Humeur musicale

Menahem Pressler, pianiste du plus grand Trio du monde

Yellow Lounge Concert With Menahem Pressler &#38 ; Daniel Lozakovich

© 2018 Stefan Hoederath / Getty Images

Par Pierre Solot via

Nous avons appris ce samedi le décès du pianiste Menahem Pressler, il avait 99 ans. Un décès qui a fait replonger Pierre Solot dans des souvenirs d’enfance…

Il y a deux jours, c’était samedi donc, c’est un très vieux souvenir qui m’est revenu en mémoire : je devais avoir 5 ou 6 ans et mes parents me laissaient jouer avec leurs disques en vinyle. Je posais l’une de ces galettes sur le tourne-disque et je jouais au chef d’orchestre en écoutant la musique, en tournoyant dans notre petit salon d’appartement.

Et un jour, en jouant à mon jeu habituel, je fis une fausse manœuvre, modifiant le réglage de la platine, passant du réglage à 33 tours vers un réglage à 45 ou 78 tours et le Concerto de Mendelssohn que je venais d’y poser débuta comme un éclair, filant à toute berzingue.

Quel bonheur ! Je parvenais ainsi à accélérer la lecture et donc le tempo. Et accélérer une pièce de Félix Mendelssohn débordant déjà naturellement de notes en gerbes, en épis foisonnants, voilà qui transformait le jeu du pianiste en une virtuosité tout bonnement surhumaine. J’étais ébahi : jamais je n’avais entendu un pianiste jouer si vite !

Ce disque du Concerto de Mendelssohn avait été enregistré en 1964 avec l’Orchestre de l’Opéra de Vienne et ce pianiste aux doigts d’extraterrestre, c’était le pianiste d’origine allemande Menahem Pressler.

Même adulte, j’en ai gardé cette image de héros, que j’avais fabriquée certes, bien malgré moi, en accélérant la vitesse de lecture du disque, mais qui m’est restée gravée… jusqu’à ce samedi, il y a deux jours, où j’ai appris le décès de Menahem Pressler.

Il avait 99 ans. 99 ans. À quelques mois du centenaire, à deux doigts de la ligne d’arrivée pour un marathonien.

Car voilà bien l’image puissante de Menahem Pressler : il restera dans l’Histoire comme LE pianiste du Beaux-Arts Trio pendant plus de 50 ans. 50 ans… un joli marathon. À jouer en Trio avec ses camarades, le violoniste Daniel Guilet, le violoncelliste Bernard Greenhouse, et puis les autres qui les remplacèrent au fil de ces cinquante années. Mais pas lui. Pas Menahem Pressler, qui ne sera jamais remplacé, inaltérable et surtout irremplaçable parce qu’il était l’étincelle et l’esprit du Trio, comme une lame de fond qui traverse les décennies d’une partition à l’autre.

Et puis il ne faut quand même pas oublier ce que c’est que de jouer en Trio à clavier, quand on est pianiste. Ce que je vais dire va peut-être faire rugir un violoniste ou un violoncelliste, mais tant pis, car il est clair que le répertoire pour Trio, s’il est truffé de chefs-d’œuvre, est très souvent d’une exigence colossale pour le pianiste. Ces partitions sont régulièrement de véritables concertos pour piano, chargées comme pour un orchestre.

Un bon trio ne peut souffrir un pianiste moyen. Il doit être sublime.

Et Menahem Pressler était le pianiste du plus grand Trio du monde. Il était tellement bon que lorsque le Beaux-Arts Trio s’est éteint en 2008, Menahem Pressler décide de relancer sa carrière de soliste : il avait 85 ans.

Alors bien sûr, il était déjà un grand soliste, le Concerto de Mendelssohn enregistré en 1964 l’atteste, même quand on l’écoute à vitesse normale, mais à 85 ans, il donna un nouveau souffle au piano altruiste et généreux qui était le sien depuis toujours, un souffle solitaire, faisant ses débuts avec le Philharmonique de Berlin en 2014, enregistrant les Sonates de Mozart pour la Dolce Volta en 2015 et puis de la musique française pour Deutsche Grammophon en 2018, en 2018 il avait donc 94 ans…

Aujourd’hui, Menahem Pressler nous a quittés, il avait 99 ans, il laisse un souvenir bonhomme et souriant d’un homme qui aura toujours été vers les autres : comme chambriste, donnant sa vie à la musique que l’on joue à plusieurs ; comme professeur, depuis ses plus jeunes années, à l’Université de l’Indiana, et un peu partout dans le monde où les apprentis virtuoses mendiaient ses conseils MAIS, surtout, il est l’un de ces rares pianistes qui laissent à chaque musicien un souvenir qui lui est propre, qui lui est cher, un souvenir qui n’appartient qu’à Menahem Pressler et lui, et nous, comme ce Concerto de Mendelssohn qu’il aura joué un jour dans mon salon, beaucoup trop vite, mais qui me relie à lui… pour toujours.

Humeur Musicale

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