Levée des mesures, faible vaccination: en Roumanie, le système de soins assommé par la 4e vague de Covid

Une chambre de l’Institut de pneumophysiologie Prof Dr Marius Nasta à Bucarest

© Daniel MIHAILESCU / AFP

Par Jean-François Herbecq avec AFP

Peu de vaccinations et un système de santé vétuste : la Roumanie prend de plein fouet une virulente quatrième vague de coronavirus dopée par le variant Delta alors qu’ailleurs en Europe on enregistre un recul des contaminations.

Ce samedi, le taux d’infection dans la capitale Bucarest continue à croître. A 12,65 pour mille, c’est dix fois plus qu’il y a un mois. Jeudi, 14.457 nouveaux cas ont été recensés en 24 heures en Roumanie et 263 décès déplorés, après le record de 331 morts enregistré la veille. Le taux de mortalité y est le plus élevé au monde, et approche désormais celui enregistré en Italie lors de la terrible première vague.

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Devant beaucoup d’hôpitaux à Bucarest mais aussi en province, comme à Iasi, des ambulances font la file, attendant que des lits se libèrent, pour pouvoir débarquer les malades, et pour la première fois depuis le début de la crise sanitaire, Bucarest envisage de transférer des patients à l’étranger. Des situations qui rappellent ce qu’a vécu le nord de l’Italie début 2020.

Les médecins tirent le signal d’alarme

La Roumanie est un des pays les moins vaccinés de l’Union européenne. Il subit une virulente quatrième vague, en contraste avec le recul des contaminations observé dans d’autres pays européens.

"Je crains que nous ne soyons déjà dans le scénario" italien, dit le chef de la campagne de vaccination, Valeriu Gheorghita, en référence à la situation dramatique qu’avait traversée la Lombardie en mars 2020, lorsque les médecins devaient choisir qui soigner et qui laisser mourir. Pour la première fois depuis le début de la crise sanitaire, la Roumanie envisage de transférer des patients à l’étranger, entre 200 et 300. La Hongrie voisine a proposé d’aider les patients malades, tandis que les Pays-Bas et la Pologne ont offert des fournitures d’oxygène dans le cadre d’un mécanisme de soutien mutuel à l’échelle de l’UE.

"C’est une catastrophe médicale", résume le chef du Département pour les situations d’urgence, Raed Arafat. "Je suis arrivé en enfer": depuis son lit d’hôpital à Bucarest, Bogdan Gavanescu raconte son combat de deux mois contre le Covid-19. "J’ai été intubé mais j’ai finalement été ramené à la vie", souffle ce chauffeur de taxi de 43 ans, qui "ne croyait pas" à l’existence du virus avant de le contracter.

Dans cet établissement de Bucarest, plein à "110%", les médecins s’affairent entre les lits alignés dans les couloirs. Moins chanceuse, une patiente est perfusée assise sur une chaise. "Si le flot actuel se maintient, dans un jour ou deux le système médical s’écroulera car nous n’avons déjà plus de place pour accueillir les malades", se désole le directeur Catalin Apostolescu.

"C’est l’enfer dans les unités de soins intensifs à travers le pays et la situation ne fait qu’empirer", confirme Dorel Sandesc, chef de clinique au sein de l’hôpital départemental de Timisoara et président de la Société roumaine d’anesthésie.

28% de vaccinés

La pandémie s’ajoute aux maux de ce pays d’Europe centrale de 19 millions d’habitants, aux infrastructures hospitalières dépassées.

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Des pompiers et des policiers évacuent une victime brûlée de l'hôpital des maladies infectieuses de Constanta, en Roumanie après un incendie dans l'unité de soins intensifs. Plusieurs patients du Covid-19 sont décédés. Cinq patients sont morts en janvier

La semaine dernière, l’incendie d’un hôpital a tué sept patients, troisième sinistre meurtrier en moins d’un an.

Proches du point de rupture, les hôpitaux sont contraints de suspendre toute hospitalisation et intervention chirurgicale "non urgentes", comme au début de la pandémie. "Une condamnation à mort" pour les malades chroniques, selon une association défendant leurs droits.

Si d’autres pays avaient fait en 2020 le même choix, ils sont aujourd’hui dans une situation bien meilleure grâce au succès de la campagne d’immunisation.

Les Roumains en revanche boudent les vaccins et à peine 28% de la population a reçu deux doses à ce jour, comparé à une moyenne de 65% dans l’Union européenne. "Un échec dont nous payons tous le prix", déplore le docteur Sandesc.

Bucarest de même que les villes de Cluj et Sibiu sont les plus vaccinées, cela n’empêche pas la capitale de connaître le plus fort taux d’infection, en raison notamment de la densité de sa population. Le taux de vaccination le plus bas se trouve dans le comté de Suceava, surnommé au début de la pandémie la "Lombardie roumaine", en raison du grand nombre de cas de Covid-19. Ici, seulement 20,6% de la population est vaccinée.

Antivax et anti-gouvernement

La méfiance envers le gouvernement, doublée du fort écho rencontré par les théories corona-sceptiques circulant sur les réseaux sociaux, explique ce faible taux, selon les sociologues. Seule la Bulgarie voisine fait moins bien (20%).

 

Une religieuse orthodoxe brandit une icône et une pancarte contre le vaccin anti-COVID-19 et contre les restrictions

Le week-end dernier, des milliers de Roumains ont manifesté à Bucarest contre les nouvelles mesures anti-Covid. La plupart des manifestants ne portaient pas de masques.

Parmi les organisateurs de la manifestation figurait un groupe de parlementaires ultranationalistes qui a réussi, avec d’autres partis d’opposition, à renverser le gouvernement centriste le 5 octobre.

Georgica Vieru, un prêtre orthodoxe de 53 ans, dit avoir "fait partie de ceux estimant que le vaccin n’est pas bon". "Mais après tout ce que j’ai vécu, je sais que c’était une erreur", confie-t-il, espérant rentrer bientôt chez lui après 29 jours passés à l’hôpital.

Une levée trop hâtive des mesures

Les experts accusent en outre les autorités d’avoir assoupli trop tôt les restrictions, dès juin. A l’époque, le président Klaus Iohannis avait crié victoire face à la pandémie.

Devant l’aggravation de la situation, le gouvernement a décidé d’instaurer en septembre un pass sanitaire (vaccin, tests négatifs ou certificat de guérison) à l’entrée des restaurants, concerts et évènements sportifs, mais cette mesure a suscité la colère de milliers de manifestants la semaine dernière.

Les Roumains sont soumis à d’autres restrictions : le port du masque est obligatoire dans les espaces publics bondés tels que les marchés, les foires, les stations de transports en commun, les zones commerciales et les lieux de travail à Bucarest.

Un couvre-feu est également en place entre 18h00 et 5h00 du matin, mais uniquement pour les personnes non vaccinées. Les cinémas, les restaurants et les événements privés tels que les baptêmes ou les mariages peuvent être organisés à demi-capacité, mais uniquement pour ceux qui sont complètement vaccinés ou qui se sont rétablis de l’infection.

Les bars et clubs de la capitale sont fermés.

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