Les Grenades

Magritte 2023 : quel regard féministe sur notre cinéma ?

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Ce samedi 4 mars, le Théâtre Wallonie-Bruxelles accueillait la 12ème cérémonie des Magritte. Une soirée pensée comme une célébration du cinéma belge, qu’il soit en français, ou en flamand, qu’il soit de fiction ou de documentaire, du court au long-métrage en passant par la coproduction.

Une soirée aussi pour se reconnaître, se parler, échanger, réfléchir au présent du cinéma, et à son avenir. Au croisement de l’industrie et du divertissement, le cinéma est toujours politique. Derrière chaque scénario, personnage, casting, derrière chaque regard, il y a un choix. Derrière chaque prix, aussi.

Une soirée pour se questionner donc : quelle est la valeur féministe d’un Magritte ? Quelle est la place des femmes dans le cinéma belge ? Quels messages politiques fait-on passer avec cette cérémonie, cette prix, cette visibilité ? Sous les projecteurs, le micro tendu des Grenades a récolté quelques réponses parmi les invité·es.

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Margot Reumont, Magritte du meilleur court-métrage d’animation pour "Câline"

"Ce film, c’est la continuité de ce qui a été lancé avec #MeToo : qu’est-ce qu’on fait maintenant avec tout ça ? Avec les victimes, et avec les agresseurs ? Et surtout, que fait-on de cette parole ? Câline, finalement, raconte une histoire quand même assez joyeuse : c’est un exemple de ce que c’est d’avoir été écoutée, et c’est important pour pouvoir aller de l’avant. Ça fait partie de nous, mais ça ne nous définit pas pour toute la vie."

A travers le récit de Coline, qui replonge dans ses souvenirs d’enfance, Câline aborde la question des violences et de l’importance de l’écoute, sans laquelle aucune parole ne peut être vraiment libérée. Ce n’est pas la première fois que la cinéaste Margot Reumont aborde des sujets qui traitent de près ou de loin au féminisme et aux questions de genre – en 2012 durant ses études d’animation à La Cambre elle a signé le très parlant "Si j’étais un homme."

Câline

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Ce n’est pas la première fois que la cinéaste Margot Reumont aborde des sujets qui traitent de près ou de loin au féminisme et aux questions de genre – en 2012 durant ses études d’animation à La Cambre elle a signé le très parlant "Si j’étais un homme."

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Agnès Jaoui, Magritte d’honneur remis par Yolande Moreau

"Les films célébrés ce soir sont des films singuliers, magnifiques, libres, qui expriment des points de vue qui ne sont pas dictés par la loi du marché. C’est pour ça que ça me touche d’autant plus d’être là, et de recevoir ce prix ce soir des mains de Yolande Moreau, qui est une femme libre et merveilleuse."

Enthousiaste, accessible et sans langue de bois ("J’ai accepté de venir parce que j’aime bien les honneurs, voilà"), la scénariste, réalisatrice et comédienne française a échangé un moment touchant avec Yolande Moreau. La présence de cette dernière à la cérémonie a aussi un poids symbolique, car depuis le décès de Chantal Akerman en 2015 et de Marion Hänsel en 2020, c’est une des rares réalisatrices belges de fiction en activité à connaître une renommée hors de nos frontières. Aux César, il était facile de repérer les réalisatrices qui manquaient à l’appel des nommés, d’Alice Winocour à Rebecca Zlotowski en passant par Claire Denis.

Aux Magritte en revanche, le même exercice est délicat, voire impossible. Où sont-elles ? Quelle est leur visibilité, leur soutien structurel ? Depuis la première cérémonie des Magritte en 2011, seules Yolande Moreau et Savina Dellicour (avec son premier film Tous les chats sont gris) ont été nommées au Magritte de la meilleure réalisation en solo, ainsi qu’Ann Sirot, Fiona Gordon et Hélène Cattet en duo avec leur co-réalisateur. En 2022, Laura Wandel est la première réalisatrice à l’avoir remporté. Comme cette dernière, Yolande Moreau prépare son prochain film. Wait and see ?

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Edson Anibal, protagoniste de "Juwaa" de Nganji Mutiri, et Babetida Sadjo, nommée au Magritte de la meilleure actrice

"Nous sommes le futur du cinéma belge !"

Quelques instants avant la cérémonie, Un moment de joie et de revendication a eu lieu devant le Théâtre Wallonie-Bruxelles, porté par le comédien Edson Anibal du film du film Juwaa afin de souligner la nécessité de visibilité des personnes noires et racisées dans le cinéma belge, qui se doit de refléter toute la diversité culturelle du pays.

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Symbole de ce message, une fleur en papier mauve a été arborée sur les vêtements de nombreux·ses invité·es. Abordant la question coloniale à travers une relation mère-fils douloureuse, Juwaa a valu à Babetida Sadjo une nomination au Magritte de la meilleure actrice – la première femme noire nommée dans cette catégorie. "Nous allons croquer la pomme et celle-ci ne nous calera pas dans la gorge", a-t-elle déclaré au lendemain de la cérémonie.

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Thibault Wohlfart et Gregory Carnoli, Magritte du Meilleur court-métrage de fiction pour "Ma Gueule"

"Sourour est la dernière d’une longue liste de personnes racisées décédées dans un commissariat à Bruxelles. La violence policière est aussi le sujet de notre film, ces gens sont censés nous protéger, mais avec eux la communication est parfois impossible. Donc cela avait beaucoup de sens de dédier le film à cette personne, et toutes les autres."

Quelques heures avant la cérémonie des Magritte, un rassemblement pour réclamer justice pour Sourour Abouda, décédée dans des circonstances troubles dans le commissariat de la Rue Royale en janvier, a eu lieu sur la Place Poelaert à Bruxelles. Le comédien Gregory Carnoli, héros de Ma Gueule était parmi les personnes présentes sur place.

