L’OTAN a-t-elle promis à Moscou de ne jamais s’ouvrir à l’Ukraine ? Ou le contraire ?

Vladimir Poutine prête une oreille attentive à son chef d’État-major Valery Gerasimov sous une carte de l’Ukraine

© Mikhail Tereshchenko / SPUTNIK / AFP

Par Jean-François Herbecq

Le conseil OTAN-Russie se réunit ce mercredi à Bruxelles. Au menu des discussions : toujours la crise ukrainienne. C’est seulement une étape dans le processus diplomatique lancé entre les Etats-Unis et la Russie en début de semaine à Genève et qui se poursuit jeudi à Vienne sous l’égide de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.

Le but : désamorcer le risque d’un nouveau conflit en Ukraine. Moscou a massé des troupes à la frontière ukrainienne laissant craindre une invasion. Les Russes cherchent à faire pression sur les Occidentaux et exigent des garanties concrètes que Kiev ne rejoindra jamais l’Alliance atlantique. La Russie veut aussi une démilitarisation de l’Europe, elle souhaite voir partir les troupes américaines stationnées en Pologne, dans les pays baltes ou en Roumanie. Des demandes inacceptables à l’Ouest.


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Pour l’instant, chacun campe sur ses positions, comme on l’a vu à Genève. Le nœud du problème semble bien être la promesse d’adhésion de l’Ukraine à l'OTAN. Pour Moscou, c’est la ligne rouge à ne pas franchir.

Du côté de l’Alliance, la situation est moins claire. L’Ukraine a reçu une vague promesse d’entrer dans le club atlantique en 2008 mais piétine depuis dans son antichambre. Pareil pour la Géorgie, autre république ex-soviétique. Et rien n’indique que ces processus d’adhésion puissent subir un coup d’accélérateur.

Une promesse non écrite en 1990 : pas d'OTAN aux portes de la Russie

Cela, les dirigeants russes le savent très bien. Eux, s’appuient sur une autre promesse, tout aussi vague et de plus non écrite, qui remonte à l’éclatement de l’URSS. Une promesse de l'OTAN à la Russie de non-extension à l’Est après la chute du Mur de Berlin. 

Vladimir Poutine y fait référence dans son discours à la conférence sur la sécurité à Munich en 2007 : "Nous avons le droit de poser la question : contre qui cette expansion [de l'OTAN] est-elle dirigée ? Et qu’est-il advenu des assurances données par nos partenaires occidentaux après la dissolution du pacte de Varsovie ?" Un argumentaire qui a déjà servi au Kremlin à justifier l’annexion de la Crimée en 2014.

En France, le narratif du président russe est repris par Jean-Luc Mélenchon qui affirme en décembre dernier sur France24 : "Il faut bien que nous nous rendions compte que nous avons manqué de parole aux Russes. On leur avait dit : 'Si vous laissez tomber le mur [de Berlin], nous, on n’ira pas mettre l'OTAN à leur porte'. Bon, ils ont laissé tomber le mur, et qu’est-ce qu’on a fait : on a mis l’OTAN à leur porte." Une affirmation endossée ensuite par Eric Zemmour qui rejoint Mélenchon sur sa volonté de quitter l'OTAN.

Alors des promesses de non-extension de l'OTAN à l’Est ont-elles été faites vers 1990 ? Le débat est ancien.

Dès 1998, la question se pose avec l’entrée de la République tchèque dans l’Alliance. Selon les témoignages recueillis auprès des dirigeants de l’époque impliqués dans les négociations entre l’Allemagne de l’Ouest, la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’URSS au sujet de la réunification de l’Allemagne, personne n’a jamais promis quoi que ce soit par écrit. Par contre cette promesse apparait dans une série de mémorandums, notes de travail compilés en 2017 par le site National Security Archive. Le secrétaire d'Etat américain James Baker emploie notamment l'expression "not one inch eastward", "pas un cm de plus vers l'est" face à Mikhaïl Gorbatchev. D'autres documents de travail américains, britanniques, allemands, français et bien sûr russes font état de discussions sur l'extension de l'Otan vers l'est. Mais ce sont des documents écrits qui évoquent une promesse orale, par une promesse écrite...

L'Otan en réunion à Bruxelles en 1990

A l’époque, on parle de réunifier l’Allemagne et de la place de cette Allemagne réunifiée dans l'OTAN, pas de la fin de l’URSS ou du pacte de Varsovie.

Les Occidentaux s’engagent sur différents points concernant l’Allemagne de l’Est : pas de troupes étrangères ou d’armes nucléaires. Mais en 1990 personne n’imagine même sérieusement l’adhésion à l'OTAN de républiques qui sont alors toujours soviétiques.

Mikhaïl Gorbatchev vient confirmer ceci, à plusieurs reprises dont en 2014 : "Le sujet de l’expansion de l'OTAN n’a pas du tout été abordé et n’a pas été abordé au cours de ces années."

