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Nadia se paye la scène alternative : "La backstage busy bee"

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Par Nadia Kara

Depuis 2019, JAM documente et promeut la scène alternative - et heureusement! Dans un paysage média parfois un peu enfermé dans un train-train quotidien, focalisé sur les mêmes artistes et les mêmes genres, un peu de curiosité et d'ouverture d’esprit, ça rafraîchit. Et en même temps, cette scène alternative pullule de personnages caricaturaux, de clichés qu’on adore hater, d’égos démesurés: on les croise en concert et dans les bars, on les suit sur les réseaux sociaux, et si on est tout à fait honnête, il faut avouer qu’il y a un peu d’elleux en chacun·e de nous. Parce qu’il faut savoir rire de soi-même, je vous propose d’explorer ensemble mes clichés préférés de la scène alternative.  

Après le vieux de la vieille, dressons le portrait d’une nana qu’on connaît toustes (ou avec qui on a 112 amis Facebook en commun): la backstage busy bee. Je le répète, au cas où vous écoutiez pas la première fois: le principe, c’est surtout de rigoler un peu! Si cette caricature vous fait penser à quelqu’un, faites tourner et accompagnez d’emojis cœur en trois couleurs différentes.

 Qui c’est qui rentre juste de trois semaines à New-York, “pour le taf mais aussi pour réseauter”? C’est notre nouveau cliché du mois! Jean slim, Air Max, tatouage ‘Soulmates Never Die’ qui date de son époque semi gothique, la backstage busy bee résiste aux tendances et reste fidèle au style qu'elle a adopté à 22 ans. La mode, c'est pour les nanas basiques: elle, elle a toujours su qu’elle voulait travailler dans la musique. Après des études de journalisme dans une haute école bruxelloise, elle a fait un stage à Paris, qu’elle appelle sa “deuxième maison” - même si ça n’a duré que trois mois. Vingt ans après, elle parle encore non-stop de cette période comme de la “bonne époque”, étalant ses souvenirs comme un tableau de chasse, en namedroppant un maximum de gens qui n’ont toujours aucune idée de son existence. Nostalgique de Myspace, elle a précieusement sauvegardé le screenshot de la fois où Diplo lui avait envoyé une Friend Request et aime répéter à qui veut l’entendre que c’est elle qui a trouvé le nom pour son projet Major Lazer. De son heure de gloire, il ne reste plus que quelques photos basses def immortalisées en sépia avec un petit appareil numérique, mais en fouillant un peu son Facebook, vous trouverez un album rempli de selfies old school pris avec des chanteurs, guitaristes, batteurs, DJ’s et autres promoteurs de soirées à mèche, suintant l’alcool à travers leur T-shirt col V American Apparel. Petit à petit, à la sueur de son front, elle a gravi les échelons d’une industrie sexiste (même si elle trouve qu’on exagère et qu’il faut jouer le jeu, en tant que meuf) et a pu tirer parti de ses connexions. Aujourd’hui, elle a enfin réalisé son rêve d’adolescence: s’occuper de la com’ pour des artistes à temps plein et jouer des disques “pendant que tout le monde dort”. Badge all access autour du cou, elle se balade fièrement de salles de concerts en festivals, en prenant bien soin de ne partager que des vidéos prises depuis l’arrière de la scène. 

Quand vous la croisez à Kiosk Radio après le taf, canette de bière à la main, elle vous ignore jusqu’à ce qu’elle vous spotte avec quelqu’un de vraiment intéressant - “comment ça va, ma belle?". Vernis écaillé, chignon en bataille, T-shirts oversize, son allure est calculée pour vous faire savoir qu’elle est pas comme les autres meufs - d’ailleurs, elle traîne qu’avec des mecs. En soirée, scotchée à son talkie et à son iPhone, elle est pas là pour le plaisir, elle TRAVAILLE. Elle est busy, tu comprends: non seulement elle doit découvrir les nouveaux groupes qui buzzent avant tout le monde (elle n’a pas compris que plus personne n’utilise l’expression “buzz” depuis 2014), elle doit aussi entretenir sa propre image de marque. Sur son Instagram, on ne retrouve quasi que des selfies, “pour tromper l’algorithme” et un peu aussi pour tromper l’ennui d’une vie bien remplie, et pourtant bien vide de sens.

Elle pense avoir réussi à duper tout le monde, seulement voilà: au travers de son image parfaitement fabriquée, on devine une jeune femme qui n’arrive pas à trouver le bonheur, la sérénité, le fameux self-love dont elle rabâche ses followers et ses copines, lassées de la voir s’enliser dans un cliché qui n’a jamais vraiment été cool. Obsédée par ce que les autres pensent d’elle, notre protagoniste passe un peu trop de temps à se demander qui la jalouse, et pas assez à travailler l’introspection (avec l’aide d’un·e psychologue, de préférence). En réalité, elle panse tant bien que mal les blessures d’un amour paternel qu’elle n’a jamais vraiment pu obtenir, espérant trouver dans la validation externe un substitut qui pourrait enfin lui donner l’impression d’être importante. La prochaine fois que vous la croisez (c’est bientôt la saison des festivals, allez chercher dans l’espace presse), soyez sympa avec elle, elle en a bien besoin. Sauf si elle vous ignore, évidemment; dans ce cas-là, retournez danser dans la foule avec vos potes et oubliez-la une bonne fois pour toutes.

Retrouvez la chronique de Nadia une fois par mois sur Jam !

ABOUT NADIA

Nadia Kara est une Anversoise de Liège. Elle écrit pour divers médias, produit et présente des podcasts et prend régulièrement le micro pour modérer des panels sur des sujets allant du féminisme à la santé mentale. Elle aime son chien Biceps, aller seule au cinéma et parler de peines de coeur avec des inconnues dans les toilettes des clubs.

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