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ML, métamorphose libératrice

© Bibian Bingen

Par Diane Theunissen via

Il y a quelques années, elle débarquait sur le devant de la scène bruxelloise avec son groupe Sonnfjord. Un EP, des singles, des concerts et une flambée de souvenirs sous le bras, la chanteuse, guitariste et auteure-compositrice Maria-Laetitia Mattern a décidé de prendre la tangente : elle se livre aujourd’hui par le prisme d’un projet solo nommé ML, comme elle. Au programme : un mélange de pop scintillante et de balades intimes teintées d’une touche d’indé, le tout élevé par des paroles profondes, à la fois poétiques et sincères. Un projet enivrant à découvrir ce soir lors des Nuits Botanique ! 

© Ella Hermë

Salut ML ! Ton EP Changé sortira le 13 mai prochain. Comment s’est déroulée la conception de ce projet ?

Ça s’est fait de façon très progressive. ML est née d’un projet que je pensais être la suite de Sonnfjord. Ça a été un long processus : il y a des chansons de l’EP que j’ai écrites il y a vraiment longtemps. D’abord, j’avais des chansons en anglais – que je pensais être la suite de Sonnfjord – puis j’ai commencé à écrire en français. On a passé pas mal de temps à trouver le producteur avec qui bosser. On est arrivés chez Ambroise Willaume alias Sage avec plein de maquettes, certaines en français et d'autres en anglais. Ça, c’était avec Aurelio Mattern et François De Moffarts [les membres du groupe Sonnfjord], qui ont vraiment participé à la production de l’EP. À ce moment-là, Ambroise m’a vraiment aiguillée : il me disait que le français m’allait trop bien, et moi j’avais un peu un pied dans chaque truc, je ne savais pas trop dans quelle direction aller. C’est un peu comme si mes chansons m’avaient précédée dans le changement : j’ai écrit des choses qui induisaient un changement sans savoir que c’était le moment de franchir le pas. Ça faisait longtemps que je me disais que j’allais faire un projet solo mais je ne l’assumais pas trop, je le mettais toujours dans un tiroir. C’est difficile de finir un groupe, ce n’est pas une décision facile. C’est comme la fin d’un couple où t’essayes de reporter la date butoir ! Finalement, il y a eu un moment de déclic où je me suis dit “ça ne va plus s’appeler Sonnfjord, ça va s’appeler ML”, et le projet solo a découlé de ça.

Si je comprends bien, ce n’est donc pas si solo que ça ?

Non, ce n’est pas si solo que ça. Il y a vraiment un travail collectif derrière les morceaux et ça je l’assume complètement, on est tous raccord avec ça. L’envie de le porter en solo vient vraiment du français, qui induit un côté beaucoup plus personnel au niveau des textes. En français, je me livre beaucoup plus. J’avais donc envie de porter ce projet toute seule, d’avoir la liberté de choisir avec qui j’allais travailler à l’avenir, comment défendre le projet, comment en parler, etc.

Tu as d’ailleurs invité Flore Benguigui à chanter sur un des morceaux. Comment est née cette collaboration ?

J’ai rencontré Flore à la soirée 100% Sounds for Research à La Madeleine. À l’époque, j’étais avec Sonnfjord, et elle jouait avec L’Impératrice à la même soirée. On a un peu fait la fête ensemble et on est restées en contact sur Instagram. Quand j’ai eu “Changé” entre les mains, j’ai eu envie de faire un duo sur ce morceau-là, et je me suis dit qu’avec Flore ce serait parfait. C’était hyper simple : elle est passée au studio et on a enregistré son audio, c’était hyper cool. Ce qui est chouette, c’est que nos deux voix se ressemblent un petit peu, et donc ça fait un effet un peu “schizophrène”. C’est marrant, la chanson parle de changement, et lorsque je chante “comme tu l’entends au son de ma voix”, c’est comme si ma voix se métamorphosait. Je n’y avais pas du tout pensé ! 

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Tes paroles sont très touchantes, à la fois poétiques et sincères. D’ou vient cette plume ?

