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Qatargate

Marc Tarabella a-t-il été téléguidé par Pier Antonio Panzeri lors d’un débat sur le Qatar au Parlement européen ?

L’eurodéputé belge Marc Tarabella va voir son immunité parlementaire levée cette semaine. Ce mardi 31 janvier, la commission affaires juridiques du Parlement européen a donné, sans surprise, un premier feu vert à cette levée.

La justice belge veut entendre l’élu socialiste dans le cadre de l’enquête sur le scandale de corruption au sein du Parlement européen et notamment sur le rôle de Marc Tarabella lors d’un débat sur les droits de l’homme au Qatar organisé au Parlement européen le lundi 14 novembre 2022, quelques jours avant l’ouverture de la Coupe du monde de football. Un débat sur lequel a plané l’ombre de Pier Antonio Panzeri, le principal suspect du Qatargate.

Les enquêteurs pensent que Pier Antonio Panzeri a voulu manipuler ce débat, en faire une vitrine favorable au Qatar. Il ne faut pas oublier qu’avant la Coupe du monde, l’émirat est accusé d’avoir bafoué les droits des travailleurs étrangers engagés pour construire les stades et les infrastructures du Mondial.

Les secrets de la suite 412

Les premiers soupçons remontent au début du mois d’octobre 2022. A cette époque, le téléphone de Pier Antonio Panzeri est déjà sur écoute. Lors d’une discussion datée du lundi 3 octobre, l’ex-eurodéputé italien et son fidèle assistant, Francesco Giorgi, prévoient de voir ceux qu’ils nomment "les nôtres". Une semaine plus tard, les deux hommes rencontrent une délégation de hauts responsables qataris au cœur de Bruxelles, dans l’hôtel de luxe Steigenberger Witcher’s, sur l’avenue Louise.

Ces faits ont été révélés par le quotidien Le Soir qui a eu accès en exclusivité à des écoutes téléphoniques et des comptes rendus d’auditions. "Monsieur Panzeri et Monsieur Giorgi et les Qataris se sont vus le 10 octobre", nous raconte le journaliste Joël Matriche. "Les Qataris eux-mêmes sont arrivés à l’hôtel le 9 octobre avec trois Mercedes. Ils étaient 6 dont le ministre du Travail, Monsieur Al Marri et puis le lendemain, ils se sont vus avec Antonio Panzeri et Francesco Giorgi."

Une délégation qatarie arrive en limousine à l’hôtel Steigenberger Witcher’s, à Bruxelles, le 9 octobre 2022.
Une délégation qatarie arrive en limousine à l’hôtel Steigenberger Witcher’s, à Bruxelles, le 9 octobre 2022. © Le Soir / La Repubblica

La rencontre se tient dans la suite 412 de l’hôtel 5 étoiles. Dans un premier temps, "on ne sait pas du tout ce qu’il s’est passé dans cette suite pour la simple et bonne raison qu’il n’y a pas de caméras de surveillance dans ces suites", poursuit Pauline Hofmann. "Tout ce qu’on sait, c’est qu’il y a eu des allées et venues dans les couloirs devant cette suite." Mais ensuite, tout s’éclaire grâce aux auditions et aux interceptions de communications téléphoniques. Selon les deux journalistes du Soir :

Il apparaît clairement que cette réunion avait pour but de préparer l’audition à Bruxelles de Monsieur Al Marri le 14 novembre. On peut voir que visiblement Antonio Panzeri est celui qui a écrit le discours de Monsieur Al Marri

Francesco Giorgi (à gauche) et Pier Antonio Panzeri (à droite) arrivent à l’hôtel Steigenberger Witcher’s, à Bruxelles, le 10 octobre 2022.
Francesco Giorgi (à gauche) et Pier Antonio Panzeri (à droite) arrivent à l’hôtel Steigenberger Witcher’s, à Bruxelles, le 10 octobre 2022. © Le Soir / La Repubblica

Un débat animé

Un mois passe et le lundi 14 novembre, le ministre Ali Ben Samikh Al-Marri se présente effectivement devant la sous-commission Droits de l’homme (DROI) du Parlement européen.

Sa venue est visiblement très attendue. La salle 3G3 du Parlement européen est comble ce jour-là.

