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Mais nom d'une pipe, qu'ont-ils de plus que nous ces zapatistes ?

Amaury Ghijselings

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Par Amaury Ghijselings

Le 1er janvier 1994, dans la province mexicaine du Chiapas, des indiens se soulèvent en armes contre le rouleau compresseur néolibéral incarné ce jour-là par l’entrée en vigueur de l’Accord de Libre Echange Nord-Américain. Ils se réapproprient des centaines d’hectares de terres cultivables, fondent leurs municipalités autonomes et, plus tard, ils iront même jusqu’à créer leurs propres gouvernements. Au travers de leurs déclarations, ils appellent tous les laissés-pour-compte de la mondialisation à rejoindre le camp des rebelles dans le théâtre de ce qu’ils annoncent être la 4ème guerre mondiale. Vingt ans plus tard, le mouvement zapatiste continue de fasciner la presse, les chercheurs et même le citoyen lambda pour qui la tête encapuchée du sous-commandant Marcos n’est pas inconnue. En Europe, les mouvements sociaux qui s’inspirent de cette insurrection peinent cependant à obtenir bonne presse de la part des médias traditionnels autant que de la presse associative. Tout cela peut-il s’expliquer par l’absence, chez nous, d’un leader costumé fumant la pipe ?

Activiste…

Bon d’abord, je me présente, Amaury, spécialiste de rien du tout et activiste en tout genre et de tout bord…ah non, je ne peux plus dire ça depuis que des conservateurs de droite, " indignés " par le mariage pour tous, ont eux aussi choisi de désobéir aux lois et à la police. Précisons. Je suis un activiste altermondialiste, c'est-à-dire un idéaliste qui croit en la possibilité d’un monde plus juste et solidaire où la diversité culturelle ne serait plus considérée comme un problème mais comme une richesse et la nature comme un bien commun et non plus comme une ressource. Vous me direz, " nous sommes nombreux à penser cela ", je vous répondrai, " oui mais nous sommes beaucoup moins nombreux dès qu’il s’agit de se mobiliser pour ça ! " Précisons davantage. A l’égal des zapatistes, je pense que le changement viendra d’en bas à gauche, c'est-à-dire issu de collectifs citoyens, s’organisant de manière horizontale pour résister et créer des alternatives à la marchandisation de monde. Vous m’aurez compris, lorsque je dis " nous ", les altermondialistes, cela n’inclut pas le ministre français du Redressement productif (pour ne pas citer des gens près de chez nous en pleine campagne électorale) qui pourtant se trouve lui aussi très fâché contre la mondialisation néolibérale.

Zapatisant

Venons-en aux faits. Tout d’abord rassurons le lecteur, je n’ai rien contre les zapatistes, je suis même un " zapatisant " comme dirait Bernard Duterme qui, il y a peu, dressait un bilan du mouvement dans cette même tribune. Plusieurs immersions menées ces dernières années au cœur des communautés zapatistes ont permis que je constate par moi-même le caractère inédit du mouvement zapatiste. Une autre politique fondée sur la déspécialisation et la réappropriation collective de la capacité à participer aux prises de décision[1], une autre économie fondée sur le respect de la terre, la propriété collective et le modèle coopératif, ou encore une autre éducation axée sur la transformation du système et non pas sur l’intégration au marché du travail, constituent quelques exemples d’expériences zapatistes très concrètes pouvant servir d’inspiration en vue de construire la démocratie politique, économique et culturelle de demain.

