La stérilisation des femmes en âge de procréer reste un sujet presque tabou en Belgique. Les gynécologues qui la pratiquent sur les femmes en dessous de 35 ans se compteraient sur les doigts de la main. C’est que la « vie reproductive » a une place majeure aux yeux de nombreux médecins qui, pareils à la société, refusent aux femmes de faire valoir leur choix.
Julie est désemparée. La gynécologue qu’elle vient de consulter refuse d’envisager l’opération de ligature des trompes que la jeune femme désire pour elle-même : « Ce n’est pas le premier refus que je reçois. Cette fois, j’y croyais vraiment. Mais la gynéco ne m’a posé aucune question. Elle m’a juste affirmé qu’elle ne pratiquerait pas cette opération. Elle motivait cela en disant que j’étais trop jeune, elle réagissait à partir de ses propres valeurs. Moi, j’ai exprimé mon choix avec des arguments, mais la réponse reste négative. » Les Cliniques de l’Europe à Uccle où Julie a rencontré cette gynécologue ont décliné notre proposition de s’exprimer sur le sujet. Nous ne saurons donc pas ce qui avait motivé la décision de la gynéco. Mais la plupart du temps, Julie n’a pas besoin d’aller jusqu’aux rendez-vous, les refus se font à la prise de contact par téléphone : « J’en ai eu deux dernièrement. Une de ces personnes m’a dit que je ne devrais pas mutiler mon corps. Tout ça me donne l’impression de ne pas être normale. »
Patientes cherchent gynécologue désespérément
D’aussi loin qu’elle se souvienne, Julie n’a jamais voulu avoir d’enfant : « Cela me trotte dans la tête depuis toujours. Mais, à 18-20 ans, on vous suggère d’attendre parce que vous êtes beaucoup trop jeune. À 25 ans, mon désir était plus affirmé encore. Aujourd’hui, à 30 ans, j’ai la certitude de ne pas en vouloir. » Récemment, elle a eu un déclic à la lecture du livre « Sorcières : La puissance invaincue des femmes » de l’autrice féministe Mona Chollet : « Je m’y retrouvais. Cela m’a aidé à comprendre que je n’étais pas anormale ». Dans cet essai, la journaliste française revendique notamment le droit au non-désir d’enfant. « On me renvoie souvent l’argument du partenaire : peut-être qu’un jour je serai avec quelqu’un qui voudra des enfants », raconte-t-elle, « Mais je ne vais quand même pas faire des enfants pour les autres ! »
En attendant, Julie utilise la pilule contraceptive. « Cela me stresse énormément. Je voudrais vraiment une autre solution car il y a le coût financier et environnemental de toutes ces contraceptions ! » Elle est loin d’être une exception en Belgique. Désemparé.e.s, des milliers de femmes (et d’hommes) s’entraident au sein de groupes Facebook fermés sur la question de la stérilisation. Listes de praticiens, témoignages, conseils s’échangent sur la toile de façon informelle. Belinda a rejoint un de ces groupes, faute de mieux : « En Belgique, il y a très peu de gynécologues qui acceptent d’opérer en dessous de 35 ans. Moi, j’ai 25 ans et deux enfants. Mais ma gynéco est contre alors que, pour des raisons médicales, je ne peux pas prendre de contraceptif hormonal et que mon corps rejette le stérilet. Elle m’a demandé d’attendre. Mais pourquoi perdre tout ce temps et risquer une grossesse que je ne veux pas ? »
Bénédicte, Maïté, Aline, etc. Les témoignages ne manquent pas et vont tous dans le même sens. À 26 ans, lors de son troisième accouchement par césarienne, Marie-Neige voulait aussi être stérilisée : « Je voulais qu’elle m’opère, mais elle a refusé à cause de mon âge, alors même qu’elle disait qu’une quatrième césarienne serait compliquée… »
Le risque de regrets : le mauvais prétexte des gynécologues
Pourquoi cette attitude généralisée au sein du corps médical ? Axelle Pintiaux est gynécologue à l’hôpital Erasme. Elle comprend la réaction de la docteure consultée par Julie : « À 30 ans, la vie reproductive n’est pas finie. Il y a des risques de regrets ou médicaux liés à cette opération. Les médecins qui refusent ont sans doute eu ces expériences. Ils voient des patientes ligaturées revenir pour des grossesses médicalement assistées (PMA) ». Axelle Pintiaux n’a pas de données statistiques sur le sujet, mais selon elle, « ce n’est pas rare » : « La situation est fréquente dans les centres de PMA et eux, ça les hérisse », assure-t-elle. La dernière étude disponible via l’Ordre des médecins date de 1997, elle évoquait un taux de 3 à 10% de patientes ayant exprimé des regrets. Il n’existe pas de chiffres plus récents à notre connaissance.
Miriam Ben Jattou de l’association Femmes de droit est juriste et a suivi une formation de doula. Elle n’est pas du même avis : « Moi, j’en vois assez peu, des femmes qui regrettent. Et quand bien même, elles s’en prendront à elles-mêmes. Dans la vie, il y a toujours des choses que l’on peut regretter. Par contre, je vois beaucoup de femmes qui mettent cinq, dix ans à trouver quelqu’un qui accepte de les opérer. On est vraiment dans le contrôle du corps et dans cette vision de la femme incapable de réfléchir par elle-même. Il se passe la même chose dans le suivi de grossesse : les médecins n’expliquent rien parce qu’ils partent du principe que c’est inutile. Ils excluent les femmes des décisions sur leur propre corps », critique-t-elle.
Le choix des femmes devrait être respecté tel le choix d’une adulte.
Marie-Hélène Lahaye, du blog marieaccouchela.net qui dénonce les violences gynécologiques dont les femmes sont victimes, n’est pas surprise de ces « réticences très fortes » du corps médical à l’égard de la stérilisation : « On est dans la gynécologie classique avec son côté patriarcal et infantilisant qui conçoit la femme comme un système reproducteur. Une nullipare qui veut une stérilisation, ce n’est pas dans la culture des gynécos et donc ils vont tout faire sur le mode « Faut attendre, vous allez regretter » pour préserver la fertilité. Le choix des femmes devrait être respecté tel le choix d’une adulte. » Plutôt qu’une opération « assez lourde », la docteure Pintiaux suggère régulièrement la pose d’un stérilet Mirena à ses patientes : « La ligature des trompes n’est pas forcément la meilleure solution lorsque l’on recherche un contraceptif. Le stérilet est beaucoup plus efficace. » Mais Julie, par exemple, ne veut pas d’un mode de contraception non définitif. « Et mes amies qui ont opté pour ce choix souffrent beaucoup lors de la pause et du changement de ce dernier. Je ne souhaite pas non plus des clips, mais une salpingectomie totale (retrait des trompes) qui ne présente plus aucun risque de grossesse mais est encore moins acceptée que les clips. »