Exposition - Musées

"N’appelez Pas Ça Art Brut" le musée Art Et Marges sort de sa réserve

Alevtina Pyzhova, coll. Art et marges musée

© Art et marges musée

Par Xavier Ess

N’appelez Pas Ça Art Brut sonne comme une provocation de la part de l’institution de référence en la matière : le musée Art Et Marges qui fête les 40 ans de sa collection. L’heure d’un bilan sur la constitution de cette collection de 4000 œuvres et la question récurrente des limites de l’Art Brut. Rencontre avec Coline De Reymaeker, la responsable des projets et expositions.

Francis GOIDTS, coll. privée

L’exposition présente une quarantaine d’artistes ("du plus grouillant au plus sobre") ainsi qu'un focus sur les dessins récemment découverts de Francis Goidts, un enfant de 10 ans dont on a parlé ici, et un second sur une des artistes belges les plus reconnues, Martha Grünenwaldt qui commence le dessin à 70 ans avec les crayons de ses petits-enfants.

Martha GRÜNENWALDT, coll. Art et marges musée
Martha GRÜNENWALDT, coll. Art et marges musée © Art et marges musée

N’appelez Pas Ça Art Brut a un double objectif : sortir des sentiers battus de la collection et s’interroger sur la notion d’art brut. Le musée a habituellement montré des œuvres documentées, pour donner de l’information au public et pouvoir discourir sur l’œuvre. Avec le biais de montrer toujours les mêmes artistes, comme Aloïse Corbaz, pilier de l’art brut, "notre madone" ironise Coline De Reymaeker. L’année anniversaire est consacrée à l’étude et la recherche sur la collection, avec des œuvres dont on ne sait rien ou très peu sur l’auteur.trice. "Une des particularités c’est qu’il n’y avait pas de volonté d’être artiste ou même de se considérer comme créateur, donc il n’y a jamais eu de document sur leur travail" explique Coline De Reymaeker, " ils sont tombés dans l’oubli " comme, un certain Malik Barfi, auteur d’un bestiaire en papier aluminium, qui a fréquenté un atelier pendant quelques semaines seulement. Ce travail de recherche pourra s’appuyer sur la présence toujours vive des personnes qui sont à la base de la collection, Françoise Henrion et d’autres.

Malik Barfi, coll. Art et marges musée
Aloïse Corbaz, coll. Art et marges musée

D’Art en Marge à Art Et Marges

Qu’est-ce l’art brut ? Est-ce que ça a encore du sens aujourd’hui de parler d’art en marge ? Bonnes questions qui nous ramènent aux origines du terme et de la polémique.

N’appelez Pas Ça Art Brut s’ouvre sur la lettre de Jean Dubuffet, l’inventeur du terme, en réponse à Françoise Henrion qui en 1983 commence à rassembler des productions émanant de centres psychiatriques ou de personnes porteuses de handicap. Dubuffet est catégorique, il n’y a pas d’Art Brut en dehors de sa collection. "Il vous faudra trouver une autre désignation".

Marion Oster, coll. Art et marges musée
Marion Oster, coll. Art et marges musée © Art et marges musée

Est-ce que l’art en soi n’est déjà pas en marge ?

"Cette dénomination a presque 80 ans donc ça évolue", précise la responsable de projets, "Peut-être que ça avait du sens en 1945 et dans les années 50 et 60 parce que ça a créé une ouverture et permis un souffle dans l’art contemporain ; ça a permis de découvrir cette production marginalisée donc cachée. Dubuffet a mené la lutte pour montrer un art " dégénéré " comme les surréalistes avant lui." En 2009, le centre change sa dénomination : Art en Marge, en marge de l’art reconnu comme tel, se mue en Art Et Marges, marquant une ouverture sur toutes les marginalités artistiques. Qu’elles émanent de la sphère de la santé mentale ou de personnes marginalisées, isolées, autodidactes. Un espace de célébration des individualités. Et le centre devient pérenne en obtenant le statut de musée.

Cabinet de curiosités des pièces difficilement revendicables comme œuvres "

N’appelez Pas Ça Art Brut a fait une place pour les outsiders de l’art outsider pourrait-on dire… Œuvre ou pas œuvre ? Les responsables du musée se posent et nous posent la question de manière frontale avec un cabinet de curiosités bien rempli.

La lettre chaussure de Juanma Gonzalez
La lettre chaussure de Juanma Gonzalez © Xavier Ess

"Dans la collection, il y a des créations, des artefacts dont on se demande s’ils ont leur place dans la collection. La canette rouillée, écrabouillée qui doit dater des années nonante… On ne sait pas trop. L’objet a un numéro d’inventaire dans une collection muséale, ce qui donne un statut à un objet. Mais devient-il une œuvre du fait d’entrer dans un musée ? C’est aussi la réflexion de Duchamp et des dadaïstes." En tout cas, la canette écrasée a été considérée comme une œuvre, par une personne, à un moment donné. La recherche s’annonce cocasse !

La canette mystère… Anonyme, coll. Art et marges musée
La canette mystère… Anonyme, coll. Art et marges musée © Art et marges musée

L’engouement du public et des institutions et du marché

L’art outsider suscite un énorme intérêt, confirmé récemment en Belgique par le succès public de Photo Brut. Entre fascination et répulsion, l’art brut nous emmène ailleurs et déstabilise nos certitudes. Coline De Reymaeker, elle, y trouve beaucoup d’humour. "Je regarde tout ça avec beaucoup d’humour. Ça peut parler de choses très sombres, mais il y a un côté décalé qui permet d’avoir de l’humour par rapport à la vie en général. C’est assez nécessaire actuellement d’avoir ce pas de côté dans la manière d’aborder les choses."

Serge Paillard, coll. Art et marges musée
Serge Paillard, coll. Art et marges musée © Art et marges musée

L’engouement vient aussi du marché où les œuvres sont beaucoup moins chères que l’art contemporain. " Même si la cote de certain.e.s explose (une grande aquarelle d’Henri Darger se vend à 500.000 euros minimum). On voit une multiplication des galeries et des expositions. Dernier événement en date, la donation de 921 œuvres de la collection de Bruno Decharme au Musée national d’art moderne du Centre Pompidou. L’art brut y a sa salle permanente. "L’art outsider est tout à fait rentré dans le jeu de l’art aujourd’hui. Il y a des stars qui ne sont plus que dans des collections privées et de grands musées dans le monde. " Et s’il y a des abus de la part de galeristes "face à des créateurs et des créatrices qui sont souvent plus fragilisés, peut-être moins conscients de ce qui se joue avec leur travail", la plupart des acteurs du secteur, nous dit la responsable de projets, "sont dans une optique de sauvegarde et de valorisation du travail. "

Antoine Mvumbi, coll. Art et marges musée
Antoine Mvumbi, coll. Art et marges musée © Art et marges musée

En pratique :

N’appelez Pas Ça Art Brut est une expo chantier qui évoluera toute l’année, avec quatre focus différents.

Du 6 avril 2023 au 21 avril 2024.

Art Et Marges -1000 Bruxelles

© Art et marges musée

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