Merci ! Je suis au début d’un processus d’écriture en français, et ce que j’aime avec cette langue c’est qu’elle permet vraiment de se livrer. Au début, j’écrivais avec beaucoup trop de métaphores puis à un moment, je me suis un peu réorientée et je me suis dit qu’il fallait que je sois un peu plus directe dans mon approche. J’aime bien les textes comme ceux de “Un Peu Plus Haut” ou “Changé”. Ce sont des textes plus poétiques qui permettent de parler de changement de manière assez basique. Certains artistes francophones m’ont donné envie de me mettre au français. Je pense notamment à un artiste canadien, Peter Peter. Il a sorti un album qui s’appelle Noir éden. Cet album, je l’ai bouffé, je l’ai dévoré, en particulier deux chansons : “Noir éden” et “Bien réel”. Son écriture m’a beaucoup influencée à ce moment-là, il a un truc à la fois direct et poétique que j’aime beaucoup. J’adore Nicolas Michaux aussi, même si je n’aurais pas la prétention de dire que j’écris comme lui parce qu’il écrit comme un dieu ! Par contre, parfois l’anglais me manque. L’anglais, c’est tellement chantant, c’est tellement facile à faire chanter. Les mots sont super courts, ce qui permet de dire beaucoup plus de choses en une phrase qu’avec le français. Je n’exclue pas de me remettre à l’anglais un jour ou l’autre, ou de faire un mélange des deux langues ! Après, je suis très contente de m’être mise au français et de pouvoir raconter des choses aux gens, c’est ce que je trouve chouette. 

Ça fait longtemps que tu fais de la musique. Est-ce que tu arrives à un point où tu as envie d’être plus honnête avec ton public ?

Tout à fait. Il y a une vraie réflexion sur l’authenticité, qui va même jusqu’au stylisme. C’est bizarre, mais l’envie d’être très authentique et de ne pas jouer un rôle que je ne suis pas, c’est ce qui a défini la ligne de conduite du projet. Je me suis beaucoup posée la question “comment faire pour être soi-même ?” Quand on y pense, être soi-même, ça peut être 1000 trucs. On peut être soi-même en étant hyper maquillé et déguisé : il y a plein d’artistes qui sont hyper extravagants dans leur look (…) J’avais envie de cette authenticité, et je pense que ça passait par le projet solo, par le fait d’arrêter de me dire que c’était un projet de groupe si j’avais envie d’en faire un projet solo. Ça passait aussi par mon nom : ML, c’est comme ça que tout le monde m’appelle. Je n’ai rien inventé, c’est comme ça qu’on m’appelle depuis que j’ai 14 ans, c’est ce que je suis. J’aime bien les artistes comme Charlotte Gainsbourg, Maggie Rogers, qui ont un truc assez rough : elles viennent comme elles sont.

Le changement fait partie intégrante de ton projet. Qu’est-ce qui t’a envie de mettre l’accent là-dessus ?

C’est marrant, de la même manière que mes chansons ont précédé l’éclosion du projet ML, j’ai écrit toutes ces chansons et après coup quand j'ai pris un peu de recul, je me suis dit que je parlais beaucoup de mouvements, de changements. Dans "Un Peu Plus Haut" je prends de la hauteur, dans "Divagation" je divague, je me trompe un peu de chemin, et puis je parle de changements dans "Changé". Ces chansons, je les ai écrites sur un laps de temps assez grand qui correspond au passage la vingtaine à la trentaine, entre 25 et 30 ans. C’est un âge où on change énormément. Je le vois chez pas mal de mes amis aussi : on a moins d’apriori sur la vie, on commence à se rendre compte que les choses ne sont pas aussi noires ou blanches qu’on le pensait. Et ce, à tous les niveaux : que ce soit en termes de vie professionnelle, de vie musicale, de vie de couple, d’amitié, etc. De mon côté, il y a plein de vérités toutes faites qui sont tombées pendant cette période-là de la vie. J’en parle beaucoup dans mes chansons, que ce soit de manière directe ou abstraite. Je crois que j’avais besoin de mettre l’accent là-dessus, de dire que tout change et que ce n'est pas forcément négatif. Il faut l’assumer, et s’accepter. Accepter que la voie qu’on prend n’est pas forcément celle qui est toute tracée. 