Et révolutionnaire

Ce sur quoi je me questionne, c’est la différence de traitement médiatique que reçoivent les révolutionnaires chiapanèques comparé aux révolutionnaires de chez nous. D’ailleurs, nous ne sommes même pas considérés comme des révolutionnaires, nous ! Lorsque je vais arracher des pommes de terre OGM à Wetteren, je me fais traiter d’éco-terroriste [2], lorsque je marche poing levé aux côtés des " sans-papiers " lors du No Border Camp, je deviens un dangereux anarchiste et lorsque je plante ma tente d’" indigné ", dans le meilleur des cas, les gens voient en moi un chômeur n’ayant certainement rien de mieux à faire ! Bon allez, j’exagère, la presse fût clémente avec les indignés. Dès lors, vous commencez à penser qu’en fait, je suis jaloux ! Eh bien, vous avez raison. J’envie cette image positive de révolutionnaire romantique qui accompagne l’Armée Zapatiste de Libération Nationale et j’aimerais parfois que ceux qui l’encense puissent voir les " petits zapatistes " que nous sommes, lorsque nous décidons d’utiliser la désobéissance civile pour nous faire entendre ou pour faire changer une loi. Tout comme eux, nous avons fait le deuil du " grand soir " au travers de la prise du pouvoir et nous avons dû nous rendre à l’évidence, les outils de la démocratie que sont les urnes, le plaidoyer politique ou encore le débat dans l’espace public portent de moins en moins leurs fruits en matière de justice sociale. Du coup, on désobéit, on se rebelle et on s’organise pour devenir autonome ! Nous sommes des zapatistes lorsque sans autorisation, nous occupons des places pour y tenir une assemblée populaire, lorsqu’en violation des règlements européens, nous échangeons des semences paysannes ou encore lorsque nous violons la sacro-sainte propriété privée en ouvrant un squat pour donner un toit à des sans-papiers d’Afghanistan ou d’ailleurs.

Deux poids, deux mesures

Je m’étonne donc de voir le deux poids deux mesures qui caractérise la couverture médiatique des insurrections d’ailleurs et celles près de chez nous. Serait-ce parce qu’on considère que certains pays n’ont de démocratie que le nom, alors que chez nous on peut changer le monde en votant ? Les réseaux associatifs dont je fais partie sacralisent les indiens zapatistes qui ont pris les armes pour récupérer des terres mais sont très frileux de soutenir des syndicalistes et des producteurs de lait qui entreprennent de bloquer le sommet européen, lors des mobilisations du mois de décembre contre l’austérité et les accords de libre-échange (D19-20). Autre exemple, à l’occasion de la prochaine journée mondiale des luttes paysannes (17 avril), plusieurs organisations ont annoncé qu’elles voulaient symboliquement planter des pommes de terre dans un champ qui, situé à Haren, se verra bientôt recouvert par une méga prison. Comme quoi, les zapatistes n’ont pas le monopole du problème d’accès à la terre. S’il n’y a pas d’autorisation légale, les plus grosses ONG pourraient se désolidariser de cette occupation. Bref, y-a-t-il parmi vous un ou une latino charismatique, fumeur de pipe qui pourrait nous aider à les convaincre que c’est une super idée ?

 

Bon, je devine que vous êtes en train de vous dire que ce papier n’est pas très sérieux et cela m’enchante car les zapatistes non plus ne sont pas des gens très sérieux. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils portent une cagoule afin qu’on ne remarque pas qu’ils se marrent au beau milieu d’une révolution !

Amaury Ghijselings

Chargé des formations sur l’altermondialisme, la souveraineté alimentaire et chargé de projet " Brigades civiles d’observations au Chiapas " pour l’ONG QUINOA, Amaury Ghijselings est aussi actif au sein de plusieurs collectifs tels que le Collectif Artivist, le Field Liberation Movement ou Terre-en-vue. Il a été contact presse pour Climate Justice Action, le camp No Border de Bruxelles ou encore les marches européennes des Indignés.

[1] Baschet Jérôme, Adieux au capitalisme – Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes, La Découverte, Paris, 2014.

 

[2] Pour ne citer qu’un exemple, De Morgen, Korpschef Wetteren: 'De afspraak was dertig activisten. Ze waren verdorie met vierhonderd!', 31 mai 2011

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