Pour atteindre l’objectif de 80%, il faudrait augmenter à la fois le nombre de personnes disponibles pour travailler et le nombre d’emplois. Attardons-nous sur le premier élément avec Muriel Dejemeppe, professeure d’économie à l’IRES (UCLouvain) et rédactrice en cheffe du magazine "Regards économiques". Et son premier constat concerne davantage le taux d’activité… que le taux de chômage.
"Le taux d’activité de 76% chez nous est plus bas que celui de nos voisins : Pays-Bas, France ou Allemagne", alors que notre taux de chômage (5,3% de la population active) est meilleur que le taux de chômage français (7%) par exemple. Et pour augmenter le taux d’emploi, il faut d’abord augmenter le taux d’activité. Et la chercheuse identifie trois problèmes précis.
"D’abord, et avant tout, il faut augmenter le taux d’activité des 55-64 ans". Ce taux d’activité traduit en fait le nombre de gens qui veulent participer au marché du travail. "Chez les 55-64 ans, il est autour de 55%. Une seule personne sur deux à cet âge participe au marché du travail. Et ce problème-là est présent dans les trois régions du pays : 52% à Bruxelles, 58% en Flandre et 49% en Wallonie. Donc ça, c’est vraiment le point noir structurel de notre marché de l’emploi." Et pour appuyer son raisonnement, la chercheuse pointe un autre indicateur : "le taux d’activité des 25-54 ans est à 82% dans notre pays, donc ce n’est pas forcément là qu’est le problème."
Dans ce cadre, Muriel Dejemeppe estime qu’il faudrait trouver des mesures pour garder les 55-64 au travail "par exemple, en leur permettant de travailler à horaire réduit en touchant une partie de leur pension. Cela serait positif pour les finances du pays mais aussi pour la santé psychologique des gens parce qu’il ne doit pas être facile à vivre de se dire qu’on ne convient plus au marché du travail à 55 ans."
Politiquement, il est plus facile de s’attaquer aux chômeurs qu’aux malades de longue durée
Muriel Dejemeppe, professeure d’économie à l’IRS (UCLouvain).
"Ensuite, le deuxième point problématique, c’est le taux de chômage", explique la rédactrice en cheffe de Regards économiques. "Et ce taux de chômage cache des disparités régionales importantes." Selon les critères BIT, environ 5,3% de la population active est au chômage, mais il atteint 11,3% à Bruxelles, 8% en Wallonie et 2,9% en Flandre, selon les chiffres de Statbel.
"Donc, ces taux sont structurellement trop élevés côté francophone et quasi au plein-emploi en Flandre. On parle aussi de chômage "frictionnel", puisqu’à ce niveau-là de 2% ou 3%, on considère qu’il s’agit de gens qui sont au chômage entre deux emplois, deux professions, pour une durée très limitée, et que c’est un taux qu’on ne peut plus faire descendre." Et l’on remarque qu’en additionnant le taux de chômage incompressible flamand (2,9%) à son taux d’emploi actuel (76,7%), on n’atteindrait toujours pas le taux de 80%.
Ces chômeurs, on l’a vu plus haut, ne permettraient pas à eux seuls à atteindre le taux d’emploi de 80%, même s’ils étaient tous au travail. Pourtant, ils sont davantage au cœur des discours politiques que les inactifs qui sont pourtant six fois plus nombreux. "C’est vrai qu’ils sont un peu la cible facile. Ils touchent une allocation de chômage donc ils coûtent à l’Etat. Donc politiquement, c’est plus facile de s’attaquer à ces personnes-là plutôt que de s’attaquer à des malades de longue durée, à qui il est délicat de faire la leçon. Et à cet égard, l’inaction sur la question de 55-64 est inquiétante puisqu’il ne suffit pas de relever l’âge de départ à 66 ans ou 67 ans pour que tout le monde travaille jusqu’à cet âge-là. Ce n’est pas mécanique. Il faut avant tout que le travail à cet âge-là soit possible et faisable sans être poussé dehors par une entreprise qui considère que ces travailleurs âgés coûtent trop cher par rapport à leur productivité ou leur flexibilité."
Enfin, le troisième problème est précisément celui des malades de longue durée, d’après la chercheuse. Dans nos chiffres, ils représentent effectivement 6,67% de la population de 20-64 ans, bien au-delà du taux de chômage de 4%. "Et ça rejoint notre premier point car il s’agit surtout de personnes âgées de 55 à 64 ans", précise Muriel Dejemeppe.
Selon Statbel, seules 23% des personnes se disant considérablement entravées dans ses activités quotidiennes en fonction d’un handicap, d’une affection ou d’une maladie de longue durée sont au travail. "Cette question de la réinsertion sur le marché du travail des personnes absentes du travail depuis longtemps est donc importante, mais elle est sur la table du gouvernement". Et cette question-ci permettrait surtout de faire augmenter le taux d’activité.
Ces constats de Muriel Dejemeppe ne sont pas nouveaux. Ils se retrouvent d’ailleurs en toutes lettres dans l’accord de gouvernement. "L’augmentation de l’activité et du taux d’emploi des travailleurs âgés est ici très importante. Le gouvernement prendra des initiatives concrètes à cet égard, en concertation avec les partenaires sociaux et les entités fédérées."