Quand elle démarre son émission Allô Menie, sur RTL, en ce mois de mars 1967, Menie Grégoire est loin de se douter qu’elle va être submergée par une véritable lame de fond : en quinze ans d’émission, elle va recevoir plus de cent mille lettres d’auditeurs qui, pour la première fois dans l’histoire de ce pays, se sentent libres de raconter leur intimité à une parfaite inconnue. Menie les écoute sans les juger, les rassure, les questionne et les fait réfléchir. Elle était au micro de Laurent Dehossay en 2007, à l’occasion de la parution de son livre Comme une lame de fond.
Journaliste free lance, Menie Grégoire avait déjà écrit des articles sur la condition féminine lorsqu'elle a reçu, en mars 1967, la proposition d'animer une émission qui donnait la parole aux femmes. Ce n'était jamais arrivé jusque là, mais Menie Grégoire était sûre qu'elles avaient des choses à dire. Elle va ainsi pénétrer dans l'intimité des familles. Grâce à l’anonymat de la radio, les auditeurs diront des choses terribles ou banales, mais qui jusque-là étaient endurées dans le silence et la solitude : sur la famille, les relations amoureuses, la mort de l’amour, l’adultère, les enfants illégitimes, l’impuissance, la frigidité, l’homosexualité, la prostitution, le féminisme…
Son ouvrage Comme une lame de fond revient sur le succès incroyable de l'émission et dresse le tableau d'une société française qui nous ressemble, d'une société de la fin des années 60 au début des années 80, une société encore très ancrée dans le 19e siècle, en particulier dans le domaine de la famille, de l'éducation, de la vie sexuelle tout à fait étouffée. Une époque où les femmes commencent à bouger, à vouloir sortir de leur foyer où elles étaient enfermées, complètement dépendantes, écrasées par les tâches.
Des vies qui saignaient
Menie Grégoire ne se considère toutefois pas comme une pionnière. En tant que free lance, elle travaille par ci, par là, mais elle est, elle aussi, une femme au foyer. "Il me manquait de vivre par moi-même."
En peu de temps, elle devient la confidente, l'amie, la mère, de 2 ou 3 millions de personnes, tous les jours. Elle entre dans le coeur des gens. Ils l'imaginent comme une dame âgée, plutôt grosse, ce qu'elle n'est absolument pas. "Maternelle, je ne sais pas, je crois que j'étais plus amicale, comme une soeur." Ces gens lui confient leur profonde intimité, et elle leur répond.
"Quand il arrivait un sac postal avec 300 lettres dedans, avouez qu'il y avait de quoi paniquer. Surtout que je savais que ce sac postal contenait des vies, des vies qui saignaient, qui criaient, et que je ne pourrais jamais faire face."
Menie Grégoire avait vécu l'expérience de la psychanalyse. Cette formation lui a permis d'aider les gens à trouver leur vérité et à la dire. Elle a souvent été attaquée par les psychanalystes qui lui reprochaient de faire de l'exercice illégal de la médecine, alors qu'ils ne s'agissaient que d'entretiens de 5 minutes.
Des lettres de tous horizons
Ces milliers de lettres sont toutes conservées, aux Archives de l'Indre et Loire.
"Je ne voulais pas que disparaissent ces lettres qui contenaient des vies brûlantes, saignantes. Donc je gardais tout, en vrac, et quand je me suis aperçue que ça ne tenait plus dans mes greniers, je me suis dit qu'il fallait qu'on leur fasse un sort, à ces lettres, qu'elles puissent témoigner de notre époque et être étudiées plus tard, quand les gens seraient morts, et surtout de façon totalement anonyme, ce qui a toujours été l'essentiel de l'émission. Jamais personne n'a été reconnu."
10% des lettres étaient envoyées par des hommes et 90 par des femmes, y compris des toutes jeunes filles qui ne pouvaient écouter l'émission que le jeudi.
Les lettres provenaient de toutes les classes sociales confondues, du professeur d'université à la fermière qui trayait avec le transistor sous la vache.
On voyait que la formulation des lettres faisait l'objet d'une grande attention, de grands efforts.
"Je peux vous dire qu'à l'époque, l'éducation nationale française avait un grand succès : les gens savaient écrire, parler, ils savaient la grammaire, ils savaient l'orthographe. Pratiquement, les lettres sont admirables."