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Lidia Rodriguez Prieto : l’écoféminisme, replacer le vivant au centre de tout

© Lidia Rodriguez Prieto

Par Titouan Marichal

Aux quatre coins du monde, de nombreuses voix s’élèvent et s’allient au courant écoféministe. Ces voix dénoncent un modèle patriarcal et capitaliste qui, par les mêmes systèmes de domination, opprime les femmes et surexploite les ressources naturelles. Nous avons rencontré Lidia Rodriguez Prieto au festival polyphonies écoféministes, pour elle, un changement de paradigme est urgemment nécessaire. "Il faut remettre la vie et la reproductibilité de la vie humaine et non humaine au cœur de toutes nos actions."

Lidia Rodriguez Prieto est installée en Belgique depuis presque 20 ans. Originaire d’Espagne, elle se mobilise dès le plus jeune âge pour les causes environnementales et féministes. "Déjà à l’âge de 7 ans j’allais manifester contre l’invasion du parc national de Doñana, en Andalousie. Concernant le féminisme, je me souviens qu’à l’âge de 12 ans, un ami à mon papa m’avait dit : ‘Lidia, toi, tu es féministe’. À ce moment-là, je ne savais pas si c’était positif ou négatif. Je suis allée lire la définition dans un dictionnaire. Ça me correspondait bien. Alors, oui, je me suis dit que j’étais féministe."

Avant de se lancer dans des études universitaires en agronomie, Lidia décide de voyager en Belgique, le temps d’un été. "Je suis venue faire du woofing dans une ferme à Lathuy, un village du Brabant wallon. Cette ferme pratiquait déjà à l’époque la biodynamie, une agriculture écologique. Il y avait plein de jeunes et de chouettes initiatives locales. Je voulais être sûre de ma décision avant de m’installer sur les bancs universitaires en Espagne."

Une fois diplômée, Lidia met toutes ses connaissances et compétences au service de différentes ONG. "Je suis partie au Chili, au Nicaragua, en Afrique. Ces nombreuses expériences m’ont permis de voir à quel point, nous, Européens, étions des prédateurs. Tant au niveau écologique que social."

© Lidia Rodriguez Prieto

Prise de conscience

À cette époque, Lidia est particulièrement frappée par le manque de femmes impliquées dans les différents projets de coopération et dans les espaces de prise de décisions. "Ma conscience féministe s’est fortement manifestée au Chili. Je travaillais là-bas en tant qu’agronome. Autour de moi, il y avait toute une équipe de vétérinaires, de techniciens agricoles, etc. Que des hommes ! Un jour, une veuve est venue se présenter pour travailler avec nous. La présence de cette unique femme a rendu très visible le manque d’égalité des genres au travail."

Par la suite, Lidia a voulu davantage s’impliquer sur la question des droits des femmes. En Amérique Latine, elle découvre de nombreuses organisations féministes très influentes. "Elles t’apprennent beaucoup. Que ce soit sur l’histoire ou sur les méthodes pour faire bouger les choses. Et une fois que tu prends conscience de la problématique, tu as envie d’y mettre toute ton énergie."

Engagement

En 2002, de retour en Belgique, Lidia rejoint l’ONG féministe Le Monde selon les femmesactive dans la coopération au développement, l’éducation permanente et la recherche-action, au Nord comme au Sud. "L’objectif est d’intégrer une perspective de genre dans les questions de droits humains." Depuis 1994, cette organisation se bat pour un monde où les relations sont construites sur l’égalité, la diversité et la solidarité.

Un modèle de civilisation obsolète

Dans cette ONG, composée d’hommes et de femmes, une poignée de personnes, dont Lidia, se sont appropriées la lutte écoféministe, un courant né de la conjonction des pensées écologistes et féministes. "Le terme a été introduit par Françoise d’Eaubonne dans les années 70."

