La couleur des idées

Marie de Hennezel : "La vie de nos disparus est tissée à la nôtre et c’est ce lien qu’il faut retrouver"

La psychologue et psychanalyste Marie de Hennezel

© Erwan Floch

Par Tania Markovic et Pascale Seys via

Pascale Seys reçoit la psychologue et psychanalyste jungienne Marie de Hennezel, à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage intitulé "Vivre avec l’invisible" publié aux éditions Robert Laffont-Versilio.

Dans notre monde cartésien, Marie de Hennezel donne des pistes pour être à l’écoute de l’invisible dont nous nous sommes coupés, notamment par l’utilisation des technologies omniprésentes dans nos vies, nous empêchant de "décrocher", d’être disponibles à ce qui se passe en nous. Une clef : la méditation. Dans sa bouche, elle est dénuée de connotation religieuse. Son livre, bâti autour de témoignages, montre que nous sommes nombreux à entretenir des liens avec l’invisible même si nous les gardons secrets et que ceux-ci peuvent prendre des formes très diverses, pouvant aller de simples rêves à des synchronicités troublantes que les rationalistes nomment "hasard". L’invisible qui nous entoure, ce sont aussi nos absents. Marie de Hennezel les convoque souvent et nous encourage à faire de même : "La vie de nos disparus est tissée à la nôtre et c’est ce lien qu’il nous faut retrouver", exhorte-t-elle.

Quand la proximité de la mort donne le goût de vivre

Par son métier (elle a notamment travaillé en soins palliatifs), Marie de Hennezel sait se rendre disponible, à l’écoute des âmes, qu’elles soient rêvantes ou souffrantes. En 1995 paraissait "La mort intime", un écrit qui était le fruit de témoignages qu’elle avait alors recueillis auprès de patients en fin de vie. Le livre était préfacé par François Mitterrand qu’elle a aussi accompagné dans la maladie et c’est à son engagement sans faille que la France doit d’ailleurs de regarder autrement et de prendre en charge différemment les êtres que nous serons nous-mêmes un jour lorsque nous serons, à notre tour, dans l’antichambre de la mort. Depuis ce livre, il y en a eu bien d’autres dont notamment "L’art de mourir", "Le souci de l’autre", "L’âge, le désir et l’amour". Marie de Hennezel n’a de cesse d’être au plus près de la parole de celles et ceux qui souffrent, qui aiment, qui vieillissent et qui savent que notre temps est compté. Pourtant, malgré sa proximité avec la mort, elle fait preuve d’une incommensurable confiance dans la vie qu’elle souhaite transmettre à travers ses livres.

Une frontière entre le visible et l’invisible ténue à certains âges

En tant que jungienne, Marie de Hennezel croit que nous portons tous en nous, en dehors de l’inconscient personnel que Freud considérait comme "le réservoir du refoulé", un inconscient familial et collectif. Pour résumer, nous aurions en nous "toute la mémoire du monde, hors du temps et de l’espace", ce que Jung regroupe sous son concept d’"Unus mundus", un "Monde un", une unité donc, qui se trouve au fond de nous en chacun de nous. Marie de Hennezel explique que tout ce qui relève de l’intuition, de la synchronicité ou encore des rêves, émerge de ce monde qui est en nous, monde dont nous nous sommes coupés en grandissant, au moment de "l’âge de raison" qu’on situe aux alentours de sept ans, passage de l’irrationalité à la rationalité. L’écrivaine emprunte à son amie, la thérapeute jungienne Sevim Riedinger, une expression, celle de "savoir du dedans", pour qualifier ce lien spontané à l’invisible qu’ont les enfants, percevant des choses que les adultes ne sentent plus et qui, pour les premiers, sont naturelles. Marie de Hennezel constate qu’en fin de vie les humains reviennent à cela : "Chez les personnes âgées ou mourantes, cette frontière entre le visible et l’invisible est très fine de nouveau". Elle explique que cela est dû au fait que l’homme intérieur, celui qui est dans la contemplation, prend plus de place lorsque nous avançons en âge :

Nous percevons alors davantage de choses que dans la vie active où la raison domine. Nous disposons d’une perception plus fine, d’une faculté à sentir au-delà de soi qu’on nomme l’hapsis.

Opérer une distinction entre des expériences spontanées et provoquées

Dans son livre, Marie de Hennezel ne cherche pas à convaincre quiconque. Elle explique :

J’ai vraiment essayé d’éviter le piège d’expliquer quoi que ce soit, je me suis juste contentée d’écouter les témoignages des personnes, de les rapporter et de montrer que quasiment tout le monde un jour ou l’autre a eu une expérience de cet ordre et qu’elle est naturelle.

Ce mot de "naturel", Marie de Hennezel l’emploie souvent. Selon elle, c’est ce qui permet de faire la distinction entre psychologie et parapsychologie. Elle l’exprime ainsi :"Je pense que les expériences spontanées que tout le monde fait sont naturelles, normales et pas paranormales. On n’est dans le paranormal à partir du moment où on essaie de jouer avec l’invisible, de le provoquer."

Retrouvez-ci dessous ce samedi 5 novembre à 12h l'émission enregistré en mars 2022

La couleur des idées

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