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Tu prends les choses comme elles viennent, tu ne crées pas le changement. Cette approche d'acceptation est également présente dans la musique de l’EP, qui n’est pas du tout linéaire : on passe très vite d’une ambiance mélancolique à une vibe plus rêveuse, voire joyeuse. 

Ça représente bien qui je suis. Je vis mes émotions de manière très forte, j’ai toujours pensé que tout le monde était comme ça (rires). Je suis quelqu’un d’assez sensible – cela dit je pense que beaucoup de gens le sont, rien d’exceptionnel ici. Mais clairement, l'EP représente différentes facettes de ma personnalité. Il y a aussi beaucoup de joie. Quand j'ai écrit "Un peu plus haut", on commençait le studio avec Ambroise et j’étais dans une phase de ma vie où j’étais vraiment très heureuse, ce qui est marrant parce que la chanson est assez mélancolique. Mais je sais que j’ai un peu une mélancolie constante, et j’ai tendance à être assez nostalgique. Ce sont différentes facettes qui représentent différentes humeurs. Je ne suis pas trop mono humeur, je change vite d’humeur. Mon copain dit que je suis un petit canari : je vis les choses à fond. Quand on veut me faire peur j’ai peur, comme un petit canari qui sursaute ou qui clamse quand il y a trop d’émotions (rires).

Ta musique est parfois mélancolique, parfois plus uptempo. Est-ce que tu adoptes un processus d’écriture différent selon le mood du morceau ?

Franchement, ce n’est pas du tout réfléchi. Au contraire, c’est très instinctif. J’écris mes chansons en guitare-voix et parfois, j’ai des chansons assez nostalgiques de base qui avec la prod, deviennent des chansons un peu plus dansantes. C’est ce que je trouve beau dans le fait de travailler en collectif avec des gens, c’est qu’ils peuvent réinventer tes morceaux et en faire autre chose. Mes chansons positives parlent beaucoup d’amour, mais dans les nouveaux morceaux que je suis en train d’écrire, j’arrive à parler de choses qui sont très positives de façon plus indépendante, et pas “je suis très positive parce que je suis amoureuse”. C’est un gros challenge que de réussir à écrire des chansons positives uniquement sur soi. Une chose est sûre : c’est plus facile d’écrire quand on est un peu triste. L’envie de me mettre à la guitare et de faire mes chansons, elle me vient quand je suis triste. Mon pire ennemi, c’est le stress : le fait d’être préoccupée par des choses matérielles, pragmatiques, ça c’est un tue-créativité absolu. Par contre la tristesse ne l’est pas, et la joie non plus. Le plus important, c'est d'avoir l'esprit libre.

Ton processus créatif commence souvent par le guitare-voix. Comment est-ce que tu arrives au produit fini ?

Pour ce projet-ci – donc pour cet EP et les chansons à venir –, les premières personnes qui ont pris mes morceaux et ont fait les premiers changements c’était mon frère Aurelio, qui a un projet solo qui s’appelle Aurel, et François. Ils ont bossé sur toutes les pre-prods de mes morceaux. C’est eux qui prennent mes guitare-voix et qui les emmènent ailleurs. Ambroise a pris ce rôle-là aussi : certains morceaux sont passés directement chez lui. Ils ont tous les trois produit les chansons mais à des degrés différents. Ambroise a eu un rôle important parce que c’est lui qui a finalisé toutes les maquettes : il a arrangé le produit final et apporté une âme aux morceaux. Quand on enregistrait les maquettes, ça partait un peu dans tous les sens, et il est très fort pour rendre les morceaux cohérents et efficaces tout en gardant une certaine âme. C’est quelqu’un qui a une grande sensibilité artistique, et il a bien capté dans quelle direction j’avais envie d’aller pour ces morceaux. Le titre “Un Peu Plus Haut” par exemple, je l’ai amené en guitare-voix, Ambroise s’est mis au piano, il l'a joué et on l’a enregistré comme ça (...) Ça a été un travail collaboratif, et la rencontre avec Ambroise a été décisive : il m’a fait comprendre que j’avais envie d’aller vers le français, il m'a aidée à assumer l'envie de défendre ces morceaux en solo, et à ouvrir un nouveau chapitre. Il a aussi eu un impact sur la manière que j’ai de poser ma voix en français. Quand j’enregistrais les voix avec lui, il me poussait presqu’aux larmes (rires). Il allait chercher les émotions que j’avais envie de faire passer dans tel ou tel morceau. Il m’a vraiment aidée à trouver ma voix ; j’ai même changé de voix. C’est évidemment du au passage de l’anglais au français, mais pas seulement : on a fait un vrai travail sur ma voix.

