Les Classiques

Liège-Bastogne-Liège 1923 : une course avec un tram comme seule distraction, victoire du champion de Belgique René Vermandel

René Vermandel

© Le miroir des sports – 6 octobre 1921

Par Sylvain Rouquet

Les monuments du cyclisme n’ont pas toujours accouché d’un scenario extraordinaire, agrémenté d’attaques à tout-va, de défaillances et d’exploits sportifs hors norme pour voir le lauréat s’imposer. 1923 fait partie de ces années où Liège-Bastogne-Liège accouche d’un déroulé attendu.

La course cherche encore sa renommée à l’époque. Elle ne connaît pas encore l’aura qui est le sien actuellement, coincée dans un calendrier surchargé. Ils ne sont effectivement que 24 à prendre le départ le 3 juin 1923 pour la 13e édition de Liège-Bastogne-Liège. Tous sont Belges. Les coureurs étrangers ne se sont pas déplacés car la plupart sont inscrits dans des courses internationales de renom. Le Tour d’Italie, le Tour de Catalogne ainsi que la course par étapes Bordeaux-Marseille se disputent en même temps. La Doyenne (qui ne l’était pas à l’époque) prend place aussi une semaine après Bordeaux-Paris, l’une des courses phares de la saison, affichant près de 600 kilomètres de parcours.

A noter toutefois, la présence des quelques pointures : René Vermandel (champion de Belgique en titre, vainqueur du Tour des Flandres 1921), Emile Masson Senior (voir en fin d’article), Théophile Beeckman (trois fois dans le Top 6 du Tour de France), le Gembloutois Félix Sellier (champion de Belgique quelques mois plus tard, lauréat de Paris-Roubaix 1925), Léon Scieur (vainqueur du Tour de France 1921 et de Liège-Bastogne-Liège 1920) ou Jean Rossius (champion de Belgique 1919, vainqueur durant de 5 étapes du Tour de France)

Le départ est donné au bas de la côte des fours à chaux, à Streupas, à 10h27 selon Het Laaste Nieuws du 4 juin 1923, en page 6. La météo se montre favorable d’emblée ajoute le journal.

Les coureurs décident de rester groupés. Seules quelques crevaisons et chutes émaillent la course mais l’allure n’est pas élevée et les malheureux, sauf si la chute est grave, regagnent rapidement le peloton. Ainsi Jan Binst est contraint d’abandonner après une chute ayant trop endommagé son vélo à Martinrive. A 13h30, les coureurs atteignent Bastogne. C’est le ravitaillement et ils sont 19 en tête. Avec vent contraire sur le retour, les tentatives offensives ne sont pas nombreuses.

Et soudain, le tramway s’en mêle

A Champlon, un compétiteur inattendu déboule sur la chaussée. Le tramway vicinal local n’a pas été arrêté et se mêle au groupe de tête. "Scieur se place à la hauteur de ce compétiteur et entame une première lutte sur le plat" explique La Meuse. "Le petit frère qui fume a beau cracher sa puissance, il n’en est pas moins proprement lâché. En descente le voilà à nouveau ferraillant dans la croupe des randonneurs qui le défient encore ; A la décharge de ceux-ci, ajoutons que le tramway emportait peu de lest. Trois voyageurs, un pour chaque voiture, formaient toute la cargaison du convoi, lequel cessa le match à Bande, où il était soumis à une neutralisation."

Les coureurs sont toujours groupés. Les difficultés s’enchaînent, avec notamment la Côte de Vieux-Ville et la rampe de My. Il y a bien des escarmouches mais rien de bien tranchant. L’allure est modérée à l’approche de la descente vers Aywaille. "Sans être coureurs, nous aurions bien probablement pu en faire autant" spécifie Nosner dans La Meuse. "Aucun effort, aucun démarrage, aucune tentative sérieuse" énumère le journal L’Auto du 4 juin 1923 en page 3.

