Sur place, aucun panneau, aucune mention. Pourtant, l’œuvre qui se dresse sur le terre-plein au centre de l’avenue Louise (près de l’avenue Legrand) porte bien le nom suivant : "Nègres marrons surpris par des chiens". Elle représente un homme noir et son fils, dénudés. Ils sont enchaînés et mordus par deux chiens féroces qui les ont rattrapés dans leur fuite.
La scène est violente, déchirante et pourtant, à cet endroit, devant deux arrêts de tram, des bureaux et des établissements horeca, elle semble laisser totalement indifférent, en plein débat sur la décolonisation de l’espace public, notamment dans la capitale.
"La case de l’Oncle Tom", une œuvre aujourd’hui controversée
La sculpture date de 1895 et a été réalisée par le sculpteur belge Louis Samain, dont la signature apparaît à la base de l’œuvre. Pour la réaliser, Louis Samain s’est inspiré d’un roman qui a fait grand bruit quelques années auparavant de l’autre côté de l’Atlantique, "La case de l’Oncle Tom". Ecrit par l’Américaine Harriet Beecher-Stowe, le roman est le plus vendu du 19e siècle. Il raconte les aventures d’un esclave, Oncle Tom et des personnages qui l’entourent : ses maîtres, les autres esclaves…
A l’époque, l’ouvrage, d’abord publié sous la forme d’une série, va modifier la perception des Américains blancs sur les esclaves africains. Stowe dépeint la réalité de l’esclavage et tente ainsi de faire avancer la cause abolitionniste. Le livre provoque un très vif débat et ulcère les Sudistes, partisans de l’esclavage.
Une tentative pour embellir l’esclavage
Mais au fil des décennies, "La case de l’Oncle Tom" va trouver un autre écho. Dans les années 50 et 60, "La case de l’Oncle Tom" est considéré comme un livre qui renforce les stéréotypes. Le personnage principal est perçu comme un traître à la cause noire, selon le mouvement radical "Black Panthers". L’expression "Oncle Tom" est utilisée pour qualifier un Noir qui veut plaire aux Blancs. Le légendaire et triple champion du monde de boxe Mohamed Ali balancera quelques fois ce qualificatif aux visages de ses adversaires afro-américains pour les déstabiliser. En 2016, Toni Morrison, prix Nobel de littérature, dit sans hésiter que le roman est une "tentative pour embellir l’esclavage afin de le rendre acceptable".