© Ella Hermë

Quel est le fil rouge de l’EP en termes de sonorités ?

Le fil rouge et la cohérence du projet viennent à la fois des compos, de ma voix et de mes textes : c’est moi qui ai tout écrit. Il y a des forces et des faiblesses dans mes paroles mais c’est aussi ce qui crée ce que c'est. Ce sont mes chansons. Le son d’Ambroise a aussi apporté une continuité : il y a un son chaleureux sur des prods assez efficaces, pop et modernes. En allant vers lui, j’avais dit “j’ai envie que ça sonne chaud, que ce soit chaleureux. J’ai pas envie d’une musique froide”. On était dans un petit studio qui était un studio maison, c’était comme si on enregistrait chez lui. Je pense que ça participe au son. C’est un petit mélange : ma voix et mes textes, les pre-prods d’Aurel et François qui ont un côté plus indie, et la touche finale d’Ambroise.  

As-tu été influencée par une personne ou un artiste en particulier lors de la conception de ce projet ?

Je pense que ce qui m’a le plus inspirée, ce sont tous ces changements qui se passent entre 25 et 30 ans. Après, c’est vrai que j’ai beaucoup lu sur Leonard Cohen pendant la période où j’ai fait ces morceaux. Il m’a beaucoup inspirée. Il y a une phrase qu’il dit dans une de ses chansons qui est “there’s a crack in everything, it’s how the light gets in”. La traduction française serait “il y a une faille dans tout et c’est ainsi que passe la lumière”. Ça m’a beaucoup confortée dans l’idée d’accepter mes failles, d’accepter d’aller de l’avant et de m'accepter telle que je suis. Je trouve qu’on est plus comme ça à 30 ans qu’à 20 ans. À 20 ans, on essaye plus d’être quelqu’un. À 30 ans, on est devenu ce qu’on est vraiment.

Aujourd'hui, est-ce que tu sais qui tu es ?

Oui. Je me pose beaucoup de questions et je doute souvent de moi, mais dans le fond je sais qui je suis. Et ça c’est vrai que c’est précieux.

© Ella Hermë

La musique aura été thérapeutique !

Exactement. Ça pousse à aller farfouiller au fond des choses. Pour en revenir aux influences,  j'aurais du mal à résumer ça à une seule personne. Plusieurs personnes ont influencé ce projet, et Ambroise est l’une d’entre elles. J’avais pas mal divagué avant de trouver le producteur qui allait finaliser les titres, et finalement notre collaboration a aussi été une ouverture vers la France. Maintenant je bosse aussi avec la boîte de management Allo Floride. J’ai l’impression d'avoir mis un petit orteil à Paris et de m’être dit “Ah mais c’est cool ce qu’il se passe ici, il y a de chouettes gens, c’est foisonnant, la scène est interessante”. C’est cool de sortir un peu du milieu musical bruxellois même si je l’adore et que ce sont mes amis. C’est chouette de voir un peu d’autres têtes. 

Tu seras en concert au Botanique le 28/04. À quoi peut-on s’attendre ?

On peut s’attendre à un live à l’image de l’EP, avec plusieurs humeurs. On me dit souvent que c’est très cohérent, et ça me fait plaisir car les chansons sont assez différentes entre elles. On ouvre sur un guitare-voix qui évolue de manière instrumentale, puis certains morceaux sont plus pop comme “Nuit Noire”, par exemple. Je joue 7 titres en live, et comme il y en a seulement 4 sur l’EP, ça laisse deviner qu’il y aura une suite. D'autres morceaux que je ne joue pas en live sont prêts aussi. Ça c’est cool aussi, c’est intéressant de faire du live pour dévoiler tout ça. C’est un peu dansant, je crois qu’il y a des choses plus intimes aussi. C’est cool mon live, venez tous (rires) ! 

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