Monsieur le Premier ministre,
Les mots ont leur symbolique et nous pouvons comprendre les réticences suscitées par les appellations "CoronaPass" ou "Passcovid". Mais le potentiel des idées est plus important que les mots qui peuvent les traduire. En effet, il s’agit ici, non pas d’entraver la circulation des personnes mais bien celle du virus, c’est-à-dire d’appliquer une mesure transitoire justifiée par la nécessaire prévention d’une maladie hautement transmissible. La solution proposée est un certificat de prévention du Covid basé sur l’immunité acquise par la maladie ou la vaccination ou, pour les non immunisés, un test de détection viral négatif.
Vous nous avez annoncé récemment le plan de déconfinement élaboré par le Comité de concertation qui prévoit, dès le 9 juin, une large réouverture des secteurs actuellement contraints. Cette décision politique est dictée par des contingences économiques fortes et une lassitude claire d’une population dont la santé mentale et, plus largement, le bien-être ont durement été mis à mal par la crise.Ce pari, audacieux sur le plan sanitaire, repose essentiellement sur une immunité vaccinale collective jugée suffisante pour diminuer drastiquement les risques de contamination. C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, le CDC (Centers for disease control and prevention) vient de mettre à jour les recommandations concernant les personnes ayant été complétement vaccinées : ni le port du masque, ni la distanciation sociale, ni la quarantaine au retour de voyage ne sont désormais nécessaires. Convaincre chaque citoyen, en particulier à risque, de se faire vacciner est la priorité des priorités. Mais en Belgique, il pourrait s’écouler un laps de temps important jusqu’à l’atteinte d’une immunité de groupe suffisante qui permette ce type de mesures.
En effet, en particulier dans la partie francophone du pays, les perspectives d’une immunité collective significative ne sont guère encourageantes à moyen terme ainsi que le révèle la toute récente actualisation de l’étude des universités de Gand, de l’ULB et de l’UCLouvain : plus de 30% des francophones non encore vaccinés ne sont pas enclins à le faire. Les doses seront disponibles, mais les citoyens risquent fort de manquer à l’appel… avec le risque réel de reprise épidémique. En effet, force est de constater que jusqu’à présent, la gestion de la crise a été principalement articulée autour d’un "va-et-vient", entre l’ouverture des lieux de rassemblement des personnes lorsque les chiffres de l’épidémie devenaient favorables et de re-fermeture des mêmes lieux lorsque la circulation du virus entrainait un surcroit d’hospitalisations. L’activation d’un certificat transitoire tel que proposé est de nature à dépasser cette dynamique du "commutateur". Ni la population ni les responsables des entreprises, de l’Horeca, des commerces ou de la culture, ne toléreront de nouvelles fermetures et de nouvelles contraintes. La seule alternative permettant de garantir la pérennité du retour promis à une vie normalisée est l’activation urgente d’un certificat transitoire permettant de garantir autant que possible le caractère non contaminant des personnes participant à des activités à risque élevé, en particulier dans le contexte d’une menace potentielle de nouveaux variants.
La garantie d’une normalisation de notre quotidien
De plus, Monsieur le Premier ministre, nous souhaitons attirer votre attention sur le fait que le Comité consultatif de bioéthique, dans ses recommandations rendues publiques ce 12 mai 2021, estime que "l’adoption de mesures transitoires différenciées n’est pas en soi contraire aux principes juridiques de liberté et d’égalité, pour autant qu’elles soient proportionnées et fondées sur des critères objectifs. La vaccination, l’immunité, mais également un test de dépistage négatif récent constituent une situation distincte (temporaire) en terme de profil de risque, rendant légitime la différence de traitement".
Le certificat proposé n’est pas discriminatoire puisqu’il y a discrimination lorsque des personnes se trouvant dans une situation identique sont traitées de manière inégale, or les personnes vaccinées et non vaccinées ne sont précisément pas dans une situation identique. De plus, toute discrimination sociale pourra être évitée dès lors que ce certificat sera accessible à une partie très large de la population, à la condition sine qua non que soit mis en place un accès facile et gratuit aux tests viraux pour les personnes non immunisées et qui n’ont pas encore eu l’occasion d’être vaccinées.
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Les moyens techniques d’élaboration de ce certificat devront rencontrer les recommandations éthiques visant notamment à garantir la confidentialité des données et le secret médical. Le projet devra être sécurisé juridiquement sans que le processus législatif n’en retarde la mise en œuvre compte tenu de l’urgence. En outre, ce certificat peut être le vecteur d’une responsabilisation personnelle, susceptible d’agir tel un incitant à une vaccination à laquelle beaucoup trop demeurent résistants.
A l’instar du projet de Certificat sanitaire européen, ce certificat belge a, par son essence, vocation à être strictement temporaire. Ce caractère transitoire peut être, en outre, garanti par un cadre légal contraignant, ce qui permettra alors de dépasser les réticences de ceux qui y voient les prémices d’un système de contrôle intrusif appelé à devenir pérenne.
En outre, l’utilisation de ce certificat deviendra caduque dès l’obtention d’une immunité collective satisfaisante mais pourra être réactivée si la situation sanitaire redevient défavorable. Ceci permettrait d’éviter des reconfinements en dépit de conditions épidémiques qui avaient conduit à des fermetures.
Monsieur le Premier ministre, le certificat qui est proposé n’est pas liberticide ; au contraire, il constitue une garantie de normalisation de notre quotidien et de la prochaine liberté retrouvée.
Transitoire, non discriminant, simple, dynamique, promoteur de la vaccination et du testing, et faisant converger intérêts humains, sanitaires et économiques, ce certificat est donc une solution adaptée, moderne et efficace.
Nous ne pouvons qu’espérer que nos autorités, que vous représentez au plus haut niveau, dépassent les réticences et les hésitations pour le mettre en place, rapidement et de manière large, et non à moyen terme et de manière très parcellaire, ce qui le viderait totalement de sa substance. C’est en tous cas le vœu que nous formons ici et l’appel que nous vous lançons.
Elie Cogan, professeur émérite de médecine interne (ULB) ; Michel Dupuis, professeur émérite de philosophie (UClouvain et ULiège) ; Yves Coppieters, épidémiologiste et professeur de santé publique (ULB) ; Jean Christophe Goffard, chef de service de médecine interne et responsable des unités Covid (Hôpital Erasme) ; Michael Dantinne, professeur de criminologie (ULiège) ; Jacques Brotchi, professeur émérite de neurochirurgie (ULB) et président honoraire du Sénat ; Catherine Fonck, spécialiste en médecine interne-néphrologie et députée fédérale ; et Frédérique Ries, députée au Parlement européen.