"Rien n'est plus dangereux que lorsque l'ignorance et l'intolérance sont armés de pouvoir" (Voltaire)
Depuis plus d'un an maintenant, un malaise, plutôt une révolte larvée s’est installée chez le personnel de la nouvelle Agence wallonne du Patrimoine (AWaP). Depuis sa création, le 1er janvier 2018, les témoignages sont nombreux, divers mais concordants. Ils mettent en exergue de multiples dysfonctionnements. Les causes de cette rogne et de cette grogne sont patentes : politisation des récentes nominations et promotions, doublées d'une complication administrative de plus avec l'entrée en vigueur à partir du 1er juin 2019 du nouveau code du Patrimoine (CoPat).
On y retrouve des "cabinetards" de toutes sortes qui sont passés par là pour peaufiner leur plan de carrière
La suppression de l' Institut du Patrimoine wallon (IPW), un organisme d'intérêt public (OIP), créée en 1999, qui se posait en doublon et concurrent de l'administration du Patrimoine, et la création récente d'une "Agence" interlocuteur unique pour le citoyen wallon, étaient certainement souhaitables. Sinon que les tâches de cet organisme s’en trouvent fortement alourdies et compliquées ; elles ont nécessité la création de pas moins de 9 directions contre les 3 existantes au sein de la Division du Patrimoine de 1989 à 2017. L’AWaP a vu le jour le 1er janvier 2018 et depuis les difficultés s’accumulent : politisation extrême des nominations des nouveaux directeurs parfois même inconnus auparavant dans le milieu patrimonial. Certains n’ont aucune expérience des matières, encore moins les diplômes requis. Bref, ils sont vraiment incompétents. Pas un des directeurs n’est archéologue alors que plus de la moitié du personnel a été engagé au Service public de Wallonie (SPW) pour l’archéologie.
On y retrouve des "cabinetards" de toutes sortes qui sont passés par là pour peaufiner leur plan de carrière au lieu de conseiller leur ministre en charge, par ailleurs souvent attentif et de bonne volonté mais absorbé par des tâches diverses et variées. Certains sont issus de l'ancien IPW où leurs titres et grades ont été le fait du prince ; sans épreuve de recrutement d'aucune sorte, ils passent par-dessus la tête de ceux de ceux qui ont dû suivre la carrière administrative avec toutes ses contraintes de concours de recrutement, d'évaluations et de promotions. La tradition administrative postule la promotion des meilleurs agents, des plus travailleurs, des plus compétents et des plus expérimentés. Au contraire de ces postulats, ce sont pour la plupart d'illustres parachutés qui ont été promus aux postes de directions. Dans cette situation particulière, il est normal que le personnel ayant-droit se sente lésé, se rebiffe en trouvant au-dessus de lui des dirigeants dont la carte de parti est souvent plus importante que le diplôme !
Le personnel est largement démotivé, déboussolé, le ciel lui tombe sur la tête et il se demande ce qui lui arrive ! Les instructions ne suivent pas ou pire encore, sont contradictoires. Des signes qui ne trompent pas : recrudescence des absences pour maladie, burn-out, recours au Centre de Santé (SPMT) qui ont entraîné une enquête psycho-sociale toujours en cours, demandes accrues de transfert vers d'autres administrations, démissions pures et simples,… le tableau est édifiant ! Les syndicats eux-mêmes ont peu voire pas réagi et portent également leur part d’irresponsabilité. Comble du jamais vu, les agents ont déposé un préavis d’action. Le navire coule…
Exemple d'actualité. Tout le monde a suivi dans les médias la saga de la "déconstruction" du "Pont des Trous" à Tournai. On savait depuis plus de dix ans maintenant que ce monument classé dans son entièreté allait être, en partie, démoli. Les trois arches minées par les Anglais, en 1940, allaient, après guerre, être reconstruites avec un autre gabarit qu'au Moyen Âge, avec aussi du béton armé et des pierres de parement recouvrant le noyau récent. On avait donc tout le temps pour déclasser cette partie moderne, la démolir et la reconstruire avec un gabarit dicté par les impératifs économiques de circulation de bateaux de plus gros tonnages. Le permis a été délivré, au grand dam de la population, avec l'aval de l'AWaP, alors qu'aucun déclassement n'était intervenu. Conclusion : le pouvoir politique et l’administration ne respectent pas leurs propres lois qu'ils imposent cependant aux citoyens. Le monument reste classé en l’état… et si rien ne change la partie reconstruite et moderne le sera d’office aussi !
