Chroniques

L’Évangile de Bart de Wever : entre terre brûlée et terre promise

Les coulisses du pouvoir

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Bart de Wever, le président de la N-VA, veut réformer le pays de manière extralégale. Cette déclaration a été abondamment commentée depuis samedi. Un coup de communication qui augure d’une stratégie de la terre brûlée.

Comme d’habitude

Bart de Wever adore ça. Débarquer un samedi, dans une interview fleuve, lâcher une série de bonnes phrases qui seront commentées toute la semaine, voire qui marqueront l’année. Depuis 2005 et la création de la N-VA, il fait le coup de manière récurrente et avec succès, il est devenu le maître des pendules. Personne n’arrive comme lui à dicter l’agenda politique et médiatique.

La phrase exacte dans le Tijd : “L’occasion de réformer légalement est passée, comme à diverses époques de notre histoire nationale vous devez passer à une réforme extralégale”, est partout commentée. Elle n’est pas neuve, Bart de Wever parvient comme personne à recycler ses idées. La N-VA est née de l’idée que les partis traditionnels flamands étaient l’otage des francophones et bloquaient avec eux le pays. Depuis 2005 Bart de Wever construit, avec succès, un récit dans lequel il s’octroie la place du seul capable de libérer la Flandre du blocage belge. Dans un premier temps avec des réformes de l’Etat (2005-2014), dans un deuxième temps par une participation au gouvernement fédéral sans les socialistes (2014-2018). Depuis lors, relégué dans l’opposition, Bart de Wever a fait plusieurs fois référence à des moments où des réformes ont été introduites en Belgique avant un changement formel de constitution. C’est le cas du suffrage universel masculin et de la flamandisation de l’université de Gand en 1918.

Problème : ces précédents sont tous intervenus grâce à une très large assise démocratique, un consensus que n’a pas Bart de Wever avec son confédéralisme.

Bye Bye Belgium

Certains y voient une tentative de coup d’Etat, une scission, une sorte de Bye Bye Belgium. Bart De Wever écarte cette hypothèse dans la même interview : “Je ne suis pas fou, l’idée de rechercher une révolution en Flandre, qui croit une chose pareille ?”. Il écarte tout scénario catalan, toute union avec le Vlaams Belang pour déclarer l’indépendance de la Flandre, et d’ailleurs toute forme d’alliance avec le Vlaams Belang.

S’il ne cherche pas la révolution avec le Vlaams Belang, c’est qu’il cherche une réforme avec les autres partis flamands ? Non plus. Bart de Wever décrit un paysage crépusculaire, décliniste, désenchanté un peu Houellebecq. Il annonce la fin du CD&V et du VLD. “Ils doivent faire faillite en 2024”. Et Vooruit ? "Conner Rousseau. Je le trouve moins bien qu’il y a un an. Monsieur pense que le soleil brille dans son nombril”.

Bref, il crame le Belang, le VLD, le CD&V et Vooruit. J’ai oublié les passages sur les verts qui ne franchiront pas le seuil électoral et l’extrême gauche. J’ai aussi oublié ceux sur Magnette et sur Bouchez qui en prennent plein la figure. Bref, comptez avec moi, Bart de Wever brûle tous les bateaux avec lesquels il pourrait naviguer en 2024.

Isolement ?

Il s’isole Bart de Wever ? Volontairement ? Oui. Là aussi, une nouvelle fois, ce n’est pas neuf. En 2018 il avait déjà brûlé ses navires et quitté le gouvernement Michel sur le pacte de Marrakech.

La terre Brûlée, Bart de Wever adore ça. Mais pourquoi ? Par tactique électorale d’abord. Il doit faire oublier qu’il participe depuis 20 ans au gouvernement flamand qui est encore plus mal perçu en Flandre que la Vivaldi d’après les derniers sondages.

Ou alors c’est par croyance ? Bart de Wever à cette phrase dans l’interview : “Dans mon esprit c’est une certitude évangélique que la Belgique, c’est fini. L’histoire a un sens et elle ne peut pas être inversée. Il n’y avait vraiment que deux autres pays en Europe comme la Belgique : la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie.

L’Évangile

C’est aussi une explication, celle de la croyance, de la certitude "évangélique". Problème : les deux exemples historiques cités par Bart de Wever ne sont pas reproductibles. La Yougoslavie s’est scindée dans une guerre atroce. Seule la Tchécoslovaquie s’est scindée par la négociation mais c’était dans un contexte très différent, en dehors de l’Union européenne.

Pour reproduire un modèle à la tchécoslovaque il faudrait, en plus de l’accord des autres pays de l’Union, qu’il y ait une volonté des deux parties de scinder. Pour ça, il faudrait qu’il y ait deux parties. Or, la situation de Bruxelles complique considérablement la donne. Passons sur ces détails, pour scinder sans révolution flamande, il faudrait que les francophones souhaitent eux aussi la fin du pays.

C’est ce qu’espère Bart de Wever. Il attend que l’impéritie financière pousse les francophones à demander la fin du pays (doctrine Maddens). Problème : c’est l’inverse qui se passe, plus le sud est en difficulté plus il semble s’accrocher à la Belgique. Ecolo, Les Engagés, mais surtout le MR et le PTB sont dans une "certitude évangélique" d’une Belgique unitaire. Il ne reste que le PS comme éventuel partenaire de discussion, mais il n’a jamais été aussi faible et même lui n’ose plus prononcer le nom “réforme de l’Etat”. Ajoutons que même en cas de réveil forcé des francophones et l’établissement d’une volonté commune de négocier, il faudrait qu’existe en face une volonté flamande. Or, le large consensus qui pouvait encore exister autour de la régionalisation dans les années 2010 a disparu.

Bref, dans son Évangile Bart de Wever promet la terre promise derrière la terre brûlée. Personne ne peut dire qu’il n’aura pas raison un jour. La dégradation de la situation financière du sud du pays et l’explosion du paysage politique au nord et au sud sont inquiétantes, à plus d’un titre. Mais en attendant cette sortie fantasmée du désert belge et cette arrivée en terre promise flamande, Bart de Wever ne peut qu’attendre et ressasser son évangile. Car la terre brûlée de la maison Belgique peut brûler longtemps. Plus longtemps que la durée d’une carrière politique, ou même qu’un parti.

 

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