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L’homosexualité dans le rap : vers une évolution ?

© Getty image

Ce samedi, c’est la Belgian Pride, une journée où les villes se mettent fièrement aux couleurs arc-en-ciel de la communauté LGBTQIA +. Cette semaine a aussi été marquée par la journée de lutte contre l’homophobie, la transphobie et biphobie. Et si une telle journée est encore nécessaire aujourd’hui c’est parce que notre société est loin d’en avoir fini avec l’homophobie de manière générale.

C’est encore plus vrai dans certains domaines. Qu’en est-il du milieu du hip-hop ? Ces dernières années, on a pu voir plusieurs coming out et membres des communautés LGBTQIA + s’imposer dans le game. C’est le cas par exemple de Lil Nas X ou encore Franck Ocean aux Etats-Unis. C’est aussi le cas par exemple de la rappeuse Lala&ce côté francophone. Pourtant, le hip-hop n’a pas toujours été salué pour sa proactivité contre l’homophobie. C’est même plutôt le contraire. Alors, les choses ont-elles évolué ?

Virilisme, homophobie et rap

On ne compte plus les rappeurs épinglés pour propos homophobes.

On pourrait, comme ça en vrac, citer Eminem, Sexion d’Assaut, DaBaby, SCH, Rhoff, Gims, Koba LaD et bien d’autres. Que ce soit complètement affirmé en interview ou bien dans des punchlines dans des sons, l’homophobie a semblé, pendant longtemps, faire partie d’une sorte de package qui allait avec le hip-hop.

Ça m’a saoulé, j’crois qu’il est grand temps que les pédés périssent, coupe leur pénis, laisse les morts, retrouvés sur le périphérique.

Gims, Sexion d’Assaut, "On t’a humilié", 2006

Les termes "pédés", "sales pédés" ou encore "fag" (en anglais) semblent rythmer les lyrics dans le rap, comme pour pointer le manque de virilité de son adversaire, notent les Inrocks'.

En effet, certains milieux où le culte du prétendu mâle alpha est à l’honneur semblent avoir du mal à sortir d’une homophobie patente. Le rap s’appuie sur des codes de virilisme bien ancré où le culte de la puissance, de la testostérone et de la compétition entre bonshommes faisait partie du décorum.

On peut rappeler ce gimmick apparu dans les lyrics de rap, le fameux "No Homo" repris par de nombreux artistes avec l’idée d’affirmer leur hétérosexualité ou plutôt de bien s’assurer que leurs paroles ne puissent pas être assimilées à des paroles ouvertement gays, au cas où… Comme l’explique Slate, ce terme apparaît dans le hip-hop dans les années 2000 avec le rappeur Harlem Cam’ron mais c’est le rappeur Lil Wayne qui le démocratise en le distillant à l’envie dans ses sons et ses clips. Côté francophone on peut, entre autres, citer Dinos qui l’emploie dans son son "Iceberg Slim".

Amel Zaïd, animatrice sur mouv' dans l’émission Debattle explique d’ailleurs "t’as l’impression que le foot et le rap, sont restés le dernier bastion hétérocentré qui n’a pas fait cette mise à jour" quant aux luttes contre les discriminations homophobes notamment.

Papa ne me reniera jamais, je suis ni flic, ni pédé

SCH

Récemment, c’est le rappeur Koba LaD qui a été déprogrammé de plusieurs festivals cet été (dont Dour) pour avoir eu des propos homophobes : il a réagi à un fait divers où un père était accusé d’avoir tué son propre fils parce qu’il était gay. Sa réaction sur Snapchat ? "Bien joué", comme le relaye Mouv'. Et s’il s’en explique dans une vidéo ensuite, affirmant ne pas être homophobe, le mal est fait.

Et cette homophobie n’est pas nouvelle. On pourrait citer le livre de l’ancien producteur exécutif de MTV, Terrence Dean, Hiding in Hip-Hop : On the Down Low in the Entertainment Industry-From Music to Hollywood, qui raconte comment les membres de la communauté LGBTQIA + ont participé à l’essor du hip-hop en travaillant dans cette industrie musicale, mais dans l’ombre, en devant se cacher. Dans ce livre, il décrit comment le culte de l’homme macho est au centre de la culture hip-hop. Il évoque cette "sous-culture" du hip-hop où les hommes ont des relations entre eux en privé mais s’affichent comme hétéros en public.