Imaginez-vous la scène.

Le ministre qatari est au centre de la tribune. A sa droite, il y a la présidente de la sous-commission Droits de l’homme, l’eurodéputée socialiste belge Marie Arena. C’est elle qui a transmis une invitation à Monsieur Al Marri le mardi 11 octobre. Dans une réponse envoyée par écrit, elle a justifié cette invitation :

Il m’a semblé utile de l’inviter étant donné la décision de débattre de la question des droits de l’homme au Qatar en sous-commission DROI car lors de cet exercice il y aurait confrontation de points de vue.

De fait, à la gauche de Monsieur Al-Marri, se trouvent des experts de l’Organisation internationale du Travail, de la Confédération internationale des Syndicats et de l’ONG Human Rights Watch qui parlent tour à tour.

Vient ensuite le discours du responsable qatari. Pendant une bonne dizaine de minutes, il loue les progrès de son pays en matière de droit du travail et assure que les réformes se poursuivront après la Coupe du monde. Il réplique aussi aux critiques.

Il ne faut pas politiser les choses.

"Il ne faut pas tomber dans le piège de la désinformation, parler de 15 mille, de 10 mille morts. Il ne faut pas citer de chiffres erronés. […] Malheureusement, certains médias présentent les Qataris comme une bande de criminels, de terroristes. Comment accepter ces discours de haine et de racisme ? C’est une mise au pilori", s’emporte le ministre qatari à la fin de son discours.

 

Le ministre du Travail du Qatar à la sous-commission Droits de l’homme du Parlement européen le 14 novembre 2022.
Le ministre du Travail du Qatar à la sous-commission Droits de l’homme du Parlement européen le 14 novembre 2022. © Parlement européen

Un discours qui ne convainc pas tous les eurodéputés assis en face de lui. Une socialiste néerlandaise parle du "Mondial de la honte ". Un socialiste allemand se demande "comment apprécier un match de foot qui se joue dans un stade qui a coûté la vie à des travailleurs étrangers". Un Espagnol de la gauche radicale déclare avec détermination :

Moi, je soutiens le boycott du Mondial.

L’intervention de Marc Tarabella

Toutefois, une poignée d’eurodéputés se montrent moins sévères. Parmi eux, le socialiste belge Marc Tarabella qui prend la parole à la toute fin du débat. "Je vais essayer d’être bref parce que je n’avais pas prévu de prendre la parole", commence-t-il par expliquer.

Moi, beaucoup de mes collègues, je ne les ai pas entendus quand on a attribué la Coupe à la Russie, qui avait déjà envahi le Donbass en 2014 et en 2018 il n’y a pas eu tous ces débats.

"Et donc, moi, ce que j’accuse aujourd’hui (sic), c’est que certains collègues voient une image vieille d’il y a 10 ans alors qu’il faut regarder le fil de l’évolution et l’apprécier à sa juste valeur en invitant le Qatar à continuer les efforts après la Coupe puisque, évidemment, ils le disent eux-mêmes, la situation n’est pas parfaite là-bas."

 

L’eurodéputé socialiste belge Marc Tarabella lors de la sous-commission Droits de l’homme le 14 novembre 2022.
L’eurodéputé socialiste belge Marc Tarabella lors de la sous-commission Droits de l’homme le 14 novembre 2022. © Parlement européen

Cette déclaration va interpeller plusieurs personnes présentes dans la salle et que nous avons contactées.

Un rang derrière l’élu socialiste wallon, ce jour-là, il y a Ana Miranda. Cette députée espagnole du groupe des Verts se souvient avoir été choquée. "J’ai réagi avec étonnement. Je me suis pris la tête dans les mains. J’ai parlé aux autres et j’ai dit : qu’est-ce qui se passe ?"

Il vient ici pour blanchir le Qatar.

"Je suis surprise parce que Marc Tarabella a toujours eu des positions en faveur des droits de l’homme. Mais il est venu ici comme si on lui avait apporté une feuille de papier pour dire ce qu’il avait à dire."

