L'Histoire continue

L’Histoire continue : la naissance du web, de l’espoir à la perte totale de contrôle

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Au début des années 90, une idée géniale a émergé au Centre Européen pour la Recherche Nucléaire (CERN) : le web. Personne ne pouvait imaginer à quel point celle-ci allait révolutionner le monde, pour le meilleur et pour le pire.

Cet épisode de l’Histoire Continue raconte les circonstances de la naissance du web, l’histoire des deux hommes qui l’ont vécue en direct, et comment ils en ont perdu le contrôle. Le Britannique Tim Berners-Lee et le belge Robert Cailliau. Invité : Quentin Jardon, journaliste, auteur du livre Alexandria (ed. Gallimard).

 

► Cet article de janvier 2022 a été mis à jour dans le cadre de la rediffusion de L'Histoire continue sur La Première

 

12 mars 1989. A travers la fenêtre, les pentes des montagnes du Jura viennent s’écraser dans l’étroite plaine que forme la vallée du Rhône. Installé dans son bureau, à quelques mètres à peine de la frontière suisse, Mike Sendall est en train de lire un court rapport. Sa barbe rousse, son enthousiasme pour le travail de ses équipes, à 50 ans, Mike Sendall est à la tête d’un des départements informatiques du Cern, centre européen de pointe en recherche nucléaire posé à cheval sur la frontière franco-suisse.

Le CERN (Centre Européen pour la Recherche Nucléaire) à Merin, près de Genève. Le bâtiment a vu naître le web en 1989.
Le CERN (Centre Européen pour la Recherche Nucléaire) à Merin, près de Genève. Le bâtiment a vu naître le web en 1989. © AFP or licensors

Dans ses mains, les 19 pages du rapport sont presque incompréhensibles. Il est titré : “Gestion de l’information, une proposition”. C’est un des informaticiens de son département Tim, qui le lui a apporté. Un homme dont la puissance de réflexion est incroyable, qui peut entrevoir – derrière les lignes de code – l’architecture et la dynamique des systèmes informatiques. Sans doute, donc, Mike Sendall ne comprend-il pas tout à fait ce qu’il est en train de lire. Mais de toute évidence, il perçoit quelque chose.

Alors de son stylo, il griffonne dans le coin droit de la page ces mots : “vague, mais excitant”. Mike ne le sait pas encore mais l’idée qui tient dans ce document va changer le monde.

Le génie de Tim Berners-Lee et l’idée du siècle

Pour comprendre d’où vient ce document, et ce qu’il signifie pour l’avenir, il faut reparler du contexte technologique de 1989. Depuis une petite vingtaine d’années, une invention géniale végète un peu : Internet. Cette technologie née dans les années 60 permet d’utiliser les câbles du téléphone avec un ordinateur. En 1989, on peut déjà envoyer des mails par exemple. Il existe même des forums.

Tim Berners-Lee sent bien qu’on peut en faire quelque chose, mais c’est un personnage dont l’intelligence est difficile d’accès. Les cheveux blonds, implantés haut sur son front, partent dans toutes les directions, comme s’ils prolongeaient les idées qui fusent dans son cerveau et qui semblent toujours arriver trop vite à sa bouche, contre laquelle -invariablement- les mots viennent buter.

Tim Berners-Lee en 2009, au CERN, lors d’une conférence sur les 30 ans du web.
Tim Berners-Lee en 2009, au CERN, lors d’une conférence sur les 30 ans du web. © AFP or licensors

Tim Berners Lee s’explique mal. Il ne se fait jamais vraiment comprendre. Pourtant, dans ce grand village qu’est le campus du CERN, il y a un homme – un belge, qui est à même de comprendre Tim Berners-Lee. Un homme qui est capable de déchiffrer le fameux document de 19 pages de Tim. Cet homme s’appelle Robert Cailliau.

Il comprend en une seconde ce que le Britannique veut faire en s’appuyant sur l’infrastructure d’Internet. “Le web, c’est un service au-dessus de cette infrastructure, comme le courrier est un service au-dessus de l’infrastructure de l’internet, disait-il. L’internet n’a pas de contenus, c’est juste des câbles et des protocoles.

