Chaque année, en Belgique, on relève en moyenne 70 à 75 infections à la Listeria. Tous les cas sont signalés au centre de référence national de l’Institut de Santé belge (Sciensano) et donnent lieu à une enquête alimentaire. Soyons précis : il s’agit d’infections dues à la Listeria monocytogenes, la seule espèce de Listeria à être pathogène pour l’être humain.
D’où vient cette bactérie ? Quel est son impact sur la santé ? Faut-il en avoir peur ? Comment s’en prémunir ? Voici l’essentiel à connaître sur cette bactérie.
Une bactérie très robuste
Listeria monocytogenes est une bactérie très fréquente dans l’environnement naturel et particulièrement robuste. "Elle résiste aux outils qu’on utilise normalement dans la lutte contre les bactéries", explique Pascale Cossart, spécialiste de la Listeria à l’Institut Pasteur à Paris. "Par exemple, elle pousse à basse température : elle se multiplie à 4 degrés. Elle résiste aussi à de très fortes concentrations salines".
Sa résistance au froid signifie que mettre les aliments au frigo ne permet pas d’empêcher sa prolifération, au contraire. "C’est ça qui explique qu’on la trouve dans la chaîne du froid", développe Baudouin Byl, médecin hygiéniste à l’hôpital Erasme (ULB). "L’aliment au frigo ne va pas se dégrader de façon visible car le froid inhibe le développement des champignons notamment. Mais cette bactérie, elle, va se multiplier. C’est assez rare." D’où l’importance d’être vigilant avec les dates de péremption de la charcuterie par exemple.
A haute température, par contre, elle meurt. "A 60 degrés, on tue toutes les bactéries", poursuit Baudouin Byl. "C’est pour ça qu’il n’y a pas de Listeria dans le fromage pasteurisé. Mais on en trouve dans le fromage au lait cru."
Une bactérie invasive
"C’est un germe intracellulaire", explique Baudouin Byl. "Elle fait partie des micro-organismes capables de se réfugier à l’intérieur des cellules et qui sont donc beaucoup plus difficiles à tuer par les défenses naturelles".
"Il y a des cellules capables d’avaler des objets qui passent : les macrophages", précise Pascale Cossart. "Cette bactérie est capable de rester et de résister dans ces macrophages. Elle est aussi capable d’aller dans des cellules qui ne sont pas phagocytaires, et de s’y multiplier. C’est une bactérie invasive".
Listeria monocytogenes n’est pas seulement capable de s’installer dans nos cellules : elle peut aussi traverser trois "barrières" à l’intérieur de notre corps : la barrière intestinale, la barrière hémato-encéphalique (vers le cerveau) et la barrière féto-placentaire (vers le fœtus chez les femmes enceintes).
"Généralement, les bactéries qui arrivent avec un morceau de fromage ou de saumon contaminé arrivent au niveau de l’intestin puis elles s’en vont avec les selles", explique Pascale Cossart. "Le microbiote [les bonnes bactéries de nos intestins] est capable de nous protéger contre les intrus. Mais quelques-unes réussissent à traverser la barrière intestinale et se retrouvent dans le sang. Elles sont transportées jusqu’au foie, la rate, et elles se disséminent dans les endroits qu’elles aiment bien. Listeria fait partie de cette catégorie-là. Mais seulement si le terrain est propice."
Une bactérie à dangerosité variable
Le taux de mortalité est de 20 à 30%. Mais la bactérie n’est pas pour autant dangereuse pour tout le monde. Si on est en bonne santé, on ne risque pas grand-chose. Soit, on ne le remarquera pas, soit – en cas de plus forte dose – on aura une gastro-entérite passagère.
"Si une personne en bonne santé ingère de la nourriture contaminée par un milliard de bactéries – c’est colossal – cette personne va pouvoir développer des maux de ventre mais ne va pas forcément mourir", détaille Jean-François Collet, professeur de biochimie et de microbiologie à l’Institut De Duve (UCLouvain). "Mais si une personne fragilisée est contaminée par 100 à 10.000 bactéries, elle peut développer une maladie potentiellement mortelle."
"Ce n’est pas plus dangereux que beaucoup d’autres bactéries", précise Baudouin Byl. "Mais elle s’engouffre dans les brèches du système immunitaire."
"Si le système immunitaire est affaibli, elle est dans un terrain d’attaque propice, donc elle se multiplie et va dans les endroits qu’elle aime bien c’est-à-dire la barrière placentaire, ou alors elle se faufile dans le sang et elle réussit à arriver dans le cerveau, pour se multiplier à un endroit où il n’y a normalement pas de bactéries", poursuit Pascale Cossart.
Plus de risques pour les personnes au système immunitaire affaibli
Quelles sont les personnes susceptibles de développer une infection après avoir ingéré un aliment contaminé ? Celles dont le système immunitaire est affaibli : les femmes enceintes, les patients diabétiques, les personnes qui ont subi une greffe d’organes, qui prennent des médicaments immunosuppresseurs, ou encore les personnes âgées.
"Les femmes enceintes vont présenter un état vaguement grippal mais surtout il y a un risque majeur que le fœtus soit atteint. Avec un risque d’avortement, ou d’infection du bébé in utero. A la naissance, le bébé peut faire un tableau de sepsis majeur : une infection majeure avec la faillite de plusieurs organes", détaille Baudouin Byl. D’où l’importance d’observer les consignes alimentaires pendant la grossesse (éviter la charcuterie, les fromages au lait cru…).
Chez les autres personnes à risque, comme les personnes âgées, la bactérie peut entraîner une septicémie, une méningite, une encéphalite ou une méningo-encéphalite à Listeria. "Certaines lésions cérébrales irréversibles peuvent entraîner la mort", explique le médecin.
Des traitements sont disponibles
"Les traitements sont efficaces", rassure Pascale Cossart. "Mais comme c’est une bactérie intracellulaire, il faut que les antibiotiques arrivent à l’intérieur de la cellule. On utilise des doses assez fortes et des traitements assez longs". L’infection est de moins en moins fréquente selon la spécialiste qui souligne la surveillance très forte dont la bactérie fait l’objet.
Pour éviter d’être contaminé par ce type de bactéries, comme par d’autres, les conseils d’hygiène de base sont de mises : se laver les mains, veiller à la propreté du frigo, respecter les dates de péremption, bien chauffer la nourriture… De façon générale, les aliments transformés sont plus à risques : mieux vaut choisir un steak qu’un américain préparé.