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Mexique, entre violence quotidienne et menaces, un nouvel assassinat d’un journaliste

© AFP – GUILLERMO ARIAS

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Par Esmeralda Labye

Les voisins nettoient encore le sol taché de sang. Le quartier a été bouclé quelques heures, la police scientifique est descendue sur place. Scène fréquente dans les rues de Tijuana. Margarito Martinez, était photoreporter, et avait été menacé à plusieurs reprises pour ses articles. Il a été assassiné lundi. Une association de défense de la presse demande au parquet d’enquêter sur sa mort.

"Il travaillait pour plusieurs médias formels", explique Sonia de Anda, membre de l’association "Je suis journaliste". "Il était un pourvoyeur de toutes ces informations qui sont générées quotidiennement, des infos violentes, ici dans cette ville et c’est une grande perte car c’est quelqu’un qui avait demandé à être protégé il y a environ un mois et aujourd’hui il est mort."

Collaborateur de plusieurs publications mexicaines, Margarito Martinez a été tué à la mi-journée près de chez lui à Tijuana, cette ville frontière avec les Etats-Unis, connue pour sa violence.

Selon le communiqué du ministère régional, le journaliste spécialisé dans les affaires policières, a été la cible d’une agression à l’arme à feu.

 

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"Il pourrait s’agir de problèmes personnels entre voisins", a indiqué la police locale. "Je ne peux écarter aucune piste d’enquête", a ajouté le procureur de l’Etat, Hiram Sanchez Zamora. Il apparaît que l’arme du crime avait déjà été utilisée pour cinq autres homicides.

Des dizaines de précédents

La mort du journaliste arrive quelques jours seulement après celle d’un ancien collègue, José Luis Gamboa, poignardé le 10 janvier dans le port de Veracruz.

La victime ne travaillait plus comme journaliste mais comme analyste sur les réseaux sociaux, il ne faisait l’objet d’aucun "antécédent d’agressions" ou de "menaces" et n’était pas protégé.

"Gamboa avait dénoncé et critiqué fortement les autorités locales pour leur relation avec le crime organisé", d’après Reporters Sans Frontières.

Dans l’un de ses derniers articles, José Luis Gamboa avait dénoncé des acteurs politiques "liés au crime organisé" et les dangers qui pèsent sur les journalistes.

Rassemblement et recueillement

Rapidement, plusieurs journalistes, collègues ou non de Martinez, se sont rassemblés pour réclamer justice. Pour eux, cet homicide repose la question de la lutte contre l’impunité et des mobiles du crime.

"Nous sommes à la frontière la plus violente et la plus proche des Etats-Unis, où il y a beaucoup d’incidents", a déclaré à l’AFPTV le directeur d’une association de journalistes, Jose Angel Inzounza, lors de la manifestation mardi.

"Généralement ces cas restent impunis. Au niveau mondial nous avons le déshonneur d’occuper le deuxième rang des pays les plus risqués pour exercer le journalisme", a-t-il ajouté.

Le président de la République Andres Manuel Lopez Obrador a promis des informations sur "les mobiles de ces assassinats" dans un rapport sur la sécurité qui sera présenté ce jeudi.

90% des crimes envers les journalistes restent impunis.

L’an dernier, deux hommes ont été condamnés pour le meurtre en mai 2017 du journaliste Javier Valdez, spécialiste des cartels de drogue.

"C’est une condamnation importante car elle crée un précédent", avait alors réagi sa veuve, après l’annonce du verdict condamnant l’un des auteurs à 32 ans de prison.

Une condamnation qui n’a pas eu lieu dans l’affaire Miroslava Breach, abattue en mars 2017 de huit balles dans la tête dans l’Etat du Chihuahua (nord). Elle avait publié un article affirmant que des criminels appartenant à diverses organisations cherchaient à se présenter aux élections locales.

L’affaire d’Azucena Uresti est aussi dans les mémoires. Cette présentatrice de la chaîne Milenio a plusieurs fois été menacée. Dans un enregistrement diffusé sur les réseaux sociaux, un homme, se présentant comme dirigeant du cartel de Jalisco Nouvelle Génération (CJNG), l’une des organisations de trafic de drogue les plus puissantes du Mexique, a proféré des menaces contre sa chaîne de télévision Milenio et contre elle. Entouré de plusieurs hommes cagoulés et munis d’armes puissantes, l’homme exigeait que la couverture du conflit avec les autres groupes dans l’Etat occidental du Michoacán soit "équitable".

La journaliste ne s’est pas exprimée, mais les organisations de défense de la liberté de la presse ont condamné l’incident et demandé la protection des autorités.

"Cette pratique répétée consistant à menacer publiquement les médias et les journalistes sans aucune honte, sans aucune crainte, est grave, car elle signifie que ces groupes se renforcent face à la passivité de l’Etat", a mis en garde Balbina Flores, représentante au Mexique de Reporters sans frontières (RSF). Elle a exhorté le gouvernement à assurer la sécurité des reporters pris pour cible par des groupes criminels, ajoutant que les correspondants dans les zones de conflit étaient les plus vulnérables.

La violence et la peur pour quotidien

Le Mexique reste l’un des pays les plus dangereux et les plus meurtriers au monde pour les médias. Malgré quelques rares avancées récentes, le pays continue de s’enfoncer dans la spirale infernale de l’impunité.

Comme l’explique sur son site, RSF, la collusion entre le crime organisé et certaines autorités politiques et administratives menace gravement la sécurité des acteurs de l’information et entrave le fonctionnement de la justice à tous les niveaux du pays. Dès lors qu’ils s’intéressent de trop près aux affaires gênantes et au crime organisé, principalement au niveau local, les journalistes sont menacés, réprimandés, voire exécutés de sang-froid. De nombreux autres disparaissent ou sont contraints à l’exil pour garantir leur survie. Le président López Obrador, au pouvoir depuis décembre 2018, n’a toujours pas engagé les réformes nécessaires pour endiguer cette spirale de violence et d’impunité.

Sur le plan économique, le paysage audiovisuel mexicain est caractérisé par une forte concentration. Les nombreux médias communautaires sont souvent privés de fréquence légale et souffrent régulièrement de persécutions.

Un espoir ?

Le 9 août dernier, des mesures de protection ont été votées pour protéger les professionnels de l’information.

"Le gouvernement prendra les mesures appropriées pour protéger des journalistes et des médias qui sont sous le coup d’une menace, avait alors déclaré sur Twitter Jesus Ramirez, porte-parole du président mexicain, Andrés Manuel Lopez Obrador. Les libertés démocratiques doivent être garanties, ainsi que le droit à l’information."

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Entre 2000 et 2020, 135 journalistes ont été tués au Mexique, selon les chiffres de la Commission interaméricaine des droits de l’homme.

Sept journalistes ont été tués en 2021, d’après un décompte de l’AFP, qui tente à chaque fois d’établir si la victime était bien encore en activité, et si elle a été tuée pour ses enquêtes ou ses articles.

© APTN

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