Et la simplification administrative ? Un nouveau "Code du Patrimoine" est d'application depuis le 1er juin 2019. Il sent la consultance à plein nez et la théorie plutôt que la pratique. Il a été conçu aussi par des juristes et surtout des non-juristes avec les conséquences que l'on peut déjà supposer. Sans doute est-il encore trop tôt pour évaluer son fonctionnement sur le terrain. Il comporte cependant des points positifs : la liste du petit patrimoine a été singulièrement élargie et définie, la réalisation de formulaires de demande, d'autorisations, d'informations, d'agréments, de subventions et autres déclarations est aussi d'un apport bienvenu. On regrettera bien sûr la diminution drastique des pourcentages de participation financière régionale en faveur des citoyens et des organismes publics, mais ici aussi réduction du budget régional oblige. On applaudit cependant à la diversité des subsides possibles. Mais en diversifiant, on augmente aussi la paperasse, tout en usant du nombre limité d’agents. Et n’en augmentant pas les budgets, on réduit aussi la capacité d’agir sur le reste du Patrimoine classé.
Vers quelles perspectives se tourner quand tout n'est plus que confusion?
L'élargissement des intervenants aux "détectoristes" (détecteurs à métaux) répond à cette plaie, mais l'avenir dira si ces derniers répondront de manière adéquate et honnête à cette ouverture. Leur encadrement a été défini, mais reste problématique et il faudra s’attendre à de sérieuses difficultés. En outre, les citoyens se plaignent déjà de l'absence de réponses effectives à leurs légitimes demandes. Les rendez-vous fixés ou planifiés ne sont pas honorés. Les promesses restent lettre morte. Les lenteurs ne sont pas résorbées et s’accumulent. Les collections et le matériel archéologiques ne sont plus consultables pour étude y compris par les inventeurs eux-mêmes et ceci même si l'administration ment et fait dire le contraire par voie de presse. Les agents de l'AWaP définiront beaucoup mieux, de l'intérieur cette fois, les nombreuses lacunes et les dysfonctionnements coupables qui affectent ce nouvel organe administratif heureusement toujours relié à sa direction générale d’origine, la DGO4 ou "Direction générale opérationnelle de l’Aménagement du Territoire, du Logement, du Patrimoine et de l’Energie", au sein du Service Public de Wallonie.
Vers quelles perspectives se tourner quand tout n'est plus que confusion ? Une porte s’ouvrira-t-elle enfin pour faire toute la lumière ? Certains problèmes se régleront par la mise en place d'un autre organigramme et la suppression de certains mandats. Ce sera au nouveau gouvernement wallon de prendre ses responsabilités et de commanditer un audit salutaire et bien nécessaire.
Faut-il songer à une institution scientifique à gestion séparée comme il en existe au fédéral et comme le projet en avait été recommandé lors de la régionalisation du Patrimoine en 1988/1989 ? On se mettrait ainsi à l'abri de toute politisation des nominations et des promotions, grâce à un jury universitaire pluraliste et indépendant. Les candidats seraient jugés sur leurs diplômes, leur spécialisation, leurs publications et travaux, bref sur tout ce qui fait le corps même des métiers scientifiques du Patrimoine. Les architectes spécialisés, les historiens d'art, les historiens, les archéologues et même... certains juristes y trouveraient leur compte. N’est-ce pas ce que le citoyen attend ? N’est-ce pas aussi ce que clament les politiques qui nous dirigent ? Vous avez dit dépolitisation et simplification administrative…
André Matthys est archéologue médiéviste, spécialiste reconnu internationalement pour ses travaux sur les châteaux médiévaux en Belgique, il a en outre a dirigé des chantiers archéologiques en Italie et en Espagne. Chef de travaux au Service national des Fouilles jusqu'à la régionalisation de l'archéologie en 1989. Date à laquelle il devint le premier Inspecteur général du Patrimoine au sein du ministère de la Région wallonne.