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Non, il n’y a pas eu 50.000 vols de jets privés au départ des aéroports belges en 2022

Jet privé d’entreprise à l’aéroport, porte ouverte, fond bleu ciel. (Image d’illustration)

© Kent Weakley

Par Romane Bonnemé

Contrairement à ce qu’a affirmé Georges Gilkinet sur Twitter, il n’y a pas eu 50.000 vols en avions privés au départ des six aéroports belges entre janvier et mai 2022, mais environ la moitié en moins. Le chiffre avancé par le ministre fédéral de la Mobilité inclut, en effet, les atterrissages faisant ainsi quasi-doubler le total des "décollages de jets en Belgique". Par ailleurs, les déplacements privés ne comprennent pas uniquement les voyages d’affaires ou privés, mais aussi sportifs, d’urgence ou professionnels.

Alors que le changement climatique est désormais en tête des préoccupations des Belges, les vols en jets privés de certains milliardaires font face à une vague de critiques, notamment via plusieurs comptes Twitter et Instagram qui suivent à la loupe ces déplacements, pour dénoncer leur empreinte carbone démesurée.

Inspiré des Etats-Unis, ce "flight tracking" s’est exporté en Europe, via notamment les comptes "I fly Bernard" ou "laviondebernard", en suscitant autant de réactions chez les principaux concernés, qu’au sein des différentes classes politiques, qu’elles soient françaises ou belges.

A ce titre en Belgique, Georges Gilkinet (Ecolo) a réagi sur Twitter le 19 août dernier : "Rien que pour les 5 premiers mois de cette année, ce ne sont pas moins de 50.000 vols en avions privés qui ont été effectués au départ des 6 aéroports belges, soit autant que pour toute l’année 2021 !"

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Le ministre fédéral de la Mobilité complète ce tweet d’un tableau récapitulatif du trafic des aéroports belges dans le but d’apporter "le détail, pour les curieux" précise-t-il.

Sauf qu’en regardant ledit tableau en détail justement, il apparaît que le ministre fait une lecture erronée des chiffres présentés.

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Moitié moins de vols privés qu’annoncés

Dans le tableau partagé par Georges Gilkinet sur Twitter certaines informations manquent, à commencer par sa source et sa nomenclature.

Contacté par Faky, son porte-parole Pascal Devos, a précisé que ce tableau provient de la Direction Générale du Transport Aérien, un service fédéral placé sous le giron du SPF Mobilité. "Les chiffres présentés recouvrent tous les vols 'privés' ou 'privatisés' au départ des terminaux généraux et commerciaux des aéroports. Il s’agit en grande majorité de jets privés, mais aussi d’avions à turbopropulseur (tels que le Pilatus, un constructeur aéronautique d’avions d’affaires), et cela peut aller d’un monomoteur jusqu’à un Airbus charter en version grand luxe. Les avions qui survolent uniquement la Belgique sans atterrissage ni décollage ne sont pas inclus dans les statistiques", précise-t-il.

Dans le tableau publié, les vols effectués sont scindés entre les départs et les arrivées pour chaque aéroport et cela pour les cinq premiers mois de l’année 2022.

C’est en additionnant les lignes "départs" et "arrivées" pour chaque aéroport que l’erreur du ministre Gilkinet apparaît : ce dernier fait état du nombre de "vols au départ" quand il s’agit en réalité des vols au départ et à l’arrivée.

Une erreur qui double pratiquement le total de vols privés au départ de ces six aéroports. Selon Thomas De Spiegelaere, attaché de presse du SPF Mobilité, il y a en effet eu 27.664 vols au départ des six aéroports belges en 2022, et non pas 50.000 comme l’affirmait Georges Gilkinet. Le chiffre de 50.000 - 55.433 plus précisément - correspond donc bien à la somme des avions au départ et à l’arrivée, sachant que certains vols décollent et atterrissent dans le même aéroport, quand d’autres proviennent de l’étranger ou quittent l’espace aérien belge.

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Des vols privés en forte hausse

En affirmant, toujours dans le même tweet, que "les vols privés effectués les premiers mois de 2022 dépassent ceux de toute l’année 2021", le ministre de la Mobilité a raison.

Et pour preuve : selon les chiffres de la Direction Générale du Transport Aérien, il y a eu 48.466 vols privés comptabilisés sur le total de l’année 2021.

Toutefois, en raison de la pandémie de coronavirus, ce chiffre est à relativiser. Cette forte hausse pour les premiers mois de 2022 contraste avec une baisse importante de ces vols privés, lors de l’année 2021. En effet, les années précédentes étaient marquées par un nombre bien plus conséquent de vols privés comptabilisés en Belgique : 67.250 en 2020, 71.358 en 2019, 70.326 en 2018 et 66.514 en 2017.

En Europe, l’ONG Transport & Environment (T&E) a révélé que "les émissions de CO2 des jets privés européens avaient augmenté de 31% entre 2005 et 2019, soit une hausse plus rapide que celle de l’aviation commerciale".

