Psychologie

Meg Arroll, psychologue : "L'accumulation de blessures émotionnelles quotidiennes a un impact profond sur la qualité de vie"

Meg Arroll, psychologue : "L'accumulation de blessures émotionnelles quotidiennes a un impact profond sur la qualité de vie".

© Jenny Smith Photography

Par RTBF avec ETX

La résilience, autrement dit la capacité à surmonter les chocs traumatiques, est un terme utilisé de façon excessive depuis le début de la pandémie de Covid-19. Mais avons-nous réellement les armes et les automatismes, qui permettent de faire face aux blessures, mineures ou majeures, qui affectent notre santé mentale ?

Dans l'ouvrage "Surmonter ces petits traumas qui minent notre quotidien", Meg Arroll, psychologue britannique, donne les clés pour mieux appréhender les micro-agressions, les tensions professionnelles, les difficultés financières ou même de simples désaccords, qui peuvent impacter durablement la santé mentale.

  • L'être humain a tendance par nature à relativiser ces blessures… parce qu'il y a toujours pire. Comment expliquer ce mécanisme qui pousse la plupart des gens à aller de l'avant et à ignorer ces petits maux du quotidien ? 

C'est ce que j'appelle "l'inversion de l'avantage de la misère", c'est-à-dire le mécanisme par lequel nous minimisons notre propre expérience parce que nous sommes des êtres très compatissants, capables d'identifier que d'autres personnes peuvent également éprouver des difficultés. Il s'agit d'une norme sociale répandue qui nous fait rater des occasions de développer des compétences d'adaptation solides. Chaque fois que nous agissons de la sorte, nous nous disons essentiellement que nous ne sommes pas dignes de soins et d'attention. Si, au contraire, nous profitons de ces expériences difficiles pour explorer les moyens d'améliorer notre vie, non seulement nous limitons la probabilité de développer l'un des thèmes énumérés dans le livre mais nous pouvons commencer à nous épanouir.

  • Les petits traumas abordés dans le livre peuvent concerner l'amour, l'amitié, l'école, le travail ou même les loisirs. Ils semblent en réalité omniprésents… Peut-on y échapper ? 

L'objectif n'est pas d'éviter les petits traumatisme mais plutôt de les utiliser à notre avantage pour construire une boîte à outils psychologique personnalisée et un système immunitaire psychologique résistant. Le traumatisme, qu'il soit grand ou petit, est lié à l'impact qu'il a sur l'individu et non à l'importance que les autres lui accordent. C'est pourquoi un événement qui vous affecte profondément peut ne pas avoir le même impact sur quelqu'un d'autre et vice versa. Il est important d'éviter la honte du traumatisme : si quelqu'un dit qu'il a été blessé ou marqué par un événement, il faut le croire. Les types de petits traumatismes que je vois le plus régulièrement sont des expériences qui font ressentir un sentiment de honte ou de culpabilité. Il peut s'agir de blessures morales, de positivité toxique, de micro-agressions ou de schémas relationnels néfastes tels que le "gaslighting" (une technique de manipulation mentale, ndlr) et le contrôle coercitif.

  • Quel impact peuvent-ils avoir sur la santé physique et mentale ?

Ce traumatisme cumulatif peut avoir un impact profond sur la santé physique et mentale. Je vois notamment de nombreux patients souffrant d'épuisement, en particulier d'épuisement émotionnel, de fatigue chronique, d'engourdissement émotionnel, de difficultés à gérer les transitions de la vie et de problèmes de gestion du stress et de l'anxiété. Tout cela donne l'impression que la vie est sans joie, que l'on marche chaque jour dans la mélasse, sans répit.

  • L'approche que vous développez dans l'ouvrage se base sur la méthode AAA. De quoi s'agit-il ? 

J'ai développé mon approche AAA à partir de la théorie psychologique et de la pratique fondée sur des preuves. Je préconise, tout du moins au début, de suivre les étapes dans l'ordre, le temps de se familiariser avec le processus. La première étape est la prise de conscience. Il s'agit de découvrir notre constellation unique de petits traumatismes et la manière dont ils peuvent influencer notre expérience de vie, y compris nos pensées, nos croyances et nos comportements. La deuxième étape concerne l'acceptation. C'est souvent la partie la plus difficile du processus et l'étape que de nombreuses personnes tentent de contourner. Pourtant, sans acceptation, les traumatismes de toutes sortes continueront d'influencer indûment la vie quotidienne. La troisième étape est celle de l'action. La prise de conscience et l'acceptation ne suffisent pas, nous devons prendre des mesures pour créer activement une vie bien vécue. Le livre regorge de moyens pratiques pour franchir ces étapes, quel que soit le type de petits traumatismes ou de symptômes que vous éprouvez.

  • Dans le livre, vous dites qu'il est impossible d'être heureux en permanence. Comment faire la part des choses entre quête absolue du bonheur et mal-être dû à certains maux du quotidien ? 

Nous avons tendance à rechercher le bonheur absolu en croyant, à tort, que tout ira bien et que cela nous permettra d'éviter une partie de la douleur émotionnelle et du travail nécessaire pour surmonter toutes sortes de traumatismes. En ce sens, ces brèves poussées de bonheur agissent comme une drogue et, comme les substances, avec le temps, nous développons une tolérance et nous en voulons plus. Mais plus ne sera jamais suffisant. Ce concept, connu sous le nom de "tapis roulant hédonique", n'apporte pas de bien-être durable. Nous devons plutôt chercher à nourrir notre "Emotobiome", la population de notre monde intérieur émotionnel avec tout le spectre des émotions humaines. Il s'agit notamment de faire l'expérience des sentiments produits par un traumatisme minime, sans lesquels nous revenons encore et encore à des schémas de comportements et de pensées inadaptés qui ne nous servent pas à grand-chose.

  • L'anxiété est souvent associée à l'échec mais vous parlez des anxieux fonctionnels, ceux à qui tout réussit car l'anxiété est alors considérée comme une force motrice. Comment s'en libérer dans ce cas précis ? 

La peur de l'échec est un moteur important des schémas de pensée anxieux. Il est question de ruminer le passé en rejouant souvent un événement et en disséquant chaque détail à travers une lentille incroyablement dure ou en s'inquiétant de l'avenir et de ce qui pourrait arriver si on ne répond pas à une norme personnelle excessivement élevée. Ce n'est pas une façon particulièrement joyeuse ni paisible de vivre. Il faut distinguer le perfectionnisme de la réussite par un exercice que j'appelle "l'examen de la réalité". Il s'agit de noter les pires choses qui pourraient arriver en abandonnant ses tendances perfectionnistes, suivies des chances que ce terrible résultat se produise réellement. Ce qui est généralement très faible ! Enfin, il convient d'examiner ce que coûte le maintien de ces normes irréalistes : souvent une vie déséquilibrée, avec peu ou pas de temps pour prendre soin de soi.

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