Ils se sont peut-être mal compris…

Laetitia Spetschinsky, chargée de cours à l’UCLouvain et éditrice du site Europe. Russie. Débats, a rencontré Gorbatchev et d’autres acteurs de ces événements, de son entourage mais aussi des diplomates belges en poste en URSS puis Russie, et elle relativise : "Tous affirment avec une clarté éblouissante que l’assurance a été donnée des deux côtés. […] Bien sûr que cette assurance n’aurait jamais pu être donnée. Les arguments des uns et des autres sont convaincants. […] Mais si la promesse a été faite, elle a été faite oralement. On peut affirmer qu’il n’y a pas de trace écrite, c’est évident. Mais il y a des témoignages qui semblent concorder : il y a eu des mots, des promesses, des idées. Alors on ne sait pas s’ils se sont mal compris…"

Les principaux acteurs de l’époque : le Premier ministre britannique Margaret Thatcher (g.), le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev (c.), le président français François Mitterrand (dr.), le président tchécoslovaque Vaclav Havel (g. en bas) et le prési
Les principaux acteurs de l’époque : le Premier ministre britannique Margaret Thatcher (g.), le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev (c.), le président français François Mitterrand (dr.), le président tchécoslovaque Vaclav Havel (g. en bas) et le prési © JEAN-LOUP GAUTREAU / AFP

Les négociateurs de l’époque avaient avant tout comme objectifs la réunification allemande et la fin du communisme. Braqués là-dessus, certains se sont peut-être un peu avancés…

Un traité est signé en septembre 1990. C’est le seul document écrit et il ne reprend aucune promesse. Mais les Russes continuent à affirmer que des garanties informelles ont été données. 

Des promesses écrites existent pourtant, mais bien différentes

Par contre, un autre document doit aussi être exhumé, c’est le mémorandum signé en 1994 à Budapest par la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et la Chine qui garantit à l’Ukraine le respect de sa souveraineté et de son intégrité territoriale, en échange de son adhésion au Traité de non-prolifération des armes nucléaires. Une promesse que la Russie a mise de côté en 2014 en annexant la Crimée.

La Casa Poporului, le "Palais de Ceausescu", à Bucarest accueillait le sommet de l'Otan en 2008

Et surtout un second document écrit mentionne bien la possibilité pour l’Ukraine d’adhérer à l’Alliance atlantique.

C’est une petite phrase mise sur papier à l’issue d’un sommet de l'OTAN qui restera dans les annales. Début avril 2008 à Bucarest, l’Alliance accueille l’Albanie et la Croatie en son sein. Pour fêter cela, le sommet de l’Alliance se tient dans le plus énorme des symboles d’une dictature communiste : la Maison du Peuple bâtie par Nicolae Ceausescu dans la capitale roumaine. La Roumanie a rejoint l’Alliance 5 années plus tôt, l’élargissement à l’Est connaît un coup d’accélérateur.

Où va-t-il s’arrêter ? Le président George W. Bush veut aller encore plus loin. Ouvrir les portes de l'OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie. Et vite.

Mais les Européens comprennent le danger qu’il y a à aller piétiner les plates-bandes de Moscou. Une adhésion à l'OTAN implique une solidarité militaire en cas d’agression. Ils sont frileux. Ils ont raison : tant l’Ukraine que la Géorgie seront attaquées par des forces pro russes. Comme au mois d’août de cette même année 2008, avec la deuxième guerre d’Ossétie du sud, une province séparatiste géorgienne. Et ensuite depuis 8 ans en Ukraine…

Au sein même du gouvernement américain, les ministres des Affaires étrangères Condoleezza Rice et de la Défense Bob Gates, ainsi que le conseiller à la sécurité du président, se méfient aussi des ardeurs de leur président, sans doute influencé par le discours des néoconservateurs en matière de politique étrangère.

Nicolas Sarkozy veut temporiser, Angela Merkel réussit à tempérer les velléités de George W. Bush qui doit revoir ses ambitions.

On inscrira les mots "rapprochement" et "coopération", la phrase "L'OTAN accueille les ambitions de l’Ukraine et de la Géorgie à devenir membres de l’Otan" dans la déclaration de Bucarest. Mais la formulation reste vague, surtout pas de calendrier précis.

Deux versions contradictoires

Et en plus, Vladimir Poutine s’invite au Sommet de l'OTAN pour donner clairement sa version des faits : la Russie ne tolérera pas une nouvelle extension de l’Alliance jusqu’à ses frontières.

En 2008, deux versions existent donc déjà : l'OTAN veut s’étendre à l’Ukraine, la Russie ne l’acceptera jamais. Depuis quelques semaines, le président russe fait tout pour que l’Otan revienne sur sa vague promesse de Bucarest. Les 100.000 hommes déployés à l’est de l’Ukraine et en Crimée servent cet objectif. Un objectif qui est lui très précis : Vladimir Poutine veut un traité, sur papier, qui dise clairement que l’Ukraine, comme la Géorgie, n’a pas ambition d’adhérer à l’Otan. Il veut recréer une zone tampon entre lui et les Occidentaux. Voilà un premier enjeu de la partie qui est en cours.

Un autre enjeu est la volonté russe de renégocier toute l’architecture sécuritaire européenne, au sein de l'OTAN, de l’Union européenne, et cela semble à peu près non négociable.

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Note : une correction a été apportée le 24 février 2022 sur les promesses qui apparaissent dans les archives compilées en 2017 par le NSA.

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