Depuis, le secteur des vols privés et d’affaires n’a, semble-t-il, pas été touché par la crise sanitaire, à en croire le porte-parole de Georges Gilkinet : "C’est un secteur qui a traversé la période difficile du Covid quasiment de manière indolore. Les écoles de pilotage étaient fermées, mais le nombre vols privés a quand même continué à progresser". Cette bonne santé s’expliquerait selon lui par la logique de l’offre et de la demande. "Les entreprises investissent dans ce secteur, d’ailleurs l’offre est en train de s’étoffer. Désormais c’est très facile de réserver un vol privé sur internet, avec une carte de crédit", explique-t-il.

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Des propriétaires de jets souvent milliardaires

Dans ce contexte d'embellie pour le secteur des jets privés, certains internautes s’interloquent : qu’en est-il du motif de ces vols privés, dont certains "peuvent inclure des vols sanitaires, ministériels, parachutisme etc." ?

Sur ce dernier point, "les vols privés comptabilisés ne comprennent pas ceux destinés à des sauts en parachute", indique Pascal Devos, le porte-parole du ministre.

Par ailleurs, il ne faut pas inclure les "petits avions avec hélices" dans les jets privés, notamment car ce sont ceux qui opèrent pour les vols d’apprentissage, dits aussi vols d’écolage, précise Philippe Touwaide, médiateur aérien du gouvernement fédéral.

En effet, tous les vols effectués par les avions privés ne sont pas que des déplacements dits de "loisirs" ou de "taxi aériens", mais aussi sportifs, d’urgence, d’apprentissage ou professionnels. Pour autant, déterminer la répartition entre les déplacements professionnels, sportifs ou d’urgence et ceux de loisirs, reste une tâche difficile, voire "impossible" selon les mots de Philippe Touwaide. Et pour cause : "Il faudrait faire ce recensement vol par vol et en fonction de chaque immatriculation", ajoute-t-il.

Si le total des immatriculations est connu pour la Belgique, de nombreux avions immatriculés à l’étranger décollent ou atterrissent aussi en Belgique. Depuis 2016, le SPF Mobilité a enregistré 56 jets privés "business" (comme le Learjet, un type d’avion d’affaires) ou similaires immatriculés dans le registre national belge selon les données communiquées par Thomas De Spiegelaere. De plus, selon les données de T&E, en moyenne, un propriétaire de jet privé dispose d’une fortune équivalente à 1,3 milliard d’euros.

Thomas De Spiegelaere souligne enfin être dans l’impossibilité de donner "la part des jets qui ont décollé de la Belgique et qui appartiennent à des propriétaires belges", leur identité tout comme leur nationalité n’étant, en effet, pas communiqué publiquement.

Quid des aérodromes ?

Outre les six aéroports susmentionnés, la Belgique compte 30 aérodromes en activité. Combien de jets privés ont-ils décollé des pistes de ces aérodromes durant les premiers mois de 2022 ?

"Les vols dans les aérodromes ne sont pas significatifs", répond Pascal Devos, porte-parole du ministre Gilkinet.

Quel est le réel trafic de ces aérodromes ? Impossible de le savoir selon les experts de la DG Mobilité. "Nous ne suivons pas les mouvements des vols des aérodromes. Cela dit, même sur base des expériences de nos experts il est difficile de juger. L’activité sur les petits aéroports est très saisonnière. Quand il fait beau, les aérodromes sont bondés, mais pendant l’hiver ils pourront être presque vides", mentionne leur porte-parole Thomas De Spiegelaere.

A titre d’exemple, l’aérodrome de Maillen (dans la province de Namur), "qui détient l’un des trafics les plus importants des aérodromes belges" selon son représentant Dany Starck, comptabilise entre trois et cinq vols privés par jour en moyenne par an, "avec des pointes à 40 mouvements par jour en été, contre zéro certains jours d’hiver", indique-t-il. "Ce sont des vols de loisir, parfois des vols locaux, de propriétaires d’avions privés".

Au niveau national, il n’y a pas de centralisation des données, leur réglementation dépend en effet des régions, même si la plupart d’entre eux sont privés : "Chaque aérodrome tient en effet son propre carnet de vol", ajoute Dany Starck.

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In fine, le ministre de la Mobilité Georges Gilkinet a fait une mauvaise lecture des chiffres officiels du nombre de vols privés en Belgique. Outre l’erreur de calcul sur le total des vols privés au départ des six aéroports belges, ceux-ci ne sont pas non plus ventilés selon le motif du déplacement, parfois d’ordre professionnel, sportif d’urgence ou d’apprentissage.

Les détails des propriétaires, nationalités et motifs de ces vols privés ne sont, pour l’heure, pas disponibles publiquement. La liste ne reprend par ailleurs pas non plus les décollages et atterrissages effectués à partir des aérodromes.

Il n’en demeure pas moins que l’empreinte carbone de ces déplacements est indéniable. Selon T&E, les jets privés sont 5 à 14 fois plus polluants que les avions commerciaux (par passager), et cinquante fois plus polluants que les trains. Dans ce contexte, le parti Ecolo a indiqué soutenir la récente proposition des Verts flamands de Groen de taxer tous les vols en jets privés en partance de Belgique à hauteur d'au moins 3000 euros. 

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