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Mobilité à Liège : la cohabitation est-elle possible entre piétons, automobilistes et cyclistes ?

© Belga et Getty Images

"Une journée ensoleillée qui commençait bien : un charmant éboueur m’aide à sortir mon vélo de la maison, petit temps de midi avec ma fille balade à la Lande avec mon amie et en sortant de chez elle à vélo, je tente de rejoindre la route embouteillée en direction du parc de la Boverie, et là, je me fais agresser sur le trottoir par un malabar malotru d’une cinquantaine d’années, qui me fait tomber de mon vélo, me donne des coups dans les côtes, je perds mes lunettes, il me pousse, me hurle dessus en me traitant de sale cycliste. Probablement une côte froissée ou cassée, et mon vélo qui fait un drôle de bruit. L’agressivité en ville devient insupportable, les conducteurs de voiture excédés par les embouteillages permanents, la rage contre les cyclistes. Dans quel monde on vit ? Comment retrouver un peu de douceur et de bienveillance ? J’ai mal, j’en ai marre."

Ce témoignage a été posté sur Facebook par une cycliste liégeoise fin du mois de septembre. Cherchez quelques minutes et des récits comme celui-ci vous en lirez des dizaines. A l’heure où Liège est défigurée par les travaux du tram et où les embouteillages semblent ne jamais se terminer, les Liégeois sont de plus en plus nombreux à enfourcher leur vélo. Pourtant, une fois les pieds sur les pédales, les ennuis commencent.

Le quotidien d’un cycliste à Liège dans l’œil d’un youtubeur

Si vous ne voyez pas trop de quoi je parle, allez jeter un œil sur Youtube. Dans la plupart des grandes villes, il existe des Youtubeurs qui filment leurs trajets à vélo et leurs altercations avec des automobilistes souvent agressifs. Liège possède également les siens, le plus célèbre se fait appeler Mad Vlad. Ses vidéos fonctionnent tellement bien que ses trajets filmés à vélo ont été l’objet d’un tournage pour une émission d’une chaîne de télévision française. "Mon objectif, c’est de montrer le quotidien d’un cycliste à Liège de manière humoristique, d’abord pour décharger ma frustration mais aussi pour dénoncer ce qui se passe". Voilà la mission que se donne Mad Vlad.

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Sous ses airs de "hater", Mad Vlad est en fait un justicier de la mobilité. Si ces vidéos peuvent laisser croire à une envie de s’en prendre aux automobilistes, ses intensions sont différentes. "Mon point de départ n’a jamais été de prendre en grippe le mode de déplacement qu’est la voiture, mais plutôt le conducteur du véhicule" explique Mad Vlad, "Nonante pourcents du temps, les automobilistes sont des gens super aimables, super précautionneux et qui font vraiment attention aux usagers faibles quand ils se déplacent. Mais il existe une minorité toxique et pour moi, le problème est que la loi n’est pas appliquée. Il est important de soumettre cette minorité d’automobilistes aux règles de la société et de la verbaliser. Il y a un réel manque d’impunité à ce niveau-là."

La problématique des infrastructures partagées

Au niveau des autorités de la ville de Liège, on remarque une tendance à promouvoir les espaces partagés entre piétons et cyclistes. Si sur papier, ces infrastructures semblent fonctionner, dans les faits, celles-ci sont généralement le terrain de frictions. C’est en tout cas ce que pense le GRACQ, Groupe de Recherche et d’Action des Cyclistes Quotidiens, qui se bat pour que la ville mette en place des infrastructures séparées quand l’espace nécessaire existe. "Les quais de Meuse, près du boulevard frère Orban, ont été refaits il y a quelques années et c’est un mixte de pistes cyclables pas très visibles et de trottoirs. Récemment, il y a eu un accident sérieux entre une cycliste et des piétons. Quand il y a trop de monde, avec des vélos qui passent à 25 à l’heure au milieu des piétons, ça peut tourner en catastrophe." raconte Serge Seron, membre du GRACQ. La croissance nette du trafic des vélos en ville rend également les zones partagées de moins en moins pratiques. "Ça marche bien seulement quand vous avez cinq piétons et trois vélos sur deux cents mètres, mais après ça devient dangereux" ajoute Serge Seron. Dans le cas où ces zones partagées sont la seule solution, le GRACQ plaide pour un marquage ou une zone de couleur bien différenciée pour les piétons et les cyclistes, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

L’enfer des rues cyclables

Les rues cyclables sont responsables de nombreux conflits entre cyclistes et automobilistes
Les rues cyclables sont responsables de nombreux conflits entre cyclistes et automobilistes © Marie Bourguignon

Elles sont apparues à Liège durant l’été 2020. Les rues cyclables étaient alors méconnues des Liégeois. Elles sont reconnaissables à ce logo bleu avec un cycliste en blanc et une voiture rouge, souvent peint sur le tarmac. Dans ces tronçons, le vélo est prioritaire et les engins motorisés ne peuvent pas le dépasser. La vitesse est limitée aussi à 30 kilomètres/heure. Un peu plus d’un an après leur apparition, le bilan n’est pas glorieux, nombreux sont les automobilistes (et aussi certains cyclistes) qui ne savent tout simplement pas comment s’y déplacer.

"Ça m’est arrivé d’avoir une altercation avec une dame qui klaxonnait derrière moi parce qu’elle voulait absolument passer", raconte Serge Seron du Groupe de Recherche et d’Action des Cyclistes Quotidiens "Et donc dans ces cas-là, je m’arrête, je dépose mon vélo au milieu de la rue et je vais discuter." "Au quotidien, je fais tout pour ne pas emprunter les rues cyclables. C’est beaucoup trop stressant d’y rouler" ajoute le youtubeur Mad Vlad," Il s’agit de l’exemple typique d’infrastructures mises en place par les décideurs qui nous, cyclistes au quotidien, nous semblent irréfléchies."