L’eurodéputée du groupe Les Verts/ALE Ana Miranda : "Il vient ici pour blanchir le Qatar."
L’eurodéputée du groupe Les Verts/ALE Ana Miranda : "Il vient ici pour blanchir le Qatar." © RTBF

La journaliste du Soir Pauline Hofmann suivait le débat. Elle, elle n’est pas surprise sur le fond. Ces dernières années, Marc Tarabella a plusieurs fois souligné les efforts du Qatar. Non, ce qui étonne la journaliste, c’est que dans un premier temps, Marc Tarabella n’avait pas prévu de prendre la parole… avant de changer d’avis. "C’est d’autant plus étonnant quand on voit ce qu’il s’est passé en coulisses. Dans des éléments d’enquête, on remarque qu’il y a eu des échanges téléphoniques entre Francesco Giorgi et Pier Antonio Panzeri pendant cette sous-commission. C’est-à-dire que Francesco Giorgi est installé dans les travées. Moi, je ne l’ai pas remarqué, je ne le connais pas à ce moment-là. Mais il est là. Et on remarque que Panzeri demande à Monsieur Giorgi de faire passer un message et que Monsieur Tarabella intervienne. Et trois, quatre minutes plus tard effectivement Monsieur Tarabella intervient."

A l’avant-plan, Marc Tarabella. A l’arrière, Francesco Giorgi. Pier Antonio Panzeri était en dehors de la salle 3G3, le 14 novembre 2022.
A l’avant-plan, Marc Tarabella. A l’arrière, Francesco Giorgi. Pier Antonio Panzeri était en dehors de la salle 3G3, le 14 novembre 2022. © RTBF

Cet élément d’enquête est interpellant. Il semble démontrer que Pier Antonio Panzeri a bien tenté d’influencer le débat sur le Qatar. Et s’il n’était pas dans la salle 3G3 pendant le débat, il n’est pas très loin. L’eurodéputée Ana Miranda affirme avoir vu l’ex-député italien dans les couloirs du Parlement. "J’ai été surprise de voir Monsieur Panzeri en dehors de la salle. Il se promenait. Je l’ai vu deux fois dans le Parlement. […] J’ai pensé : qu’est-ce qu’il fait ici ce monsieur. Mais je n’ai jamais pensé qu’il avait une " liaison " aussi directe avec le Maroc et le Qatar dans un tel réseau de corruption."

Des questions ouvertes

Reste cette question : Pier Antonio Panzeri a-t-il monnayé ses jeux d’influence au profit du Qatar lors du débat du lundi 14 novembre ? Selon Jöel Matriche, du journal Le Soir, les enquêteurs ont des soupçons. Un point les intrigue concernant la rencontre du lundi 10 octobre dans un hôtel bruxellois entre des responsables qataris, Francesco Giorgi et Pier Antonio Panzeri. "Ils entrent dans la suite 412 et là sur les images, on voit effectivement qu’il y a une mallette ou une sorte de sac."

Et puis quand ils en ressortent un peu plus tard, le sac – notent les enquêteurs – a l’air un peu plus épais, un peu plus rempli. […] Ils soupçonnent peut-être qu’il y avait de l’argent dans cette valise lorsqu’ils sont sortis de la suite 412.

Sur la photo de gauche, P-A Panzeri tient un sac qui "a l’air un peu plus épais" que sur la photo de droite. Les enquêteurs "soupçonnent peut-être qu’il y avait de l’argent".
Sur la photo de gauche, P-A Panzeri tient un sac qui "a l’air un peu plus épais" que sur la photo de droite. Les enquêteurs "soupçonnent peut-être qu’il y avait de l’argent". © Le Soir / La Repubblica

Et Marc Tarabella, a-t-il reçu de l’argent ? Lui assure ne rien avoir à se reprocher. Ce mardi 31 janvier, l’élu socialiste a pris acte de la décision de la commission affaires juridiques du Parlement européen qui a donné un premier feu vert à la levée de son immunité parlementaire.

L’avocat de Marc Tarabella nous savoir que son client "a demandé lui-même sa levée d immunité, en toute transparence, afin de pouvoir répondre aux questions des enquêteurs et aider la justice à faire la lumière sur ce sur ce dossier. Par respect pour les autorités judiciaires et pour le travail d’enquête, il s’est retenu de commenter les accusations dans la presse afin de réserver la primeur de ses explications à monsieur le juge".

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