Maurine Mercier attribue son prix au courage de cette témoin, qui a accepté de livrer son histoire pour prévenir d’autres Ukrainiennes des dangers encourus, mais aussi pour que ces crimes soient documentés et ces violeurs, punis. Et pour ne pas endosser de honte pour ces actes subis.
"J’avais très à cœur de pouvoir recueillir un tel témoignage" explique Maurine Mercier. "Dans un conflit, c’est d’importance majeure d’aller vérifier des faits et récolter des témoignages. Cette femme est allée jusqu’à montrer les blessures sur son corps. Elle voulait qu’il n’y ait pas le moindre doute sur son récit. Elle voulait porter plainte mais les autorités ukrainiennes ne se présentaient pas à sa porte. Dans le quartier, certains hommes commençaient à murmurer qu’elle aurait pu s’en sortir autrement. Pour prouver ce qu’elle avait subi, elle m’a raconté tous les détails de ces sévices de deux semaines et demie."
De ce récit, et des autres qu’elle a entendus ces jours-là, Maurine Mercier résume :
"Ces viols sont des bombes silencieuses destinées à briser les gens."
Ce reportage sonore de Maurine Mercier est le résultat de plusieurs jours de recherche dans la ville dévastée pour trouver quelqu’un qui accepterait de parler de ces violences sexuelles.
"J’avais passé entre huit et dix jours à Boutcha, à interroger toutes les femmes que je rencontrais dans ces rues encore jonchées de cadavres, une atmosphère terrifiante" commente Maurine Mercier. "Quatre ou cinq femmes avaient témoigné de leur viol auprès de moi, mais hors micro. Elles étaient dans des états de traumatisme et de peur qui ne leur permettaient pas de témoigner au micro. Puis j’ai rencontré cette femme qui m’a dit 'je témoignerai une fois, puis à vous de faire entendre ma voix'. Ce prix l’honore. On célèbre souvent les journalistes. Moi j’ai envie de célébrer le courage colossal de cette femme."
Maurine Mercier ajoute :
"Dès que je serai de retour dans la région je lui remettrai ce prix. Il lui revient, ainsi qu’à sa fille".
Ce prix, elle le dédie aussi à un jeune journaliste mort en Ukraine, Frédéric Leclerc-Imhoff. À la question : "quel conseil donneriez-vous à un ou une jeune qui commence à travailler comme reporter de guerre", elle commente :
"N’écoutez personne vous dire : 'le métier est sinistré, plus personne ne vous croit, vous les journalistes, et c’est mal payé'. Moi je leur dis juste : 'faites-le. Mais faites attention aussi'. C’est un métier de passion si vous aimez les gens, si vous aimez mettre en lumière les faits. J’ai rencontré deux jeunes collègues en Ukraine, Maxime et Fred, de BFM TV. On a travaillé un mois ensemble, puis Frédéric est décédé. Ce prix-là je le dédie à Fred, jeune journaliste de grande qualité, qui y a laissé sa vie."