L'opération "Noir Jaune Blues, et après", c'est la RTBF, le journal Le Soir et la fondation Ceci n'est pas une crise qui vont ausculter pendant six mois des villes et des villages de Bruxelles et de Wallonie. Cette semaine de congé de Toussaint, nous retrouvons Françoise Berlaimont, qui prend le poul à Jette, commune du nord de la Région bruxelloise.
Jour 5 : Penser et agir pour le Jette de demain
Samedi 4 novembre, notre dernier jour d'immersion. Hatim, Louis, et moi-même avons découvert pendant cinq jours une commune méconnue, à laquelle ses habitants sont très attachés, malgré une transformation parfois mal vécue. Merci à celles et ceux qui nous ont accueillis.
Au rayon vert, à la fois magasin bio et lieu culturel, nous rencontrons Florence, 47 ans, et Bénédicte, 59 ans, participantes de "Jette en transition". Ces deux femmes inquiètes de l'évolution dure et égoïste du monde entendent bien réinventer la société de demain. Elles veulent favoriser le vivre ensemble pour une société plus humaine. Elles bouillonnent de projets et d'énergie et parient sur les relations intergénérationnelles et interculturelles pour y arriver. Environnement, écologie, culture, les ponts à (re)construire sont nombreux. A Jette, les nombreuses associations agissent en réseau pour plus d'efficacité et de convivialité.
Jour 4: quel avenir pour la jeune génération?
La famille Vrancken vit à Jette depuis 28 ans. François, 62 ans, était éducateur. Claire, 60 ans, est professeur de religion dans l’enseignement communal. "Je ne me sens pas envahie mais c’est vrai que j’ai vu la population de l’école changer. Aujourd’hui, les enfants sont à 90 % issus de familles musulmanes".
Leur fils Mathieu, 34 ans, et son épouse Emily, 30 ans, vivent dans la même rue. Le jeune couple attend son premier enfant, une fille. "J’aime la mixité sociale et culturelle de Jette, explique Emily, qui vient d’un petit village wallon, mais une vraie mixité, une diversité. Je n’aimerais pas que ma fille se sente étrangère dans une classe trop homogène".
A contre cœur, le jeune couple envisagerait alors déménager.
Kelly, 30 ans, est libraire spécialiste de la littérature enfantine. Elle vit à Jette, y a sa famille, ses amis, ses activités. Elle aime le côté village où on rencontre toujours quelqu’un qu’on connaît. " Je ne me sens pas menacée par les nouveaux habitants, mais je comprends que des personnes plus âgées perdent leurs repères. Les travaux, les magasins qui disparaissent, l’arrivée de nouvelles communautés avec d’autres façons de vivre, tout ça peut-être perturbant "
Kelly envisage un tour du monde mais elle sait que son ancre est ici, à Jette.
Jour 3: créer des liens entre Jettois de cœur
Beaucoup d’activités sont suspendues en cette semaine de Toussaint. Heureusement pour nous, la librairie "Mot Passant" est ouverte et c’est dans ce lieu aux étagères en bois que Suzanne, 74 ans, nous donne rendez-vous. "J’ai choisi de m'installer à Jette pour profiter de l’offre culturelle. Je ne m’ennuie jamais, il y a toujours un événement intéressant." Suzanne raffole de cette librairie conviviale, installée récemment à deux pas de la place du Miroir, et où elle apprécie l’accueil et les conseils de lecture judicieux.
Ali nous a cherché quand il a entendu sur Vivacité que la RTBF et Le Soir séjournaient à Jette. Ali, 37 ans, est bénévole au Club Norwest, dans une belle maison de maître. Ce lieu d’accueil et d’échange a été créé par des professionnels de la santé mentale. "Tout le monde est le bienvenu, il ne faut pas être souffrant, nous accueillons volontiers les personnes isolées, sans aucune contrainte", nous raconte Ali qui se sent bien à Jette où il a retrouvé un équilibre après sa maladie.
Touria veut réunir les "Femmes du monde" dans son association "Fleur du Soleil". À 52 ans, cette "autant Belge que Marocaine" a "un lien d’amour", dit-elle, avec Jette depuis qu’elle est enfant. Depuis deux ans, elle se consacre à la santé, à l’éducation et au bien-être des femmes les plus précarisées. "Ici, il est interdit de parler religion ou politique." Cours de français, de yoga, conseils santé, hammam, toutes les activités ont pour but de sortir les femmes de leur isolement.
Jour 2: Toussaint au vert
En ce jour de Toussaint ensoleillé, nous partons à la découverte du parc Roi Baudouin. En chemin, nous rencontrons Christine, 61 ans, fleuriste sur les marchés. Les clients sont rares mais il reste quelques fidèles. " Comme tous les maraîchers, mon chiffre d’affaires a terriblement diminué depuis les travaux. Et puis, Jette a beaucoup changé. Les personnes âgées qui ont les moyens quittent la commune, elles ne se sentent plus à l’aise face à une nouvelle population venue d’ailleurs "
Au parc Roi Baudouin, nous croisons joggeurs, cyclistes, simples promeneurs. Marc, 58 ans et Jettois depuis toujours, se promène avec Bandit, un magnifique berger blanc. Il vient tous les jours profiter de ce parc de cent hectares récemment réhabilité. "Peut-être c’est à nous d’aller vers la nouvelle population, à nous de faire le premier pas." Ce peintre en bâtiment ne quitterait sa commune pour rien au monde. "Regardez comme on est bien ici, on n’a pas l’impression d’être en ville avec toute cette verdure"
Lors de notre retour vers la place du Miroir, nous passons à côté d’une bande d’amis attablés en terrasse, à même le trottoir. Pavel et Daniel, qui comprennent un peu le français, nous expliquent qu’ils viennent de Moldavie. Ils ont entre 20 et 30 ans et travaillent pour une entreprise de construction. " Avez-vous des contacts avec des Belges ? Non, répondent-ils, on préfère rester entre nous "
Pas facile de communiquer quand on ne parle pas la langue de son interlocuteur…
Jour 1: la disparition de l'esprit "village"
Le "Sportwereld", sur la place du Miroir, est un café à l’ancienne: tables et chaises en bois des années cinquante, convivialité chaleureuse et prix abordables.
C’est là que nous prenons nos premiers contacts avec les Jettois. "Ca existe encore un endroit on se parle, même si on ne se connaît pas", nous raconte Martine, 58 ans, qui nous accueille tous les trois spontanément à sa table.. "Mais on est la dernière génération, les jeunes ne vont plus au café."
Guy, son voisin de table, 52 ans, opine. "Mon fils et ses copains organisent des barbecues ou des soirées spaghetti les uns chez les autres. Moi, je venais au café avec mon grand-père."
Christiane, 73 ans, habitante à Jette depuis 50 ans, adore sa commune et est une habituée du Sportwereld. "Dans ce quartier, tout le monde se dit bonjour, on croise les gens au marché, on demande des nouvelles. Mais cet esprit disparaît avec les nouveaux habitants." Il faut comprendre les jeunes et les immigrés. "Chacun se replie sur sa communauté." déplore Christiane. "Jette la villageoise s’efface petit à petit. "