Ma Gueule est disponible en replay sur Arte.

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Julie Lecoustre, Magritte du meilleur premier film pour "Rien à Foutre", co-réalisé avec Emmanuel Marre

"En tant que réalisatrice, je me suis sentie très seule ce soir. J’ai vraiment hâte de la suite, parce que je crois aux réalisatrices, et je les attends, l’an prochain, bien présentes, avec leurs films."

Dalva d’Emmanuelle Nicot, Tengo Sueños Eléctricos de Valentina Maurel, L’Employée du mois de Véronique Jadin, Une Vie comme une autre de Faustine Cros, Le Balai libéré de Coline Grando, Temps mort d’Eve Duchemin : tous ces films belges de réalisatrices ont une sortie prévue dans les prochains mois. Comme Julie Lecoustre, on attend de pied ferme les nominations 2024.

Rien à Foutre est disponible en streaming sur Sooner.

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Bouli Lanners, Magritte du meilleur acteur ("La Nuit du 12"), meilleur réalisateur, meilleur film ("Nobody Has To Know")

"Les Magritte, c’est une tribune – en plus une tribune culturelle, donc la première tribune pour mettre en avant les débats de société ! Ici, comme aux Césars, il y a eu beaucoup de messages politiques, à propos du féminisme, de la parité, du comportement masculiniste… Le fait de remettre un prix à La Nuit du 12, c’est aussi une forme de féminisme Je suis conscient qu’il y a un féminisme radical, et il doit exister, parce qu’il amène le débat. Mais pour moi, il y a plusieurs types de féminisme, et je m’inscris dans celui où on fait bouger les choses ensemble. Et les prises de parole de toutes les femmes sur scène ce soir vont dans le même sens."

La Nuit du 12 aborde le thème du féminicide et des relations problématiques entre hommes et femmes à travers une enquête policière impossible. Le réalisateur liégeois a par ailleurs reçu le Magritte du meilleur réalisateur et du meilleur film pour Nobody Has To Know – un doublé qu’il avait déjà réalisé en 2012 (Les Géants) et en 2017 (Les Premiers Les Derniers).

La Nuit du 12 est disponible en streaming sur Sooner.

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Laure Portier, Magritte du Meilleur documentaire pour "Soy Libre"

Le Magritte du meilleur documentaire attribué à "Soy Libre"

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"Être sur la scène du Théâtre National, lieu qui explore les voix à la marge pour les mettre au centre, résonne avec nos réalités. C’est aussi à la marge des financements que se situe le documentaire, une catégorie où les femmes sont majoritaires, à la différence de la fiction… Pourtant le documentaire est aussi captivant que les films de fiction. Alors célébrons tous les cinémas de la même manière, pour libérer les imaginaires, y compris ceux issus de la diversité, trop peu représentés, pour briser les frontières des stéréotypes de genre, et aussi pour exprimer nos vulnérabilités sans honte, qu’on soit un homme ou femme (bonjour Vincent Cassel), et pour donner du sens à la folie parfois saine qui nous entoure."

Réalisatrice entre autres des documentaires Casser les Codes et La Voie d’Henriette et créatrice des Grenades, Safia Kessas a rappelé, à l’occasion de la remise du Magritte du meilleur documentaire à Laure Portier pour Soy Libre, le lien entre présence des femmes et minorités dans l’industrie et impératifs financiers. Les cris et applaudissements dans la salle suscités par le tacle à Vincent Cassel ne sont par ailleurs pas passés inaperçus…

Soy Libre est disponible en streaming sur Avila.

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Amélie Van Elmbt et Maya Duverdier, nommées pour le Magritte du meilleur documentaire avec "Dreaming Walls"

"On tient à féliciter Julie Lecoustre (Rien à Foutre) et Laure Portier (meilleur documentaire pour Soy Libre), qui rajoutent [trois] réalisatrices au palmarès des Magritte ce soir. Jusqu’ici, il n’y avait eu que 7 réalisatrices primées en 12 ans, soit une demi-femme par an. Une demi-femme par an, ce n’est pas assez pour faire avancer les choses. Ce n’est pas assez pour se sentir légitime, en sécurité, à sa place sur un plateau, devant une commission, pour être prise au sérieux, obtenir des financements. Il serait temps de faire preuve de créativité pour inventer des nouvelles façons de fabriquer les histoires : qui pour les raconter, avec quelle équipe, dans quelles conditions de travail, quel partage de la valeur ? Quelle gouvernance, quelles institutions, quelle responsabilité envers la société et l’environnement ? Avec quel vocabulaire, quel corps, quel regard, quelle parole ? Et puisqu’on est aux Magritte : avec quelle cérémonie ? Pourquoi pas un Magritte des cinémas ? C’est à nous de nous en emparer, un jour après l’autre."

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Montées sur scène pour présenter Dreaming Walls projeté juste après la cérémonie, Amélie Van Elmbt et Maya Duverdier, membres du collectif Elles Font Des Films, ont profité de cette tribune pour conclure la soirée avec des mots essentiels.

Portrait des derniers artistes résidant au légendaire Chelsea Hotel de New York, Dreaming Walls porte aussi un regard politique sur les femmes créatrices du Chelsea, leur âge, leur isolement, leurs conditions de vie, et leur effacement. Le collectif Elles Font Des Films travaille actuellement sur une étude chiffrée sur la représentation et présence des femmes dans le cinéma belge. La publication est prévue dans quelques mois.

 

Dreaming Walls

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Le palmarès des Magritte 2023

Magritte 2023

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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