Pourtant, on peut avoir de quoi s’étonner. En effet, le rap historiquement, c’est le mouvement qui est né dans la lutte contre les discriminations et les inégalités.

Vers une évolution ?

La musique en général, et le rap ne font pas exception, c’est le reflet de la société. Et si les luttes contre l’homophobie ont émergé et que les luttes contre les discriminations sont de plus en plus importantes en faveur d’un changement de société, la musique ne passe pas à côté de ces changements à l’œuvre.

De manière générale, on sent une impulsion venue, notamment des Etats-Unis, où plusieurs artistes dénoncent aujourd’hui l’homophobie dans le rap. Et même si le hip-hop est loin d’en avoir fini avec l’homophobie et le culte de la masculinité toxique, on peut noter certaines évolutions positives.

Un des premiers à parler d’un climat homophobe dans le game, c’est Kanye West en 2005, un artiste ayant ,lui aussi, utilisé des propos pas vraiment gay friendly. Dans une interview à MTV, il déclarait à l’époque : "tout le monde dans le hip-hop discrimine les personnes gays. Il faut dire à mes rappeurs, à mes amis : Arrêtez ! C’est de la discrimination".

C’est le cas aussi d’Eminem dont les lyrics sont sans cesse empruntes de termes comme "faggot" (pédé en anglais). Au début des années 2000, il avait été accusé d’homophobie, notamment pour ses sons "Criminal" et "Kill you". Le rappeur expliquait dans une interview à Rolling Stone que ces mots employés ne sont pas homophobes mais de simples expressions. Il affiche aujourd’hui une solide amitié avec l’icône gay britannique Elton John et s’est prononcé en faveur du mariage homosexuel aux Etats-Unis.

Même le baron Jay-Z assume aujourd’hui des positions contre l’homophobie, alors qu’on ne peut pas dire que c’était autrefois le plus véhément en la matière. Il parle notamment dans son son "Smile" de l’homosexualité de sa mère et de ses difficultés à avoir vécu une vie en devant se cacher.

Aujourd’hui, on parle également d’un mouvement de "rap queer". Plusieurs artistes revendiquent leur homosexualité. C’est le cas, encore emblématique, de Lil Nas X, nommé plusieurs fois aux Grammy Awards, et qui au travers de sa musique et de ses clips revendique son homosexualité. Il avait d’ailleurs déclaré à la BBC, "j’ai l’impression d’ouvrir des portes pour d’autres". On peut également citer le poids lourd Franck Ocean (Odd Future) qui a fait son coming out dans un texte publié sur son blog, juste avant la sortie de son album solo Channel orange.

Côté francophone, les choses évoluent un peu plus lentement. Mais on peut noter Lala&ce, décrite comme "la sensation queer qui embrase le hip-hop" par le magazine Têtu. Pour cette artiste ouvertement lesbienne, la question de son orientation sexuelle semble ne même pas être une question. C’est ainsi et c’est tout. Et c’est tant mieux. Dans le son "Wet", elle met en évidence une histoire d’amour entre deux femmes noires.

Côté remise en question et prise de position on peut citer le cas emblématique d’Alkapote dont les textes et les propos homophobes sont légion. Son interview dans l’abcdr du son est restée dans les mémoires, dans laquelle il déclarait "je suis homophobe comme Véronique Genest est islamophobe". Une interview sur laquelle le journaliste spécialisé, Mehdi Maïzi, est revenu en expliquant que les choses ne se passeraient pas forcément comme ça aujourd’hui. Alkapote aussi semble avoir évolué en la matière. Il a d’ailleurs déclaré "de l’eau a coulé sous les ponts et qu’on évolue tous, comme les Pokémon". Le tout avant de nous lâcher une collab avec l’icône queer par excellence, Bilal Hassani, dans le son "Monarchie Absolue".

Finalement des exemples, il y en a plusieurs. Mais ils sont suffisamment rares pour être notables, un peu comme quand Elisabeth Borne est nommée Première ministre en France et que c’est tellement rare que c’est un fait d’actualité (ce n’est que la deuxième fois qu’une femme occupe ce post en France).

Ce qui nous fait dire que si les choses semblent évoluer positivement, l’acceptation des personnes LGBTQIA + dans le hip hop a encore du chemin à faire.

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