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Milice privée chez Meister: une information judiciaire ouverte

Quelques-uns des hommes envoyés par la direction allemande de Meister à Sprimont

© RTBF

Par Belga News
Le procureur du Roi de Liège, Danièle Reynders, a ouvert une information judiciaire. Cette information judiciaire s'appuie sur trois plaintes qui sont parvenues au parquet de Liège.

"Trois ouvriers ont porté plainte pour coups et blessures à la suite de l'intervention d'une milice privée sur le site de l'entreprise liégeoise", a confirmé le parquet de Liège.
     
"Plusieurs sociétés voisines de la société Meister ont également déposé plainte mais pour l'enlèvement de palettes de marchandises qui ont été utilisées par les travailleurs pour se réchauffer devant le site de l'entreprise", a ajouté Danièle Reynders. "La troisième plainte concerne l'intervention d'une milice privée venue d'Allemagne. Selon la loi Tobback, les sociétés de gardiennage doivent obtenir une autorisation pour opérer sur le territoire belge. Les sociétés, belges ou étrangères, qui ne disposent pas de cette autorisation tombent sous le coup de la loi sur les milices privées et sont passibles de poursuites judiciaires."

"Des méthodes terroristes"

Les syndicats de la société Meister se sont réunis lundi avec le conciliateur social à l'auditorat du travail de Liège. Ils ont donc commencé par déposer plainte, en front commun, contre le groupe auquel appartient leur société. "L'épreuve de force dont nous avons été victimes relève du jamais-vu et ne peut rester sans suite. Ces actes s'apparentent à de véritables méthodes terroristes et de sauvageries totalement inconnues dans notre système de concertation sociale" a expliqué Gabriel Smal, secrétaire principal CSC Metea.

Autour de la table à Liège se trouvaient les syndicats, les avocats de la direction liégeoise de Meister ainsi que le conciliateur social, Jean-Marie Fafchamps: "La négociation s'est déroulée dans un climat tout à fait correct. Il y a des pistes sérieuses et crédibles qui ont été mises sur la table". L'une des pistes évoquée a notamment été de nommer un administrateur délégué provisoire chargé de payer les salaires et de poursuivre l'activité industrielle. "Nous avons prévu une nouvelle réunion demain à 10 heures 30 afin de valider les pistes qui seront examinées par la direction allemande d'une part et par les organisations syndicales d'autre part. Je pense qu'on est sur la bonne voie" a conclu le conciliateur.

Le syndicat allemand IG Metall, par la voix de Harry Domnik, dirigeant du bureau local IG Metall à Bielefeld (nord-ouest), a "très fermement" condamné l'action de la "milice privée" dimanche à l'usine Meister de Sprimont, a indiqué lundi le syndicat CSC-Metea.

Armés de matraques

Ce dimanche après-midi, vers 14h, une quinzaine d'hommes, gilets pare-balle sur le dos et armés de matraques, de battes de baseball et de sprays lacrymogènes, se sont introduits dans l'entreprise Meister de Sprimont. Un véritable commando d'une société privée de gardiennage allemande envoyée par la direction pour récupérer des pièces de voitures fabriquées dans sa filiale belge.

Les syndicats étaient décidés à s'opposer à cette manœuvre. Les agents privés de sécurité ont sorti de force violemment le personnel. Trois ouvriers ont porté plainte pour coups et blessures. Une trentaine de policiers sont arrivés sur place. Les hommes du groupe privé ont été bloqués à l'intérieur avec trois camionnettes et deux camions. Dehors, une cinquantaine de travailleurs et de syndicalistes refusaient de les laisser sortir.

Le conciliateur social, Jean-Marie Fafchamps, est arrivé sur place en début de soirée. Il a annoncé qu'un conseil d'entreprise extraordinaire devait être organisé. En attendant, il a été interdit à la milice de sortir du site. Le bourgmestre de la commune a également décidé d'interdire, pour des raisons d'ordre public, tout mouvement de véhicule "tant que la réunion du conseil d'entreprise extraordinaire n'a pas eu lieu", a-t-il expliqué (écoutez, ci-contre).

Vers 19h30, une délégation de la FGTB et de la CSC est entrée dans le bâtiment avec le conciliateur social pour tenter de négocier avec les membres de cette milice. Peu avant 21h, on apprenait que les négociations étaient interrompues et qu'un membre de la direction allemande était toujours attendu sur place. La direction allemande de Meister a demandé aux travailleurs de laisser passer ces personnes avec le matériel. Ce qu'ils ont refusé. Travailleurs et syndicalistes se disaient prêts à y passer la nuit.

