Belgique

Mémoire de l’Holocauste : "Le passé n’est pas un vaccin contre l’anti-démocratie", analyse l’historienne Chantal Kesteloot

Par Africa Gordillo

Dans les images de la manifestation, la comparaison faite entre le Covid Safe Ticket et l’étoile jaune imposée aux juifs pendant la deuxième guerre mondiale est interpellante. "On est dans une instrumentalisation perverse […] de symboles qui n’ont pas lieu d’être", analyse l’historienne Chantal Kesteloot ce jeudi 27 janvier, à l’occasion de la journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste.

Dimanche dernier, des milliers de personnes ont manifesté dans les rues de Bruxelles contre les mesures sanitaires. De "simples" citoyens ont protesté mais aussi des personnes issues de l’extrême-droite voire des antivax ou des complotistes aux positions bien tranchées.

Un "rempart moral"

Pour l’historienne et responsable de l’histoire publique aux archives de l’Etat, le CEGESOMA, "Ces dernières années, on a érigé la deuxième guerre mondiale en espèce de rempart moral. C’est vraiment l’image du bien et du mal, le contre-modèle… tout ce qui a pu nourrir notre imaginaire collectif… donc ça explique aussi l’utilisation perverse de toute une série de symboles où on est là dans un amalgame complètement gratuit… Si on compare les contextes, on est effectivement dans des situations complètement différentes. Mais… je me mets dans la peau d’un manifestant… on se dit que ça va être efficace parce que, dans notre imaginaire aujourd’hui, Auschwitz, la persécution des juifs, c’est le mal absolu".

Une analyse critique

La deuxième guerre mondiale, la Shoah fait pourtant partie des programmes scolaires. Comment certains dans la société en arrivent dès lors à comparer ce qui est incomparable, une situation sanitaire et le génocide de six millions de juifs ? "Je me pose énormément de questions. Depuis 25 ans, on a énormément investi dans le devoir de mémoire. Il y a une série d’institutions qui ont été créées… des outils… on a beaucoup réfléchi à la manière dont on enseignait l’histoire de la seconde guerre mondiale… dont on en parlait… et le constat aujourd’hui c’est que… avoir parlé de la souffrance, de la persécution, ça n’a peut-être pas été l’antidote. Finalement, on ne peut pas se servir du passé comme une espèce de vaccin contre l’anti-démocratie. Il faut réfléchir à comment parler autrement de ce passé, des structures, des mécanismes…"

L’historienne va même plus loin en se demandant si emmener des adolescents à Auschwitz est la bonne méthode : "Il vaut mieux un bon cours sur les mécanismes de la persécution qu’une mauvaise visite", affirme l’historienne qui ne veut pas juger mais plutôt interpeller sur l’enseignement de l’Holocauste. Et d’ajouter : "Quand on voit les dérives aujourd’hui, il y a quelque chose qui n’a pas fonctionné et il faut s’interroger. Pourquoi n’a-t-on pas ce regard critique et se contente-t-on de symboles faciles ?"

Destexhe & Zemmour

Alors que nos voisins français devront élire leur futur président en avril, la campagne pour le premier tour de ces élections est notamment disputée par deux candidats à l’extrême droite de l’échiquier politique : Marine Le Pen (RN) et Eric Zemmour qui se présente pour la première fois à un tel scrutin. La "zemmourisation" de la société peut-elle toucher de la même manière la Belgique ? Pas de la même manière, avance l’historienne des archives de l’Etat : "Il n’empêche qu’on n’est pas à l’abri. J’étais particulièrement interpellée de voir quelqu’un comme Alain Destexhe... qui a beaucoup contribué pour que le débat se fasse sur la persécution des juifs de Belgique […] de voir qu’Alain Destexhe a rejoint l’équipe de campagne d’Eric Zemmour. Il y a quelque chose qui interpelle".

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