Robert Cailliau, l’homme qui a tout compris

Robert Cailliau est un tout petit peu plus âgé que Tim Berners-Lee. C’est – lui aussi – un homme brillant, un homme de conviction. Et lui, est capable de raconter, d’expliquer, de vulgariser cette fameuse proposition. Tim Berners-Lee veut, en fait, superposer deux technologies : internet et l’hypertexte.

En 1989, l’hypertexte permet de lier des documents entre eux grâce à des hyperliens. L’hyperlien permet de cliquer sur un mot qui s’inscrit en gras ou en souligné, et d’aboutir ensuite sur une autre page. Ces deux pages sont liées entre elles par un lien hypertexte. A l’époque, ça se fait déjà sur des CD-ROM ou à l’intérieur d’un même document, sur son ordinateur. L’idée géniale de Tim Berners-Lee, c’est de pouvoir désormais naviguer entre des documents qui peuvent se trouver à des milliers de kilomètres les uns des autres, via internet. Et créer ainsi un grand réseau de pages interconnectées entre elles.

20th anniversary celebration of the World Wide Web at the European Organisation for Nuclear Research (CERN) in Meyrin near Geneva
20th anniversary celebration of the World Wide Web at the European Organisation for Nuclear Research (CERN) in Meyrin near Geneva © Tous droits réservés

Mike Sendall, le chef de service à la barbe rousse décide, en 1989, d’allouer un peu de moyens à ce projet. Tim et Robert vont pouvoir travailler dessus. Une sorte d’amitié de circonstances se noue entre les deux hommes. Tous les deux sont des idéalistes, absorbés par cette grande idée d’un outil non-centralisé, où la connaissance se co-construit sans hiérarchie, de manière démocratique.

Comment le web a filé aux Etats-Unis

Tim Berners-Lee code sans relâche. Robert Cailliau tente de convaincre, vulgarise, explique. Et le projet tient la route. A deux, lors d’une après-midi ensoleillée, attablés à la terrasse de la cafétéria du Cern, ils lui trouvent un nom : le World Wide Web. Cette grande toile mondiale que pourront bientôt remplir de connaissances, tous ceux qui le souhaitent.

L’histoire était bien partie. Mais on le sait, si on regarde le web depuis 2022, elle va dérailler. La connaissance et le partage d’idées ne vont pas rester les valeurs cardinales du web. Tim Berners Lee et Robert Cailliau – parce qu’ils manquent de moyens et parce qu’ils sont idéalistes, parce qu’ils n’ont pas d’intérêt financier – vont décider en 1993 d’ouvrir le code du logiciel du web, de le rendre public. Pour que d’autres puissent travailler dessus, créer une grande communauté, notamment concevoir un navigateur digne de ce nom.

Une plaque, aposée devant l’ancien bureau de Tim Bernes-Lee au CERN, indique qu’il s’agit de l’endroit où est né le web
Une plaque, aposée devant l’ancien bureau de Tim Bernes-Lee au CERN, indique qu’il s’agit de l’endroit où est né le web © AFP or licensors

C’est un des mythes fondateurs du web. C’est aussi comme ça que Tim Berners-Lee et Robert Cailliau vont commencer à perdre le contrôle sur leur invention. "C’était ça ou la mort du web !”, explique Quentin Jardon, auteur d’Alexandria (ed. Gallimard), qui raconte la naissance du web. “Parce qu’ils sont tout en bas de la hiérarchie du Cern, et tout en haut, on ne perçoit pas l’intérêt de la chose, on ne va pas mettre de moyens là-dedans […] et eux, n’ont pas de problème à donner leur invention, c’est presque philanthropique, tant que cette invention ne perd pas son âme. Et c’est évidemment ça qui va se passer.”

En quelques mois, le web file aux Etats-Unis. Tim Berners-Lee aussi. Le Britannique restera dans les mémoires comme le seul inventeur du web. Robert Cailliau va terminer sa carrière au CERN. Et doucement se replier sur lui-même.

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