Il faut savoir que les relations sont tendues depuis quelques jours chez Meister Benelux entre la direction et le personnel. Les travailleurs ont appris lundi, lors d'un conseil d'entreprise extraordinaire, que deux importantes commandes qui devaient être réalisées sur le site belge de Meister seront traitées ailleurs (République tchèque). Mercredi, la direction avait été séquestrée par les travailleurs à Sprimont.

Cette nuit, les relations se sont fort heureusement apaisées. La milice a d’ailleurs quitté les lieux vers 1h30, sous escorte policière. ''En définitive, déclare Jean-Luc Noirfalise (FGTB), c’est ceux qui sont venus nous agresser qui sont protégés par la police.'' Aucun matériel n’a été emporté. ''Ils sont partis bredouilles, j’espère qu’ils vont être sanctionnés par la justice.''

Le calme revenu, l’amertume et la colère n’en demeurent pas moins encore fortement présentes du côté des travailleurs et leurs organisations. ''Je pense que l’on vient de toucher le sommet de l’intolérance sociale, commente Jean-Luc Noirfalise. Payer une milice privée pour boycotter les travailleurs et les syndicats, c’est du jamais vu ! Ce sont des exemples qui se sont passés dans les années 30 (…) C’est le début d’une société dictatoriale. Je crois qu’un état de droit, s’il veut l’être encore, se doit de réagir très rapidement. Nous, à la FGTB, nous allons le faire.''

L'UWE "condamnera toujours tout acte de violence, d'où qu'il vienne"

L'Union Wallonne des Entreprises (UWE) ''condamne et condamnera toujours tout acte de violence d'où qu'il vienne.'' Et de continuer en soulignant qu’elle est ''d'accord avec les leaders syndicaux pour dire que nous vivons dans un État de droit et que la loi doit être respectée par tous et en toutes circonstances'', ajoute-t-elle en s'étonnant toutefois de la réaction du monde politique.

"Les autorités sont toujours promptes à stigmatiser un entrepreneur, mais nous attendons toujours le premier mot de condamnation de la séquestration illégale de la direction en milieu de semaine dernière. Condamnation que nous attendons toujours bien sûr aussi du côté syndical", souligne ainsi l'Union wallonne des Entreprises.

"A défaut de réaction contre ces séquestrations, on peut craindre une escalade dans les actions musclées, comme les faits de ce dimanche l'ont prouvé'', conclut l'UWE.

La ministre de l'Emploi condamne les méthodes de la direction

Monica De Coninck a en effet condamné "avec la plus grande fermeté" la manière avec laquelle la direction de Meister Benelux a tenté de mettre la main sur des camions situés sur le site de l'entreprise. "Le recours à ce que les différents témoignages qualifient de milice privée et la violence avec laquelle celle-ci semble avoir opéré relèvent d'un comportement inqualifiable digne d'un autre temps et contreviennent aux principes fondamentaux de notre état de droit", a-t-elle indiqué dans un communiqué.

La ministre (sp.a) ajoute qu'elle s'entretiendra lundi avec le conciliateur social que le SPF Emploi a envoyé sur place dès dimanche. Selon la ministre, il appartient à la direction de rétablir un climat social susceptible de ramener la sérénité que la situation impose.

Si la ministre affirme "ne pouvoir souscrire" à la séquestration de la direction survenue la semaine dernière, elle saisit pleinement la nécessité pour les travailleurs d'être informés et rassurés quant à l'avenir des activités sur le site de Sprimont. Pour elle, la décision de la direction de réaffecter plusieurs commandes importantes a "semé le trouble" chez les travailleurs. "Il appartient dès lors à la direction de clarifier la situation par l'entremise d'un dialogue sérieux et respectueux avec les travailleurs", conclut-elle.

Des pratiques "au fumet fascisant"

La MWB-FGTB a également réagi. Elle "dénonce avec force des pratiques au fumet fascisant, qui constituent une agression flagrante contre le monde du travail et remettent gravement en cause les fondements mêmes de notre démocratie.''

"La MWB-FGTB s'étonne de n'avoir vu aucune interpellation ni administrative, ni judiciaire à l'encontre d'individus armés et caparaçonnés", poursuit le syndicat qui "exige qu'au plus vite les représentants patronaux les rejoignent sereinement à la table des négociations."

C.B. avec M.-P. Deghaye et E. Dagonnier

Conflits sociaux dans l'entreprise Meister à Sprimont

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