"Lutter contre l’extinction de la population européenne", le grand fantasme d’Orban et des dirigeants européens conservateurs

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Budapest accueillait cette semaine le quatrième Sommet démographique international organisé par le Premier ministre hongrois, Viktor Orban. Depuis 2015, cet événement bisannuel réuni des alliés du dirigeant conservateur qui entendent promouvoir la natalité et le modèle de la famille traditionnelle pour lutter contre "l’extinction de l’Europe".

Préserver la "culture européenne"

Cette année, plusieurs dirigeants européens de premier plan ont fait le déplacement à l’invitation du Premier ministre Orban, dont Janez Jansa, le chef du gouvernement slovène qui assure actuellement la présidence tournante de l’Union européenne, Aleksander Vucic, le président serbe, les premiers ministres polonais et tchèque ainsi que des ministres venus de Roumanie, de Slovaquie et Lettonie.

D’autres personnalités ont également été invitées à s’exprimer, comme Mike Pence, ancien vice-président des Etats-Unis sous l’ère Trump, Marion Maréchal, ancienne députée du Front national (devenu entretemps Rassemblement national) et même Eric Zemmour, l’éditorialiste d’extrême-droite condamné à plusieurs reprises provocation à la haine et à la discrimination raciale, qui pourrait bientôt se lancer dans la course à la présidence en France.

"L’augmentation du nombre d’enfants européens est essentielle pour préserver la culture chrétienne et les autres traditions religieuses de l’Europe pour les générations futures, ont déclaré les premiers ministres hongrois, polonais et tchèques à l’issue de la première journée de "débat", ajoutant que la migration ne (devait) pas être considérée comme le principal outil pour relever les défis démographiques."

Une population en déclin

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L’Union européenne est confrontée depuis longtemps à une baisse du taux de fécondité dans l’ensemble de ses Etats membre. Ce taux se situe en moyenne autour de 1,53 enfant par femme alors que les démographes considèrent que le seuil de renouvellement des populations se situe à 2,1 enfants par femme.

"C’est une conséquence de la crise économique de 2008 et aussi de la pandémie de Covid, explique Ester Rizzi, professeur de démographie à l’UCLouvain. On va vers donc une société qui vieillit de plus en plus alors qu’il est important pour l’Europe de renouveler sa population, jeune et active. L’immigration peut être une réponse à cette crise de la natalité, car les personnes qui émigrent vers l’Europe sont généralement jeunes et elles ont un taux de fécondité assez élevé, du moins pour la première génération. Après, ça se stabilise progressivement. D’un point de vue démographique, l’immigration est donc bénéfique pour nos populations vieillissantes."

C’est d’ailleurs le modèle qui a été suivi par l’Allemagne pour juguler le déclin de sa population ces dernières années.

Le cas hongrois

Le Premier ministre hongrois Viktor Orban.
Le Premier ministre hongrois Viktor Orban. © ATTILA KISBENEDEK / AFP

Mais Viktor Orban et ses alliés conservateurs ne veulent en aucun cas favoriser l’immigration, synonyme pour eux de "grand remplacement" des populations autochtones par des populations étrangères. Le dirigeant hongrois veut des enfants… hongrois. Il entend donc favoriser les naissances en soutenant le modèle de "la famille traditionnelle".

Il a ainsi mis en place une série de mesures pour inciter les femmes à faire plus d’enfants : augmentation des allocations familiales, suppression d’impôts pour les mères de plus de 4 enfants, aide sociale pour les grands-parents qui gardent leurs petits-enfants, une aide financière est même prévue pour permettre aux familles nombreuses d’acheter des voitures spacieuses. Le droit à l’avortement a été fortement limité également.

Cette politique nataliste-conservatrice-nationaliste a permis à la Hongrie de recoller à la moyenne européenne. Mais si le taux de fécondité y est désormais de 1,55 (contre 1,35 en 2008), le pays est encore loin du seuil de renouvellement de sa population et il reste confronté à une forte émigration des jeunes actifs vers d’autres pays de l’Union européenne. Selon certaines projections, la Hongrie pourrait ainsi perdre 1 million d’habitants d’ici 2050, malgré les mesures natalistes du gouvernement Orban.

Le cas polonais

Le Premier ministre tchèque Andrej Babis, le Premier ministre slovène Janez Jansa, le Premier ministre hongrois Viktor Orban, le président serbe Aleksandar Vucic et le président de la présidence de Bosnie-Herzégovine Milorad Dodik se tiennent sur la scène
Le Premier ministre tchèque Andrej Babis, le Premier ministre slovène Janez Jansa, le Premier ministre hongrois Viktor Orban, le président serbe Aleksandar Vucic et le président de la présidence de Bosnie-Herzégovine Milorad Dodik se tiennent sur la scène © AFP

La même approche a été suivie par la Pologne, avec des résultats similaires. Une série de mesures ont été introduites par le gouvernement catholique conservateur en 2015 pour tenter de remédier au problème de la faible natalité, comme l’introduction de l’allocation de retraite "Mama 4 +" qui offre une compensation financière pour les mères que 4 enfants qui arrêtent de travailler. Mais cette politique n’a pas permis d’infléchir la tendance. Avec un taux de fécondité de 1,44 enfant par femme, le pays présente toujours un des plus faibles taux de l’Union européenne.

Le " paradoxe féministe "

"Cette approche nataliste suivie par la Hongrie et la Pologne est complètement anachronique, souligne la démographe Ester Rizzi, car nous savons aujourd’hui que la meilleure façon de soutenir la natalité c’est d’agir sur l’équité de genre au sein de couples, de permettre une meilleure conciliation entre le travail et la famille pour les pères et les mères en allongeant par exemple les congés parentaux. C’est d’ailleurs ce qui est préconisé par l’Union européenne. Mais cela va évidemment dans le sens opposé d’une politique de soutien au modèle de la famille traditionnelle qui veut que la femme soit avant tout une mère et qu’elle reste à la maison pour élever les enfants."


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Les démographes parlent ici de "paradoxe féministe", en remarquant que les mesures qui favorisent l’égalité de genre dans l’accès au travail et dans le partage des tâches au sein de la cellule familiale favorisaient également les naissances. "Les pays qui favorisent l’équité de genre ont le meilleur taux de fécondité en Europe, rappelle Christine Schnor du Centre d’études démographiques de l’UCLouvain. Ils n’atteignent pas le seuil de renouvellement de la population de 2,1 enfants par femme mais ils parviennent à se stabiliser aux alentours de 1,7. Le manque peut alors être comblé par l’immigration de populations plus jeunes. Par contre, là où on a mis en place des mesures inspirées par le modèle de la famille traditionnelle, qui limite les droits des femmes et leur accès à l’emploi, les chiffres sont moins bons. Toutes les études le montrent."

A en croire les démographes, l’équité de genre et l’immigration sont donc les leviers les plus efficaces pour agir contre la chute démographique en Europe. Des solutions qui n’ont pourtant trouvé aucun écho auprès des participants au quatrième Sommet démographique qui s’est tenu cette semaine à Budapest.


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