Le Liégeois n’a pas la culture du vélo

S’il y a bien un état de fait que personne ne contredira, c’est le suivant : le Liégeois n’a pas la culture du vélo. Les Liégeois, comme une grande partie les Wallons, ne sont simplement pas habitués au vélo comme moyen de transport comme c’est le cas en Flandres, en Allemagne, aux Pays-bas. Selon une enquête du SPF Mobilité, un flamand sur deux a enfourché un vélo au moins une fois durant l’année 2020. Côté wallon, seules deux personnes sur dix se sont déplacées sur un deux-roues en 2020.

 

A Liège, on a vu apparaître les trémies et les bords de Meuse ont été aménagés.

Pour comprendre pourquoi, il est utile de regarder un peu en arrière et de s’intéresser à l’histoire du vélo et sa place dans nos villes. Après son invention au 19e siècle, le vélo a connu un âge d’or. Il a d’abord été réservé seulement à la bourgeoise, puis partout en Belgique, le vélo est devenu un mode de déplacement privilégié pour les classes populaires et aussi de nombreuses professions comme les postiers ou les policiers. Dans les grandes villes wallonnes, comme à Liège, jusqu’au milieu du 20e siècle, il cohabitait avec le tramway. Et puis est arrivée la voiture.

"Avec le démarrage du règne automobile, on a considéré que les tramways empêchaient les automobiles de circuler de manière fluide, donc toutes les villes belges sauf Bruxelles les ont supprimés. A Liège, on a vu apparaître les trémies et les bords de Meuse ont été aménagés." indique Michel Hubert, professeur en mutations et politiques urbaines contemporaines à l’Université Saint-Louis. Il n’y avait donc plus d’infrastructures adaptées pour le vélo qui petit à petit a été abandonné comme moyen de transport quotidien au profit de l’automobile. En Flandres, par contre, le vélo a toujours gardé sa place. "A l’arrivée de la voiture, on n’a pas supprimé les infrastructures cyclables qui existaient comme les pistes cyclables et les immenses parkings à vélo aux abords des gares. On peut l’expliquer par le relief qui permettait plus de facilité de déplacement mais aussi par la pratique du sport cycliste qui a toujours été très présente au nord du pays." ajoute Michel Hubert.

Si les Liégeois n’ont plus la culture du vélo, certains ont envie d’apprendre. "Il y a de l’éducation à faire !" clame Serge Seron du GRACQ. Celle des cyclistes pour commencer. Le GRACQ organise d’ailleurs des formations à destination de ceux cherchent à acquérir les bons réflexes pour circuler à vélo dans le trafic.

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Dans un deuxième temps, il est aussi important de sensibiliser les piétons, usagers les plus faibles, à la présence des cyclistes. "Il faut que les piétons remarquent qu’ils sont sur une piste cyclable et que ce n’est pas leur place" souligne Serge Seron du GRACQ. "Un cas très concret à Liège, c’est la rampe du pont Kennedy entre la place du XX août et le pont Kennedy. Il y a une petite piste cyclable qui est utilisée tout le temps par les piétons comme trottoir. Ils se mettent en danger et mettent en danger les vélos !"

Sensibiliser les automobilistes avec bienveillance

© http://carfree.fr/

Ils sont peut-être les plus coriaces, les automobilistes ont, eux aussi, besoin qu’on les accompagne dans cette évolution des moyens de transport. Alors pour bousculer les plus distraits garés sur les pistes cyclables, les cyclistes plus radicaux n’hésitent pas à utiliser ce genre de stickers : "Encore garé comme une merde" ou "Cette piste est faite pour les vélos pas pour les idiots". Julie Mottet est cycliste, piétonne et automobiliste à Liège, elle aspire à plus de bienveillance : "Ce genre de stickers me fait rire mais ne fait qu’ alimenter les tensions. Et puis coller un sticker directement sur la voiture de quelqu’un, qui va donc devoir le décoller, c’est peut-être un peu intrusif ou agressif." Alors Julie Mottet a décidé de se réunir avec d’autres cyclistes liégeois pour créer de nouveaux messages qui invitent à la réflexion et à l’empathie, sous forme de papier à glisser sous un essuie-glace. "Parfois, c’est simplement un automobiliste qui n’a pas compris où il se garait et n’a pas conscience à quel point il peut mettre un cycliste en danger."

Infrastructures : bientôt 2 millions d’euros pour les vélos 

Liège ne ressemblera sans doute jamais à Amsterdam mais il n’est pas interdit aux cyclistes d’en rêver. Pour que la situation et les mentalités évoluent et que chacun se sente en sécurité, il faut de nouvelles infrastructures sécurisées. Ce mardi 28 septembre, au conseil communal de Liège, un plan d’investissement régional sera voté. Celui-ci prévoit une enveloppe de 2 millions d’euros en faveur de la mobilité douce. Treize projets cyclables sont proposés. Parmi les aménagements prévus, il y a notamment la mise en place de 120 arceaux dans la ville, l’installation de 10 abris à vélo et la création de pistes cyclables avec par exemple un lien interquartiers entre Hocheporte et Sainte-Walburge et un corridor cyclable pour relier le quartier Louvrex au boulevard d’Avroy. A la lecture de ce plan, on observe que les autorités communales misent davantage sur l’utilisation du vélo électrique, les aménagements ayant principalement lieu vers des quartiers plus en hauteur, en dehors de l’hyper centre.

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