Mémoires vives (1/13) : Lucien l'électricien, pourvoyeur de progrès

"Mémoires vives"

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Par Daphné Van Ossel via

Si vous regrettez de ne pas avoir assez questionné vos grands-parents, voici l’occasion de vous rattraper ! A travers une série de reportages, la RTBF vous propose de fouiller les greniers, d’ouvrir les vieux albums, d’explorer la mémoire des anciens à la recherche d’histoires du passé. Des histoires pourtant bien vivantes, racontées par celles et ceux qui sont encore parmi nous et ont pourtant vécu une époque qui semble déjà si lointaine. Quel que soit le thème (la vie de château, les lavoirs, les écoles ménagères, la contrebande, … ),  les reportages dessinent la silhouette de nos ancêtres et, au passage, permettent de mesurer le chemin parcouru. C’est l’occasion de graver notre mémoire collective, de creuser les sillons du 45 tours de notre tradition orale…

Lucien Thomé, c’est l’avant-gardiste du village. Electricien dès les années’20 à Saint-Jean-Sart, dans la province de Liège, il amène l’électricité dans les fermes, les clôtures électriques dans les champs, les télés dans les foyers,… et il crée même sa propre marque de poste radio, Lutho. A chaque étape, il surprend et convainc les habitants du village. Vingt ans après sa mort, il reste le symbole de ce cheminement sur la voie de la modernité.

Mémoires vives (1/13) : Lucien l'électricien, pourvoyeur de progrès
Mémoires vives (1/13) : Lucien l'électricien, pourvoyeur de progrès © Tous droits réservés

Joseph Bragard, électricien saint-jean-sartois à la retraite, résume très bien la stature de Lucien Thomé, à l’époque : " Tous les gamins l’appelaient Lucien, mais pour nous c’était Monsieur Thomé ! Il y avait 3 personnes importantes au village : le curé, l’instituteur et l’électricien ! "  Cécile Piron, autre Saint-Jean-Sartoise de 82 ans, se souvient de son premier poste radio, de la marque Lutho : " C’était en 41 ou 42. C’était l’époque de " Ici Londres ". Mes parents ont commandé un poste et on nous amené une caisse. On l’a allumé et j’ai fait le tour de la caisse pour voir si quelqu’un parlait derrière ! Et puis, j’ai entendu la musique, et je ne l’ai plus quitté. "

Un réseau électrique entièrement local

D’une manière ou d’une autre, Lucien Thomé a marqué tous les Saint-Jean-Sartois. Joseph Bragard a voulu devenir électricien en le regardant travailler. Au pied d’une toute vieille cabine électrique, une haute tour en briques presque jolie, il se souvient : " Je le suivais comme un dieu ! " Dès les années 20, bien avant la guerre et la première radio de Cécile Piron, Lucien Thomé est cabinier. " Ca veut dire gestionnaire de réseau, explique Joseph. Il faut savoir que Saint-Jean-Sart a été alimenté en électricité très tôt, parce que le châtelain du château de Gorhez, là en face, a fait venir une ligne en 6000 volts de Verviers jusqu’à son château. Il fallait rentabiliser tout ça. Alors, très intelligent, il a fait le réseau " Gorhez extensions ", " extensions " c’était tous les habitants aux alentours. Ca permettait de financer le système. Chaque habitation mettait un peu d’argent dans le réseau et en fonction du nombre de parts que vous aviez, vous aviez plus ou moins d’électricité. C’était un réseau tout à fait local. Lucien Thomé s’occupait de tout l’opérationnel. "

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Mémoires vives (1/13) : Lucien l'électricien, pourvoyeur de progrès © Tous droits réservés

Attendre la mire du soir

Plus tard, Lucien devient électricien indépendant. C’est un boulimique de travail. Sa fille Lydia, l’accompagne souvent, après l’école, réparer les télés à domicile : " Au début, les télés tombaient souvent en panne. C’était de gros meubles lourds et encombrants. A l’intérieur, il y avait ce qu’on appelait un tube cathodique, très lourd. En dessous du tube, il y avait un plateau avec beaucoup d’ampoules.  Une des pannes les plus fréquentes, c’était quand l’image apparaissait en oblique.  Il tapotait alors sur les ampoules pour voir celle qui allait provoquer quelque chose à l’image et quand je pouvais je l’accompagnais pour lui dire la réaction de l’écran. C’était souvent le soir parce qu’il n’y avait pas d’émission pendant la journée. Il fallait attendre la fin d’après-midi, vers 18h, pour que soit transmise la mire qui pouvait aider à réparer parce que sinon c’était de la neige, donc c’était impossible de trouver la panne. "

Lucien Thomé place aussi au village les premières clôtures électriques. Joseph en rit encore : " On a fait quelques blagues avec ça. Les gens en avaient une peur bleue ! Pendant des années, on leur avait dit de ne pas toucher les fils électriques pour ne pas se faire électrocuter et, là, mettre un fil nu pour que les bêtes ne passent pas, c’était juste l’inverse ! "

Mémoires vives (1/13) : Lucien l'électricien, pourvoyeur de progrès
Mémoires vives (1/13) : Lucien l'électricien, pourvoyeur de progrès © Tous droits réservés

Autour d’un morceau de tarte, Henri Offerman, l’ancien boulanger de Saint-Jean-Sart, se replonge en souriant dans ses premières boums, sonorisées et éclairées par Lucien, qui testait alors les néons. Il se souvient aussi que son père avait acheté une télé à Lucien, dans l’espoir d’attirer la clientèle dans son café. Dans les années 60, seule sa famille, celle de Lydia Thomé et une autre avaient la télévision. Lydia voit encore tous les voisins, y compris les moines de l’Abbaye du Val-Dieu, débarquer chez elle pour venir regarder le mariage du Roi Baudouin, ou l’enterrement du Pape Pie XII. " Ca émerveillait tout le monde, ça faisait un joyeux rassemblement. "

On a la France !

Joseph Longton, un autre " enfant " du village, partage le goûter d’Henri et Lydia. Il ne manque pas non plus d’anecdotes. Lui et ses soeurs ont un jour dû choisir entre 2 avancées notoires : une salle de bain ou une télévision. Ses sœurs ont choisi la salle de bain… mais la télé viendra finalement un an après. "  Lucien est venu installer la télé et l’antenne râteau sur le toit. On captait la RTBF, un poste allemand, et quand il y avait du brouillard, on arrivait à avoir la France. On disait " on a la France !" "

Lucien amènera aussi au village les premiers transistors, des radios portatives à piles. La famille Longton s’est ainsi retrouvée à récolter le foin au son d’Adamo, de Cloclo et des Beatles. On les imagine se déhancher en plein champ sous le regard amusé, de Lucien Thomé, pourvoyeur de progrès.

Une idée, une histoire à raconter ? Ecrivez-nous à dava@rtbf.be

Réalisation, prise de son, montage : Daphné Van Ossel

Montage et mixage : Nicolas Poloczek

Avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles

Merci à l’asbl Qualité-Village-Wallonie

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