Ils sont aussi mal vus que les requins et les loups. Ils seraient capables de vous dévorer si vous êtes trop faibles ou de vous transmettre les pires maladies. Les rats font partie des ennemis de l’homme depuis des siècles. Malgré ce lourd palmarès, un livre leur rend leur juste place dans la ville. Dans "Les rats sont entrés dans Paris", Olivier Thomas choisi de nous raconter le développement de la ville lumière, au travers des derniers animaux qui y vivent librement. Il raconte deux siècles d’histoire de la vie urbaine au travers du plus mal aimé de ses passagers clandestins.
Avouons-le, l’idée est osée. Se servir du rat pour nous parler de deux siècles de développement de la ville a tout du parfait répulsif. Et pourtant ce livre se laisse dévorer avec plaisir. Il ose vous raconter l’histoire de Paris et, par écho, de toutes les grandes cités, en se servant de ce petit être à poils noirs et queue de peau. Olivier Thomas, auteur de ce livre intitulé " Les rats sont entrés dans Paris " relève le défi avec brio.
" L’idée c’est d’essayer de voir en quoi cet animal pouvait illustrer sur le temps long la politique de la ville, la manière dont les hommes perçoivent leur relation avec l’animal au sein d’une aire urbaine et de comprendre les interactions qui ont lieu entre les deux, car aujourd’hui il y a des positions différentes face à la prolifération des rats. Certains veulent leur destruction, d’autres veulent une cohabitation, voire une préservation. "
Sortir les animaux de la ville
Olivier Thomas part d’un constat clair : l’homme n’a eu de cesse de chasser les animaux des villes. Seuls les rats et les pigeons ont résisté à cet exode forcé. " Au XIXe siècle, il faut imaginer une ville avec plein de troupeaux qui déambulent, nous explique Olivier Thomas. Ils sont tués et dépecés dans des abattoirs situés au centre-ville. Et évidemment ça crée un certain nombre de nuisances, notamment par les excréments mais aussi les déchets d’abattage. L’idée est de les sortir de la ville. On va donc mette en place des législations pour y parvenir. Cela concernera le bétail mais aussi les animaux de compagnie. C’est à ce moment-là qu’on invente la laisse pour domestiquer à la fois le chien, afin qu’il n’y en ait plus qui se baladent tout seuls, mais aussi pour domestiquer le maître, qui doit contrôler son chien. Il y a toute une logique de rendre la ville adaptée aux hommes, qu’elle soit construite par les hommes, pour les hommes. Mais ce que l’on va oublier, c’est qu’il y a des animaux sur lesquels vous aurez beau légiférer autant que vous voulez, ils s’en fichent. C’est le cas des oiseaux et des rats ".
Si les pigeons nous ennuient principalement par leur capacité à se transformer en bombardier en piqué larguant du guano, notre relation avec le rat est beaucoup plus basée sur la peur. Ce rongeur grouillant est lié à aux morsures, à la saleté et aux maladies, ce qui nous pousse souvent à le haïr… Une haine basée sur des nuisances bien réelles et d’autres plus fantasmées.
Les raisons de la haine
" La première nuisance c’est qu’il mange les victuailles. Vous amenez chez vous des stocks de nourriture et ils sont mangés par d’autres animaux. Tout cela déplaît à l’être humain. C’est une sorte de concurrence. Et il faut ajouter à cela la souillure. En plus de ce qu’il mange, le rat dépose ses excréments et rend tout un tas de nourritures impropres à la consommation. Il faut donc à tout prix le chasser ".
" La deuxième nuisance c’est ce que l’on appelle la notion de dévoration. On retrouve des articles de journaux parlant de bébés dévorés dans leur berceau ou de personnes âgées décédées dont le corps a été dévoré par les rats. Tout ça évidemment dans des circonstances où l’extrême pauvreté domine. Et ces histoires plus ou moins avérées marquent l’imaginaire collectif et créent la légende noire du rat ".
