduite, pour ne pas dire nulle. "Une disposition est contenue dans la loi du 5 décembre 1968 relative aux commissions paritaires et aux conventions collectives de travail. Elle prévoit la hiérarchie des normes en droit social", explique Me Noël Lambert.

La norme la plus élevée, c’est la loi, la norme légale. Tout en bas de l’échelle on trouvera ce qui est d’usage dans l’entreprise. "Entre la loi et l’usage, on va trouver la convention collective de travail (CCT) nationale", détaille Me Lambert. Ce qui est négocié en entreprise, une CCT d’entreprise "se trouve hiérarchiquement en dessous de la convention collective N°85. Ce qui veut dire que la CCT d’entreprise doit être conforme à la CCT interprofessionnelle adoptée au sein du Conseil National du Travail", précise Me Noël Lambert.

Donc, négocier avec les syndicats de l’entreprise un jour de télétravail pour le personnel est d’office compromis. "Les organisations syndicales, quand bien même elles se mettraient d’accord avec l’employeur sur un jour supplémentaire de télétravail ne peuvent pas conclure cette CCT d’entreprise parce qu’elle serait contraire à la convention collective de travail N°85", précise Me Noël Lambert.

Quand bien même un tel arrangement serait malgré tout conclu au sein de l’entreprise, il suffirait d’un seul travailleur ne souhaitant pas télétravailler pour tout mettre à terre. Ce travailleur à qui l’entreprise serait contrainte d’ouvrir ses portes devrait, en outre, bénéficier d’une température suffisante dans les locaux de l’entreprise. Ce qu’on appelle les "ambiances thermiques" sont régies par une réglementation fédérale. La température de l’air minimum dépend de la charge physique de travail. Pour un travail de bureau "très léger", a priori la catégorie de personnel concernée par le télétravail, cette température est d’au moins 18 °C.

En cas de télétravail : que prend en charge l’entreprise ?

Imaginons malgré tout que l’entreprise puisse compter sur le télétravail de tous ses travailleurs car tous auraient opté librement pour le travail à domicile. L’entreprise ferait peut-être des économies de chauffage. Mais comment devrait-elle indemniser les travailleurs en télétravail ?

Actuellement, la convention collective de travail N°85 qui régit le télétravail ne prévoit une intervention financière de l’employeur que dans un cadre précis. "Elle impose uniquement à l’employeur de dédommager pour les frais de communication. Ce sont des montants relativement peu importants, tels le coût d’une connexion internet ou d’un abonnement téléphonique", explique Me Noël Lambert, du cabinet d’avocats Sotra.

Pour les frais de chauffage et d’électricité de l’employé en télétravail, rien n’est obligatoire. "L’ONSS et l’administration fiscale admettent que l’employeur indemnise de manière plus importante le travailleur, mais dans l’absolu il n’y a pas d’obligation", explique Me Lambert. Ce montant admis est plafonné par l’ONSS et l’administration fiscale. Il est au maximum de 142,95€ par mois lorsque le travailleur effectue une partie de son travail à domicile et peut couvrir, par exemple, les frais de chauffage, d’électricité, d’aménagement d’un bureau. Cette intervention financière, laissée au bon vouloir de l’entreprise, peut donc varier de 0 à 142,95€…

Selon les entreprises, donc, le salarié qui accepterait de prester en télétravail pour permettre à l’entreprise de couper le chauffage un jour, ne bénéficierait pas obligatoirement d’un coup de pouce financier de son employeur pour se chauffer chez lui, au boulot.

Sur la même thématique : JT du 22/11/2021

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