Voilà Tilff. La tension augmente légèrement. Ici, le but du jeu est de trouver la roue des coureurs les plus véloces. Celles de Sellier, Vermandel et Rossius sont les plus courues. A Liège, au virage de la rue Raikem, c’est l’emballage final. Et il n’y a pas besoin de photo pour désigner le vainqueur sur les terrasses d’Avroy : René Vermandel, le champion de Belgique, s’impose largement. Le reste du top 4 est complété par Jean Rossius, Felix Séllier et Laurent Seret. La suite du groupe ne peut être départagée visuellement et 8 coureurs sont classés ex aequo à la 5e place.

C’est un vainqueur lucide qui s’est confié après la course. "Nous avons musardé, sans quoi, avec deux crevaisons, je pouvais me mettre la ceinture. Curieux, hein, nom d’une pipe, que je suis pas fichu cette année, de faire une course sans crever."

L’année Emile Masson Senior

En marge de la course, c’est un régional d’adoption qui est mis en valeur par le Hollogne Cyclist’s club : Emile Masson Senior.
Le Namurois, né à Morialmé avant de s’établir en province de Liège, à Grâce-Hollogne, réalise une année 1923 exceptionnelle. La meilleure de sa carrière.

A son palmarès cette année-là : Paris-Tours, le Tour de Belgique (victoire dans la 2e étape et au classement général) ainsi que le très prestigieux Grand Prix Wolber. Organisé par l’Auto et fondé par fondateur de la manufacture de caoutchouc et pneumatiques Wolber, c’est l’une des grandes courses éphémères des années 1920, considérée comme le championnat du monde officieux. Seuls les trois premiers des principales courses françaises, italiennes, belges et suisses, ainsi que les champions nationaux sont invités.
Avec à son palmarès, excusez du peu : Heiri Suter (premier homme à faire le doublé Tour des Flandres / Paris-Roubaix la même année, en 1923) pour la 1e édition en 1922 ainsi que qu’en 1925, Emile Masson en 1923, Costante Girardengo en 1924 (le premier campionissimo de l’histoire, qui terminera sa carrière en ayant remporté 6 Milan-Sanremo, 3X le Tour de Lombardie et 2 Tours d’Italie), Francis Pélissier en 1926 ou encore Georges Ronsse en 1930 (vainqueur de Paris-Roubaix 1927, champion du monde sur route 1928 et 1929).

Emile Masson Senior prendra aussi la 5e de Lège-Bastogne-Liège, la 6e place du Tour des Flandres et la 7e place de Paris-Roubaix en 1923.

Il remporte surtout Bordeaux-Paris la semaine avant de participer à Liège-Bastogne-Liège. "Tu es l’un de ces ouvriers de la pédale que la presse, avec juste raison, qualifie de courageux, ardent, beau lutteur et modeste" exprime le président du club Hollogne Cyclist’s Charles Lambert la veille du départ de Liège-Bastogne-Liège, dans une rencontre avec la foule devant la maison du coureur, membre du club cycliste. "Puissent cette palme et le cadeau que nous t’avons offert te rappeler longtemps que nous considérons la capitaine de Hollogne Cyclist’s comme l’un des plus beaux spécimens routiers qu’il ait été donné au monde de congratuler."
Le journaliste qui était présent à ce discours termine son article en expliquant "Tandis qu’il invite tous ceux-là – et ils sont nombreux – à envahir sa maison. Le vin déborde des verres […] la bonne joie préside bientôt à ces agapes campagnardes." Voilà peut-être l’explication du manque de vélocité dans le sprint final le lendemain sur la ligne à Liège…
 

Les Masson, le cyclisme bétonné dans les veines

Son fils Emille Masson Junior a lui aussi fait une carrière cycliste de niveau internationale. Il n’a rien à envier au palmarès de son père. Il est l’un des 5 Wallons à avoir remporté Paris-Roubaix. Il a levé les bras sur l’Enfer du Nord en 1939.

Il a aussi remporté la Flèche wallonne (1938), Bordeaux-Paris, comme son père, en 1946, une étape du Tour (son père a gagné deux étapes sur le Tour 1922) et 2 titres de champion de Belgique (1946 et 1947).

Emile Masson Junior remporte Bordeaux-Paris 1946. Il est accompagné de son père, à droite, pour le tour d’honneur
Emile Masson Junior remporte Bordeaux-Paris 1946. Il est accompagné de son père, à droite, pour le tour d’honneur © Tous droits réservés

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