Ajoutons un soupçon de peste
Et à ces nuisances bien réelles, il faut ajouter un des 4 cavaliers de l’apocalypse, lié directement au rat : la peste. De quoi relier l’animal aux peurs les plus viscérales de l’homme urbain. " A la fin du XIXᵉ siècle, deux découvertes importantes permettent de comprendre le mécanisme de transmission de la peste. On découvre le bacille de la peste, et quelques années plus tard, on comprend lors d’observations, qu’il est véhiculé par une puce de rat noir. C’est par ce vecteur qu’il se transmet à l’homme. A la suite de cette double découverte, on se dit que la meilleure manière de lutter contre une épidémie de peste c’est en fait d’éliminer les rats. On va donc mettre en place toute une série de mesures en particulier pour tuer les rats qui se trouvent à bord des bateaux qui parcourent les mers et océans du globe. On invente carrément le mot " dératiser " pour expliquer ce nettoyage des navires. On est obsédé par la destruction du rat. En le détruisant, on espère détruire la peste. Malheureusement, ce que les hommes de cette époque n’ont pas encore compris, c’est qu’il existe une différence entre la peste bubonique transmise par les puces du rat et la peste pulmonaire qui elle, se transmet directement d’homme à homme. "
Le rat n’est donc pas le responsable de toutes les pestes. A cette mise au point, il faut ajouter un autre élément limitant le rôle du rat dans la propagation de cette maladie suprême. La peste est propagée par le rat noir uniquement, or celui-ci a petit à petit perdu son hégémonie dans nos villes.
Aujourd’hui, il est supplanté par une autre espèce, venue d’Asie, le surmulot.
Le surmulot est dans la place
" Le rat noir, c’est ce qu’on appelle le rat des greniers. Il vit plutôt en hauteur. Le surmulot préfère les sous-sols. Il adore l’eau et creuse des terriers. On a donc deux animaux qui ne vivent pas du tout de la même manière et au même endroit. Mais les aménagements à Paris et dans toutes les grandes villes du monde vont favoriser le développement du surmulot au détriment du rat noir, en développant les égouts qui sont un habitat peu propice aux rats noirs. Aujourd’hui, il n’y a plus de rats noirs à Paris, les surmulots occupent toutes les grandes villes du monde poursuit Olivier Thomas. "
Des rats partout
Le problème du rat, c’est qu’il est tout sauf discret. Il n’est donc pas rare de le rencontrer lorsque l’obscurité règne sur la ville. Pour certains de ses adversaires, l’augmentation de ces contacts visuels est la preuve qu’il prolifère et qu’il grouille dans nos sous-sols. Mais pour Olivier Thomas, on le pousse surtout au déménagement…
" On les voit davantage aujourd’hui pour deux raisons. D’abord il y a énormément de détritus et de nourriture qui restent par terre, et donc ils trouvent là de quoi satisfaire leur appétit. La deuxième raison, c’est qu’il y a énormément de travaux en ville. Et les bruits et vibrations les dérangent. Le rat est donc obligé de changer d’habitat, de se déplacer et donc forcément on le voit plus. Le développement de la ville fait que pour l’humain, le rat n’est pas à sa place dans la ville. Il est une " anomalie " pour l’humain. Mais c’est l’humain qui imagine cela. En réalité, le rat est parfaitement adapté à la ville et il est très bien là où il est. "
Une image adoucie
Et pour nous aider à mettre de côté, nos a priori sur le rat, il rappelle qu’il n’est pas le premier à appeler au changement d’image du petit rongeur des égouts. Walt Disney a commencé avant lui.
" C’est vrai qu’avec Ratatouille, en 2007, le rat devient un animal positif, intelligent, malin, qui en plus est relativement affectueux. On va s’apercevoir que la sortie du film va provoquer une augmentation des ventes de ces animaux dans les animaleries. Elles ont reçu beaucoup plus de demandes de jeunes d’enfants qui voulaient en fait un rat comme animal de compagnie. "
L’antispécisme à la rescousse de la bête noire
Ce changement de l’image du rat s’est doublé d’une autre évolution parallèle dans le domaine de la relation hommes animaux. L’idée de mettre toutes les espèces vivantes sur un pied d’égalité gagne du terrain. Les tenants de l’antispécisme sont donc devenus des alliés objectifs du rat qui aurait le droit de vivre librement, voire d’être protégé. Olivier Thomas confirme le développement de ce type de soutien et s’il ne va pas aussi loin que ces militants de la cause animale, il nous appelle, en conclusion, à nuancer notre regard sur le rat.
" Il y a quelque chose d’un peu vain dans cette idée de destruction absolue du rat dans la ville. Je pense qu’il faut tenir compte des différents avis et réfléchir plutôt à une gestion raisonnée de la question. "