Dans son émission Murmures du monde, Hélène Van Loo vous embarque à travers le monde et l’Europe, pour un premier volet consacré à la découverte de l’accordéon, que le grand maître Marc Perrone décrivait comme ceci : "son soufflet se gonfle, se dégonfle, se tend. Il y a quelque chose qui est directement lié au "palpitant" de celui qui en joue. C’est une espèce d’interface entre l’intérieur et l’extérieur du corps. On peut étirer les sons, les raccourcir, on sent la musique entre ses deux mains, comme une matière vivante."
Qu’il soit diatonique ou chromatique, l’accordéon sous toutes ses formes a réussi à s’acclimater partout en s’intégrant aux cultures populaires régionales de nombreux pays. En Europe, la France, l’Italie, l’Irlande sont connues pour leurs vies accordéonistiques vivaces mais les Scandinaves sont aussi mordus d’accordéon tout comme les Russes qui sont à l’origine du très sophistiqué accordéon bayan.
Instrument populaire par excellence, il est peu d’endroits dans le monde où il n’ait élu domicile. S’il connut une baisse de régime en Europe avec l’arrivée du rock’n’roll dans les années 50, il est revenu sur le devant de toutes les scènes musicales qu’elles soient traditionnelle, jazz, classique, rock ou expérimentale.
L’accordéon diatonique, premier instrument de l’ère industrielle
Contrairement à la guitare et au piano, qui sont symboles de la bourgeoisie occidentale, l’accordéon est le très prolétaire "dépliant à bretelles". Fieffé bourlingueur, l’accordéon a essaimé ses flonflons tout autour de la planète mais pour l’heure, centrons-nous sur l’Europe.
En Europe, le "piano du pauvre" a eu les pires difficultés à se remettre du soupçon de ringardise qui lui collait aux basquettes depuis l’explosion yé-yé. Dès les années 30, un siècle après son invention par un Viennois, l’accordéon s’est trouvé aux prises avec les tenants de la tradition, qui lui reprochaient d’écraser les vielles et les cornemuses sur son passage.
"Pas cher, pas lourd et toujours juste", claironnaient les anciennes réclames. L’accordéon, c’est le premier instrument de l’ère industrielle.
En 1829, en Autriche, Cyril Demian dépose le brevet de l’accordion. Un mois plus tard, c’est l’anglais Charles Wheatstone qui fait breveter son concertina. Déjà très abouti, le concertina deviendra très populaire dans plusieurs pays anglophones tels l’Angleterre, l’Irlande, l’Écosse ou l’Afrique du Sud.
L’accordion de Demian est rudimentaire : une petite boîte avec un soufflet à deux plis et cinq touches laissant entendre chacune, deux accords différents, l’un à l’ouverture du soufflet, l’autre à la fermeture. C’est le système diatonique.
Arrivé en France, l’accordion de l’autrichien Cyril Demian est rebaptisé "accordéon". On est en pleine époque romantique et l’accordéon va conquérir les salons de la bourgeoisie dans une grande frénésie. Les facteurs d’instruments s’ingénient à rajouter un clavier, des touches… Des améliorations importantes ont lieu aussi en Allemagne ainsi qu’en Italie, autre grand pays de l’accordéon où commencent les premières constructions en série dès 1870.
A partir de là et jusqu’aux années 1910, l’accordéon diatonique envahit les rues de toute l’Europe puis s’enfonce dans les campagnes où il s’installe en s’intégrant dans les orchestres mais le plus souvent en prenant la place du violon, de la vièle ou de la musette alors présents dans de nombreux pays européens…
En France, au début du XXe siècle, dans les "cafés-charbon" se rencontrent les immigrés de l’époque, Auvergnats et Italiens. Le musette, le "folklore parisien", est né du télescopage de la cabrette des uns, et de l’accordéon des autres. Leur blues à trois temps se danse en couple, au grand dam des moralistes et des pudibonds. Des bas-fonds de la rue de Lappe, très réputée pour sa vie nocturne, devenue aujourd’hui le cœur du quartier branché de la Bastille, à Paris, aux guinguettes du bord de Marne, l’accordéoniste est le roi de la fête populaire. Gouaille et poésie sont au rendez-vous, plus tard immortalisées par le cinéma.
Instrument du diable dans les campagnes italiennes
Dans les campagnes de l’Italie d’antan, l’accordéon se fait instrument du diable et accompagne les transes de la tarentelle, qui ressemblent furieusement aux rituels de guérison africains ou asiatiques. Toute référence aux "esprits" étant bannie, les maux les plus divers s’expliquent… par une piqûre de tarentule. Un moyen comme un autre de contourner les interdits de l’Eglise tout en continuant à soigner la morosité et la déprime par le tournoiement en rythme jusqu’à l’extase. L’ivresse, oui, sans absorber la moindre substance !
L’accordéon voyage à travers le monde. Il est l’instrument des marins par excellence. La vente par correspondance par le biais de catalogues contribue aussi à son rayonnement.
Instrument maniable, puissant et solide parfaitement adapté pour les bateaux.
Pendant que l’accordéon s’exporte partout dans le monde, en 1897 l’Italien Paolo Soprani améliore encore l’instrument et crée le système chromatique (chaque touche crée la même note que l’on tire ou que l’on pousse).
L’accordéon chromatique offrant plus d’avantages, il se substitue au diatonique dans de nombreuses expressions musicales.
De l’Italie à l’Espagne, en passant par la Belgique et l’Irlande
En Espagne, on trouve l’accordéon surtout en Catalogne et dans les Pyrénées, au Pays basque notamment. Il a vraisemblablement été rapporté de France par les ouvriers agricoles temporaires qui allaient travailler de l’autre côté de la frontière et par bateaux du côté du littoral méditerranéen.
La Belgique n’est pas en reste. Après l’invention de l’accordéon, elle devint une véritable pépinière d’accordéonistes. De nombreux fabricants ouvrent des ateliers. On importe aussi une grande quantité d’accordéons italiens. A la fin du XIXe siècle, les deux côtés de la frontière franco-belge étaient des points chauds de l’accordéon en Europe avec de nombreux échanges avec Paris.
Cap sur L’Irlande avec une véritable légende de la musique traditionnelle irlandaise, Máirtín O’Connor. Virtuose incontesté et compositeur émérite, il a eu l’occasion d’explorer bon nombre de styles inhabituels pour son instrument.