Pascale Seys et Nathalie Heinich commencent leur discussion en posant les termes du sujet. Nathalie Heinich revient sur la genèse du wokisme, un concept qui nous est arrivé d’Outre-Atlantique il y a seulement quelques années, car le wokisme est d’abord un combat nord-américain qui tient son nom du passé simple du verbe anglais to wake, qui signifie en français "se réveiller", en l’occurrence face aux discriminations. Un mouvement qui a pris largement son essor depuis les manifestations Black Lives Matter à l’été 2020, suite au meurtre de Georges Floyd, noir américain étouffé lors de son interpellation par des policiers.
Si le wokisme s’est développé de façon récente, il reprendrait des formes d’injonction religieuse relevant du puritanisme protestant qui prirent de l’ampleur en particulier aux États-Unis au XVIIIᵉ siècle et au XIXᵉ siècle, explique Nathalie Heinich. Injonctions qu’on a appelées "théologies de l’éveil", un éveil qui se manifesterait donc face à la vraie foi. Pour Nathalie Heinich, "on retrouve dans le wokisme cette même disposition à construire une séparation forte entre ceux qui, dans une communauté, sont éveillés à quelque chose et ceux qui ne le sont pas, avec un effet évidemment d’exclusion de tous ceux qui ne répondraient pas à cette à cette injonction à l’éveil". Nathalie Heinich voit dans cette assignation identitaire communautariste la première dimension qui fait du wokisme une forme de totalitarisme. Vient ensuite le totalitarisme "par la culture de la censure" à laquelle elle appelle à résister, sans compter une tendance à donner la préférence à l’idéologie sur la science. La " pollution " du milieu universitaire par " l’idéologie wokiste " la préoccupe particulièrement. Elle rappelle l’importance de la neutralité de l’enseignant ou du chercheur dans le cadre de ses fonctions telle que la préconisait le sociologue allemand Max Weber, neutralité qui permet de produire "des connaissances objectives et non pas de l’idéologie". Ce qui, réitère-t-elle, n’empêche pas ses pairs comme elle-même de s’exprimer par ailleurs en tant que citoyens, que ce soit en votant, en manifestant, en écrivant des tribunes dans les journaux, etc.