C’est un vrai paradoxe. Depuis plusieurs semaines, les revenus publicitaires des médias sont en chute libre. Et pourtant, les ventes et les audiences sont en hausse. Il y a bien sûr plusieurs marchés publicitaires empreints de logiques différentes, pour l’audiovisuel (comme la RTBF) les plateformes digitales comme Twitter et Facebook, et bien sûr la presse écrite. Mais l’immense majorité des médias est touchée : les revenus en provenance de la publicité se tarissent. "Beaucoup de campagnes sont annulées ou reportées pour l’instant. Surtout pour des voyages, du tourisme, ou pour de l’événementiel", confirme, Yves Gérard, de la Régie Média Belge. Alors, précise-t-il, que "les audiences n’ont jamais été aussi bonnes".
Ceux qui n’ont rien à vendre
D’abord, arrêt de l’économie oblige, il y a des annonceurs qui n’ont tout simplement plus rien à vendre pour le moment : agences de voyages, compagnies aériennes, festivals, etc. Mais ce n’est pas tout. Pour Bernard Cools, responsable des études chez SPACE, la première agence média en Belgique la réduction, l’arrêt ou le report de campagnes publicitaires s’explique par deux autres types de comportements :
Ne pas vouloir être associé au Coronavirus… ?
" Il y a aussi ceux qui coupent leur investissement simplement pour toiletter les données financières de la société. Donc un raisonnement de très court terme fondé sur l’intérêt des actionnaires. Et enfin, des coupes qui se font par excès de prudence. Ce n’est pas toujours sans objet. Tous les messages ne sont pas bons à dire pour le moment. Mais un certain comportement panurgisme n’est pas à exclure (" Si personne ne communique, sans doute ne devrais-je pas le faire non plus ", NDR) C’est une mauvaise raison ".
Les marques sont nombreuses à ne pas vouloir être associées au Coronavirus, ne pas apparaître dans les pages d’un journal qui traite du "sujet".
Ce qui pour l’instant revient en fait à ne pas vouloir apparaître du tout dans les médias, et "il y a clairement une surréaction de la part de certains annonceurs", affirme Bernard Cools.
Etre associé à des nouvelles potentiellement choquantes, n’est pas en soi nuisible à l’efficacité de la publicité.
A certains égards, le phénomène est connu. Dites "Brand Safety", pour le constructeur automobile qui n’a pas envie d’apparaître à côté d’un article sur un accident de voiture. "C’est un vieux sujet, parfois paradoxal". Mais cette peur généralisée de la part des marques de ne pas être à propos – avec une offre commerciale – dans un contexte jugé anxiogène, n’est pas nécessairement justifiée, pour Bernard Cools :
Les gens s'informent de toute façon
"L’association d’un message, s’il est empathique, dans un contexte où de toute façon les gens sont en attente d’informations n’est probablement pas mauvaise. Il y a parfois des manières de faire à changer au niveau des messages mais il y a des études qui viennent d’Angleterre et qui démontrent que, dans les médias de contenus - on ne parle pas de Google et Facebook mais plutôt des journaux, le fait d’être associé à des nouvelles potentiellement choquantes, n’est pas en soi nuisible à l’efficacité de la publicité".
Actualité intense, publicité efficace
C’est dans des moments d’actualité intense, que la publicité – sous conditions – a le meilleur impact. Quelque chose "d’assez bien documenté. Les annonceurs qui profitent des opportunités d’une crise, notamment des bonnes audiences, mais aussi de l’absence de concurrents, réalisent en général de très bonnes opérations. Non seulement pendant la crise, avec un bénéfice léger mais réel, et surtout après, quand l’orage est passé". Impossible de dire aujourd’hui quelle part de la perte des revenus est effectivement due à cette prudence excessive, de la part de nombreux annonceurs.
Mais c’est une certitude : le modèle hybride (abonnements et publicité) en matière de revenus est ici remis en question. Pas nécessairement le mélange des revenus en tant que tel, mais bien la part que la publicité, fluctuante, occupe dans ces revenus. En particulier pour la presse écrite. L’information vérifiée, n’a jamais été autant consommée par le public. Et c’est bien le paradoxe, elle a rarement été autant sous pression, soumise à un tel risque économique.