Tout a démarré le 4 novembre 1820. Ce jour-là, la Cité ardente est en effervescence. Après deux années de travaux, la ville retrouve enfin une salle de spectacle digne de ce nom! C'est avec Zémire et Azor, l'une des oeuvres de l'enfant du pays, André-Modeste Grétry, disparu quelques années auparavant, que Le Théâtre est inauguré. Pour ce nouveau bâtiment, le choix se porte sur un terrain de l'ancien couvent des Dominicains situé en bordure du bras de Meuse de la Sauvenière: on oublie souvent qu'il y a deux siècles tout ce quartier de Liège, sillonné aujourd'hui par des grandes artères, était traversé de bras d'eau. Le plan du nouveau théâtre s'inspire du Théâtre de l'Odéon à Paris ! La référence n'est pas banale: les Liégeois veulent une belle salle, qui en jette comme on dit maintenant. Cela sera le cas, même si le bâtiment a forcément beaucoup changé en plus de 200 ans d'existence.
Le premier crowfunding de l'Histoire?
Détail amusant en effet: en 1815, le conseil communal de Liège crée une commission chargée d'étudier la création d'un nouveau théâtre à Liège, et c'est cette même commission qui décide alors d'ouvrir le projet à des souscripteurs. L'idée, c'est que toute personne désireuse de participer à la construction de l'édifice se manifeste sur un registre et précise ses intentions, comprenez l'achat d'une ou de plusieurs actions d'un montant de 2000 francs de l'époque. En contrepartie, les souscripteurs recevaient un intérêt annuel de 5% auquel viendraient s'ajouter les bénéfices de la salle de spectacle. Si ça, ça n'est pas du crowdfunding avant la lettre!!
L'enfant du pays André-Modeste Grétry veille sur l'Opéra !
Une statue imposante trône devant la façade: c'est celle de l'enfant du pays, André-Modeste Grétry. Depuis le décès du grand musicien en 1813 (il est enterré au célèbre cimetière du Père-Lachaise à Paris), la Société Libre d'Emulation avait proposé de lui élever une statue au coeur de la ville. Liège, sa ville natale...: il ne l'a jamais oubliée, et les Liégeois non plus. Il faudra attendre quelques années pour que le projet se concrétise, retard notamment imputé à la création de l'Etat Belgique, en 1830. Grétry trône désormais au sein d'une place extrêmement fréquentée, en plein centre-ville: c'est l'un des lieux les plus "instagrammables" de Liège, un succès qui s'explique aussi sans doute parce qu'il se dit qu'une petite niche de la statue renferme le coeur embaumé du célèbre musicien. Et c'est vrai! L'installation du coeur de Grétry dans le socle de la statue se déroule en 1842 au cours d'une cérémonie très officielle réunissant du beau monde et des invités de prestige dont le compositeur Felix Mendelssohn qui assistera le soir-même au "Royal" au concert d'une autre célébrité de l'époque: Franz Liszt. La petite histoire raconte que ce dernier porta un toast en l'honneur de Liège, "la première ville à élever une statue à un compositeur".
Une salle de spectacle à l'italienne : tout un programme
Si les plans du nouveau Théâtre de Liège, très vite devenu Royal en 1831 suite à l'approbation du premier roi des belges Léopold 1er, s'inspirent d'une salle parisienne, c'est du côté de l'Italie qu'il faut trouver l'origine de la disposition de la salle de spectacles "à l'italienne", c'est-à-dire en fer à cheval avec une salle rectangulaire. Au départ, les spectacles qui y sont représentés sont très variés, on y joue bien sûr de l'opéra, mais aussi du théâtre parlé, de la comédie, des vaudevilles, en moyenne une centaine de spectacles par saison: une cadence effrénée qui n'est plus du tout envisageable aujourd'hui, car monter un opéra demande beaucoup de temps et d'argent. En 2018, plus de 100 000 spectateurs sont venus assister à 22 spectacles différents avec un taux de remplissage de 100% sur les grands opéras et les spectacles jeune public.
Une "Maison" en constante évolution...
Evidemment, au fil des décennies et des différentes directions qui s'y sont succédé, l'histoire de l'Opéra Royal de Wallonie connut des hauts et des bas, des périodes fastes et d'autres moins, mais cette "maison" compte indubitablement aujourd'hui sur la petite liste des grandes scènes lyriques européennes, grâce, notamment, à la qualité du travail et au professionnalisme de son personnel: plus de 200 membres permanents dont bien sûr l'Orchestre et les Choeurs propres à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège. Les plus grands s'y produisent, d'autres y ont fait leurs premières armes avant de démarrer une carrière de haut vol, tel le baryton belge Lionel Lhote: "C'est là que je suis né", aime-t-il raconter. Cette très honorable institution est aujourd'hui dans une période de changements. Suite au décès de son précédent directeur, Stefano Mazzonis di Pralafera, qui accompagna, entre autres, la restauration complète de l'opéra de 2009 à 2012 et qui développa une politique tarifaire très attractive envers les jeunes (jusqu'à 32 ans), c'est désormais Stefano Pace, italien lui aussi, qui veille au grain. Un nouveau directeur musical rejoint l'équipe: Speranza Scapucci cède la place à Giampolo Bisanti. C'est avec eux que l'Opéra Royal de Wallonie-Liège va donc écrire de nouvelles pages de son histoire! Une Histoire à suivre.
A lire : Opéra Royal de Liège, 200 ans et après, de Serge Martin et Frédéric Marchesani, en vente à l'Opéra Royal de Liège, ou encore L'Opéra royal de Wallonie à Liège, de Frédéric Marchesani, Carnet du Patrimoine 105, Institut du Patrimoine wallon.