D’où venait cette précision ? Aucune dépêche d’agence de presse n’avait été publiée sur Yelena Osipova, et aucune vidéo de son arrestation n’avait non plus été partagée par les agences d’images avec lesquelles la rédaction travaille et qui auraient pu vérifier son identité. C’est d’ailleurs la raison qui explique pourquoi le reportage TV a été réalisé aussi tard. "J’en parlais depuis deux jours à la rédaction, nous explique notre collègue journaliste Esmeralda Labye, France 2 avait déjà montré l’arrestation de cette dame le 4 mars, mais nous n’avions reçu aucune image via nos agences habituelles".
Finalement, la RTBF décide d’utiliser les images de la chaîne d’information anglaise GB News au titre de "droit de citation", en indiquant clairement l’origine de ces images. Sur son site internet, la chaîne partage en effet la vidéo en reprenant un commentaire déjà devenu viral sur les réseaux sociaux : Yelena est une survivante du siège de Leningrad. "J’ai bien été vérifier les dates du siège de Leningrad, mais je n’ai pas fait le calcul précis avec ma calculette, reconnaît Esmeralda Labye. À un an ou deux près, elle aurait pu être dans le ventre de sa maman".
Un calcul que de nombreux médias, dont certains de référence, n’ont apparemment pas fait non plus. Comme cet article du journal anglais The Guardian.
Cet exemple est en fait assez représentatif d’une tendance des médias à se citer les uns les autres en se faisant mutuellement confiance, tendance qui peut poser problème comme dans ce cas où beaucoup de professionnels n’ont pas tiqué sur cette incohérence de date, qui a pourtant attiré l’attention de certains téléspectateurs. A noter qu’il ne s’agissait pas de l’information principale, l’arrestation, mais que cela en augmentait la portée symbolique.
Cette tendance, et son potentiel effet boule de neige en cas d’erreur, nous vous en parlions d’ailleurs déjà dans cet article d’Inside : "Non, les gens en retard ne réussissent pas mieux : on a vérifié cette rumeur persistante".
Cet autre article évoque également la même dérive médiatique ayant mené à une erreur largement partagée dans la presse, cette fois à propos des enfants finlandais et de l’écriture manuscrite : "Les enfants finlandais continueront bien à écrire à la main". Là, tout était visiblement parti d’une mauvaise traduction d’un terme dans un article de la BBC.
Mais alors, qu’en est-il vraiment ?
Le 4 mars 2022, deux jours après l’arrestation, le journal français Libération publiait déjà un article dans sa rubrique "Check News", consacrée à la vérification d’informations, intitulé "Guerre en Ukraine : qui est Yelena Osipova, la manifestante septuagénaire arrêtée à Saint-Pétersbourg ?".
Le journaliste y précise : "Contrairement à ce qui a pu être écrit sur les réseaux sociaux, Yelena Osipova n’est pas une survivante du siège de Leningrad, puisqu’elle est née en novembre 1945 et que le blocus de Saint-Pétersbourg (anciennement Leningrad) par les troupes nazies s’est déroulé du 8 septembre 1941 au 27 janvier 1944. Mais comme plusieurs articles rédigés en russe l’évoquent, sa famille aurait survécu au siège".
Une information confirmée bien plus tard par l’envoyée spéciale du magazine Paris Match à Saint-Pétersbourg. Cette journaliste est allée plus loin en allant directement à la source : elle est partie à la rencontre de Yelena Osipova – une démarche difficile à envisager pour les journalistes qui mettaient à l’antenne un reportage dans les quelques jours à peine qui suivaient l’arrestation.
Dans son article du 27 mars 2022 intitulé "Elena Osipova, rencontre avec la vieille dame qui se dresse contre Poutine", l’artiste lui raconte qu’elle est bien née après le siège de Leningrad, et que c’est en effet sa famille qui a vécu cette pénible période. Son grand-père fait d’ailleurs partie du million de victimes : "On n’a jamais connu les causes exactes de son décès, ni dans quelle fosse commune son corps a été jeté", affirme-t-elle auprès de la journaliste française. (Soulignons au passage qu’en citant le travail de cette consœur, nous lui faisons nous-mêmes de facto confiance.)
Nos recherches ne nous ont malheureusement par permis de savoir à ce stade qui, en premier, a affirmé à tort que Yelena avait survécu au siège de Leningrad. Il semble en tout cas qu’un raccourci ait été opéré sur base du fait que sa famille avait survécu à ce siège. Raccourci amplement répercuté, contrairement à son correctif.
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