Ce que les écoféministes dénoncent, c’est avant tout la pensée patriarcale qui crée un système de domination masculine, tant sur les femmes que sur la nature, dans lequel un type d’homme exerce le pouvoir dans tous les domaines, publics et privés. "On peut le nommer capitalisme, néo-libéralisme, patriarcat, etc. Quoi qu’il en soit, c’est notre modèle de société qui est au fondement, non seulement de la domination du corps des femmes, de la prédation de la nature et de la colonisation d’autres peuples, mais aussi des crises écologiques, sociales et environnementales actuelles. Actuellement, nous avons tellement de crises, qui découlent de 3.000 ans de patriarcat, que nous pouvons les rassembler en une crise de civilisation."

Pour illustrer ce modèle de société qui ne peut fonctionner sur le long terme, Lidia prend l’exemple du Produit Intérieur Brut, censé mesurer la production de richesses d’un pays. "Dans ce PIB, on retrouve l’argent de la prostitution, de la fabrication d’armes, de l’industrie aéronautique, etc. On prend en compte l’argent de la vente d’une tomate qui a fait le tour du monde alors qu’on aurait pu la faire pousser dans son jardin… Comment peut-on juger la richesse d’un pays avec des paramètres aussi nuisibles ? D’autant qu’on ne prend pas en compte la qualité de l’air, la pollution de nos rivières ou encore la possibilité pour une femme de sortir en pleine nuit sans se faire agresser dans les paramètres ?" Certes, d’autres alternatives existent, comme l’Indice de développement Humain, le Bonheur National Brut, etc. Mais ces derniers ne sont que très rarement utilisés comme point de repère. "On veut des vies qui méritent d’être vécues, pour toutes et tous, dans un monde en vie."

Ambassadrices écoféministes

Partout, de nombreuses voix se réveillent pour replacer le vivant au cœur de toutes nos actions et préoccupations sociales. Des personnalités largement médiatisées, comme Greta Thunberg ou encore Vandana Shiva, se revendiquent écoféministes. À contre-courant de la pensée dominatrice et de la course folle au profit, elles s’attachent à revaloriser le corps, la nature, les émotions, les femmes, les savoirs opprimés. "Nous voulons tracer des pistes, chercher des futurs désirables pour toutes et tous. Tant pour les jeunes en colère que pour les plus âgés culpabilisés ou soucieux de l’avenir." La question de l’avenir est fondamentale pour les écoféministes. D’ailleurs, ce courant est plutôt dans la construction, la proposition d’un autre monde que dans la dénonciation. "C’est pour cela qu’on parle beaucoup d’utopies."

L’antidote écoféministe

© Lidia Rodriguez Prieto

Pour aborder l’écoféminisme et ce monde utopique vers lequel tant de personnes veulent se diriger, Lidia a notamment écrit et illustré deux ouvrages.

Le premier est intitulé "Mini envélopédie écoféministe". Dans l’idée d’une encyclopédie (d’où le nom), Lidia donne de la visibilité à toute une série de femmes qui ont pensé autrement, que ce soit sur des questions économiques, scientifiques, sportives, industrielles, etc. "Les femmes sont généralement ignorées et invisibilisées dans la mémoire historique, le patrimoine culturel, les savoirs scientifiques, etc. Bref, dans tout ce qui implique reconnaissance et valeur, ce qui est considéré comme important et pertinent."

Dans le second, un pamphlet intitulé "Le patriarcat", Lidia caricature 3.000 années de pensées problématiques qui ont contribué à construire notre société actuelle. Elle y montre comment le savoir dominant entretient, depuis tant d’années, d’excessifs biais sexistes. "On y retrouve Platon, Kant, Descartes, Aristote, etc."

 

Pour elle, ce qui est fondamental pour l’avenir de notre civilisation est que toutes et tous comprennent que nous sommes écodépendants, car la nature a ses limites et interdépendants, car nous avons besoin de liens. "Il faut sortir de cette culture de l’égo. Aller vers des rapports plus soutenables et solidaires à tous les niveaux. On doit soutenir la vie et se soutenir les uns les autres."

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